DOSSIER 03
Catherine Landry
Marie-Pier Michaud
Mickaël Salaün

GÉOGRAPHIE

Bien qu’elles soient toutes deux situées en mer de Chine méridionale, Taïwan et Singapour vivent cet emplacement géographique de manière fort différente. Chacun de ces territoires fait face à des défis uniques, comme la superficie réduite de Singapour ou le manque d’eau à Taïwan. Ils les affrontent avec des solutions innovantes telles que le développement d’infrastructures durables et de nouveaux plans d’urbanisation. Ils doivent par ailleurs tous deux composer avec la Chine, que ce soit en matière d’économie ou de politique. Ils devront donc naviguer à travers cette relation complexe afin de maintenir une position dominante dans le commerce international, surtout dans le contexte pandémique de 2021. Les barrières géographiques semblent s’être effondrées avec le développement des moyens de télécommunication et on ne peut que spéculer sur le monde d’après-pandémie. 

Des îles pensées autrement

Texte de Marie-Pier Michaud et Mickaël Salaün

Habiter dans une grande ville et sur une île offre plusieurs avantages, telle que la proximité des services, mais jusqu’à quel point? L’insularité engendre de nombreux défis aussi bien à Singapour qu’à Taipei et à Montréal. La pandémie actuelle montre que sans activité et sans vie en ville, un petit logement sans espace extérieur, à Montréal par exemple, peut affecter la qualité de vie de la population. Au fil du temps, ces trois villes ont développé leur territoire à leur plein potentiel et c’est pourquoi des plans d’aménagement urbain sont aujourd’hui essentiels pour trouver de nouvelles solutions à une population toujours plus dense.

TROIS VILLES DISTINCTES, UN POINT COMMUN

Géographiquement, Montréal, Singapour et Taipei ont un point en commun : leur insularité. Le tableau 3.1 montre la superficie de ces trois villes ainsi que leur densité de population. La croissance démographique et le territoire restreint de ces lieux causent des problèmes à divers égards incluant la gestion du territoire, l’urbanisation et la qualité de vie des habitants.

Tableau 3.1 : Superficie et densité de population de Montréal, Singapour et Taipei en 2021

EXPANSION DE SINGAPOUR À TRAVERS LES ANNÉES

Singapour réagit à la croissance de la population en adaptant son territoire. Avant son indépendance, en 1965, Singapour avait une superficie de 581 km2. Au fil des ans, son gouvernement a toutefois augmenté la superficie habitable sur l’île par des projets d’expansion et une reconfiguration quasi totale du territoire. C’est à ce moment que la cité-État commence son expansion latérale. Afin d’augmenter la superficie, elle transfère alors la terre des collines dans l’océan, ce qui entraîne cependant un aplanissement considérable du territoire (De Koninck, 2019). Cherchant d’autres moyens d’agrandir la superficie habitable, le gouvernement importe ensuite de Malaisie et d’Indonésie près de 517 millions de tonnes de sable et de limon, un record mondial (Edwards, 2015).

Figure 3.1 : Expansion du territoire de Singapour à travers les années

Ensemble, ces deux stratégies d’expansion ont permis d’augmenter la superficie de Singapour à 716 km2, soit 25 % en seulement 50 ans (De Koninck, 2019). Cette expansion, illustrée à la figure 3.1, a permis au gouvernement de soutenir la croissance économique grâce à une meilleure planification des fonctions et des affectations territoriales, par exemple en concentrant les infrastructures industrielles d’un seul côté de l’île (De Koninck, 2019). Une autre stratégie mise de l’avant par le gouvernement a été d’augmenter l’espace habitable par la construction de gratte-ciel. Dès 2001, le plan du gouvernement inclut en effet la création d’une ville verticale pour loger l’une des sociétés les plus densément peuplées (Wong, 2004). À titre d’exemple, près de quatorze gratte-ciel de Singapour dépassent de 232 m la hauteur du plus haut gratte-ciel de Montréal (Le 1000 De La Gauchetière, 2013). Avec une augmentation rapide de la population, les autorités de Singapour n’ont aujourd’hui plus d’autre choix que de penser la ville autrement et de s’appuyer sur les prouesses de l’ingénierie en utilisant, par exemple, les profondeurs de l’île pour construire des infrastructures de transport souterraines.

Le centre de refroidissement souterrain de Singapour
Une utilisation concrète du sous-sol terrestre à Singapour est le centre de refroidissement situé sous la Marina Bay. Ce centre permet de faire circuler l’eau froide dans les canalisations des bâtiments afin de les refroidir sans même utiliser de climatiseurs. Il permet des économies de près de 40 % par rapport à l’air conditionné, diminuant ainsi les impacts environnementaux, une nécessité mondiale à long terme. On estime à près du tiers l’électricité qui pourrait être sauvée dans le monde par cette technique (Mokhtar, 2020).

