Biotechnologies

Agropur

Laurence Rousseau | 25 mars 2021

Agropur est la plus grande coopérative laitière canadienne fondée en 1938, à Granby, par 87 membres. Aujourd’hui, Agropur est la propriété de plus de 2974 producteurs laitiers pour plus de 8 000 employés répartis au Canada et aux États-Unis. La mission d’Agropur est de rester fidèle à la vision de pérennité de ses membres, propriétaires d’actifs de transformation efficace, en proposant des produits laitiers de qualité à ses clients et à ses consommateurs. En 2021, Agropur compte plus de 7.3 G$ de ventes annuellement et plus de 6.6 milliards de litres de lait transformé.

Le lait, une biotechnologie alimentaire

Le lait est la matière première d’Agropur et ce dernier fait 80% partie de la valeur finale du produit transformé. Ainsi, Agropur est très dépendant de cette matière première pour toutes ses opérations et valorise l’ensemble de ces composantes, produits et sous-produits afin d’offrir des aliments nutritifs de qualité. Le lait permet de créer deux catégories de produits: le fromage et la crème de séparation. En premier lieu, la production de fromage génère comme sous produit du lactosérum liquide, qui peut se décliner en plusieurs types d’ingrédients (lactosérum déminéralisé en poudre, du lactosérum en poudre et du concentré protéique de lactosérum ) selon les besoins de l’utilisation finale (vous pourriez donner des exemples d’utilisation). D’autre part, la crème de séparation permet de créer de la crème fraîche et du lait écrémé. La crème permet de produire du beurre et des produits laitiers glacés, dont la crème glacée. Ainsi, tous ces produits sont dérivés du lait animal brut qui subit diverses transformations. Le lait est une biotechnologie alimentaire, même si souvent ce n’est pas considérée ainsi. En effet, au sens large la biotechnologie désigne toutes techniques utilisant des organismes vivants pour fabriquer des produits. Dans ce cas-ci, on pasteurise le lait animal brut pour fabriquer des produits dérivés ou pour produire du lait pasteurisé. La transformation du lait cru vers l’ensemble des produits laitiers que l’on peut acheter en magasin présente plusieurs défis puisque ce processus comprend des gradients de température importants, le cisaillement des fluides, les changements de phase et l’élimination des pathogènes. De plus, il y a des étapes cruciales à ce procédé où il faut limiter les bactéries de dégradation et il faut également éviter la contamination post pasteurisation. À noter que le lait est stérile dans le pis de la vache, mais lorsqu’il sort du pis, il accumule des bactéries à la sortie des trayons, c’est ainsi que le lait n’est plus stérile en sortant. C’est également une des raisons qu’au Canada la pasteurisation du lait est obligatoire. Enfin, le lait animal prend environ 24h de la ferme au magasin. Ce processus qui semble long est assez rapide, il comprend la récolte du lait à la ferme, la standardisation du gras, l’addition de vitamine A et de vitamine D, la pasteurisation et l’embouteillage. Ensuite, il y a l’étape du transport et de la distribution aux commerces. Les produits pasteurisés ont 20 à 25 jours de longévité sur les tablettes d’un magasin.

Par la suite, pour la crème glacée, c’est plus complexe à produire. La base est une crème contenant au moins 10% de matière grasse qu’il faut ensuite émulsifier afin d’obtenir la texture onctueuse désirée d’une crème glacée, contrairement à un “popsicle” dur. Ensuite, pour le fromage, sa production présente plusieurs défis, dont le défi de l’acidification, de la coagulation, de l’égouttage et du salage. La matière première est le lait et on modifie le procédé pour créer une variété de fromage. Ainsi, pour produire du fromage il faut obtenir un caillé au bon pH et à la bonne humidité. Il faut aussi obtenir un bon rapport gras/protéines et sel/humidité. Tous ces procédés pour faire des fromages dérivés demandent beaucoup de technologies et de travail mécanique. 

Les produits alternatifs à base végétale, sont-ils vraiment les produits de demain?

Dans les dernières années, l'industrie laitière a vu de la concurrence de produits alternatifs principalement à base végétale. À travers les années, il y a eu la margarine, le fromage d’imitation, la protéine de soja permettant de faire du tofu et des breuvages végétaux (à base d’avoine, d’amande, de soja, etc). Ces breuvages ont la cote auprès de certains consommateurs de part leurs propriétés et leurs caractéristiques propres au breuvage non laitier, par exemple, l’impact environnement réduit, l’agriculture et l’élevage de masse, etc. Par contre, ces breuvages non laitiers comme le lait d’amande, par exemple, demande beaucoup de sur-transformation et de transport. De manière générale, 80% des amandes viennent de la Californie et leur transformation nécessite beaucoup d’eau, de transport, de filtration, de décantation, d’additifs, de pasteurisation et d’emballage. Aussi, le lait végétal contient beaucoup moins de protéines que le lait animal. Le lait animal est un véritable vecteur nutritif, contenant de l’eau, du lactose, de la protéine de lait, de la matière grasse, des vitamines et des minéraux. En effet, sa densité énergétique et nutritive est bien supérieure aux laits végétaux. Pour obtenir la même qualité et quantité de protéines contenu dans 1 verre de lait, il faut boire plus de 50 verres de breuvage d’amande. L’ensemble des laits et des breuvages à base végétale disponibles sur le marché ont leur place dans une alimentation saine. L’évolution de l’ensemble des technologies tout au long des chaînes d’approvisionnement, de la ferme à la distribution, auront un impact significatif sur les produits de demain afin d’offrir une meilleure qualité d’aliment avec un impact environnemental réduit.

L'agriculture cellulaire

Le futur de l’alimentation réside en partie dans les aliments issus d’agriculture cellulaire, soit la production de produits agricoles issus de cultures cellulaires. Plusieurs entreprises en démarrage à travers le monde ont levé beaucoup de financement pour développer leurs technologies. Les 4 principales ont levé plus de 500M$US depuis leurs débuts, même si le potentiel disruptif est toujours à valider. Il existe deux types de produits agricoles, les produits acellulaires, soit fait de molécules organiques comme les protéines et les graisses où ceux-ci ne contiennent pas de matériel cellulaire ou vivant, puis il y a les produits cellulaires, ceux-ci sont faits de cellules vivantes ou autrefois vivantes. Ces produits peuvent inclure des OGM, des organismes génétiquement modifiés, permettant d’aller chercher des bénéfices nutritionnels. En effet, selon ces entreprises en démarrage, l’agriculture cellulaire pourrait permettre de répliquer la production de produits laitiers sans l’intrant du lait de vache, grâce à des protéines conçues en laboratoire. Ceci permettrait donc d’exploiter pleinement le potentiel nutritif du lait et créer d’autres produits très nutritif. Pour le moment, cette technologie est très coûteuse , mais si ces entreprises en démarrage réussissent leur pari, de façon similaire à Beyond Meat dans la viande, le potentiel de disruption pourrait être significatif pour l’industrie laitière à travers le monde. Somme toute, les aliments transformés issus de l’agriculture cellulaire peuvent inclure des OGM, de l’ingénierie alimentaire et diverses méthodes de transformation, il n’en reste pas moins que ces aliments transformés ont plusieurs défis tels que les réglementations, la santé publique et l’acceptabilité sociale. Pour terminer, les consommateurs se préoccupent de plus en plus des déchets alimentaires et des emballages de leurs produits. On voit une tendance à vouloir réduire son impact environnemental d’environ 57% au Canada et d’environ 60% aux USA. Cette préoccupation écologique à la hausse est également présente parmi les membres d’Agropur qui ont créé un programme de développement durable incluant des fermes durables, un approvisionnement responsable, des opérations responsables et plusieurs autres actions visant à diminuer leur empreinte écologique. Cette vision plus écologique rejoint plusieurs personnes souhaitant voir du changement et des efforts vers un développement plus durable. Avec les avancées technologiques dans les prochaines années, nous pouvons espérer que des applications biotechnologiques pourront contribuer à réduire l’impact environnemental de l’industrie laitière, soit par l’utilisation des sous produits laitiers comme substrats pour plusieurs formes d’énergie renouvelables (combustion de biomasse, méthanisation, bio-diesel, etc), ou soit par la chimie verte en utilisant les sous produits comme intrants à des matières renouvelables (bioplastiques, plastique biodégradables, etc). L’innovation des biotechnologies aura un impact inévitable sur le long terme sur une industrie qui a la transformation comme cœur de métier.


  • Propos recueillis par l’équipe de Poly-Monde lors de la visite virtuelle du 25 mars 2021