GESTION UNIQUE DES LOGEMENTS À SINGAPOUR

Étant propriétaire des terres, l’État singapourien planifie entièrement l’urbanisme sur l’île et l’adapte au manque d’espace. En misant sur une expansion verticale, l’État a construit 26 cités nouvelles abritant chacune des logements sociaux. Aujourd’hui, près de 80 % de la population du pays vit dans ces lieux et 90 % des habitants sont propriétaires de leur logement, contrairement à Montréal où ce nombre atteint seulement 36,7 % (De Koninck, 2019; Ville de Montréal, 2020).

Pour optimiser le territoire, le gouvernement crée dès 1974 la Urban Redevelopment Authority (abrégée URA). Le dernier plan urbain, conçu par la cette organisation en 2011 et devant s’étendre jusqu’en 2030, favorise l’accès à des logements abordables présentant toutes les commodités (figure 3.2) (URA, 2021). Bien qu’elle offre moins de flexibilité aux habitants, la gestion des logements par l’État montre des avantages. Par exemple, le plan prévoit, d’ici 2030, l’accès à un parc à moins de 15 minutes pour 85 % des habitants et l’accès à un métro à moins de 10 minutes de marche pour 80 % des habitants (URA, 2021).

Figure 3.2 : Plan de Singapour avec les logements, les parcs et l’accès au métro

LES BANLIEUES À LA RESCOUSSE DE LA VILLE

Grâce au contrôle du territoire par l’État, une explosion du prix des logements est très peu envisageable à Singapour, contrairement à Montréal où ces dernier sont considérablement augmenté au cours des dernières années. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) rapporte, en 2020, une augmentation du prix des loyers de 4,2 %, soit la plus forte hausse depuis 2003. Cette hausse s’explique par la forte demande de loyers à faible coût. Avec la pandémie actuelle, la crise du logement ne s’améliore pas malgré une hausse du taux d’inoccupation des appartements à Montréal (SCHL, 2021a).

C’est dans ce contexte que la tendance à l’étalement urbain s’est amplifiée à Montréal (figure 3.3). La proximité de l’île de Montréal au territoire environnant ainsi que les infrastructures de transport qui les relient facilitent l’étalement urbain. La pandémie a d’ailleurs favorisé un exode de la population de Montréal vers les banlieues, avec pour résultat une augmentation de 4,6 % de l’achat de maisons de banlieue (SCHL, 2021b). Cette tendance s’explique notamment par le travail à distance, qui nécessite peu de déplacements, et par le prix abordable des maisons, jusqu’à 75 % moins élevé en banlieue (SCHL, 2021b).

Figure 3.3 : Étalement urbain de la région métropolitaine de Montréal

Taïwan a dû aussi s’ajuster à la forte densité de population dans sa capitale, Taipei. Le gouvernement a créé autour de Taipei la banlieue Nouveau Taipei pour réduire la concentration de population. Cet étalement urbain a été rendu possible par l’espace disponible en dehors de la ville, tel qu’illustré à la figure 3.4. Le Nouveau Taipei compte aujourd’hui plus de 4 millions d’habitants, soit 2,5 millions de plus que Taipei elle-même (CEIC, 2021).

Figure 3.4 : Étalement urbain vers le Nouveau Taipei

Ensemble, ces exemples de gestion du territoire illustrent les limites de l’étalement urbain et les autres approches employées comme moyens pour contrer la densification de population sur une île. Singapour amis en place des moyens ingénieux pour faire face à sa superficie limitée pendant qu’un étalement s’opérait à Taïwan. Toutefois, si la population poursuit sa croissance, ces moyens pourraient s’avérer insuffisants pour l’avenir.

• photo © Victor Garcia

Eaux troubles autour de l’or bleu

Texte de Marie-Pier Michaud

Si à Montréal l’eau est facilement accessible, ce n’est pas le cas à Singapour et à Taïwan ni en bien d’autres endroits dans le monde. Les changements climatiques entraînent avec eux leur lot de défis, dont l’importante question de l’accès à l’eau potable. Cet « or bleu » devient plus que jamais un enjeu de taille pour les populations et des stratégies doivent être élaborées par les gouvernements pour éviter une crise nationale. Bien que Montréal ne soit pas confrontée à ce défi pour le moment, le gaspillage systématique laisse présager un futur incertain.

LE CLIMAT, À LA SOURCE DES PROBLÈMES EN ÉMERGENCE

La position géographique de Singapour et de Taïwan leur confère un désavantage en matière d’accès à l’eau potable. Le climat d’une région est un couteau à double tranchant. Si d’un côté les catastrophes naturelles peuvent s’avérer dévastatrices, elles sont parfois, comme à Taïwan, une source d’eau essentielle. Le climat subtropical de Taïwan comprend une intense période de pluie de mai à septembre qui assure près de 78 % de son approvisionnement en eau, suivie d’une période de sécheresse le reste de l’année (graphique 3.1) (American Institute in Taiwan, 2017). Cette réalité oblige la population à surveiller sa consommation d’eau de septembre à mai.Agir autrement causerait un ralentissement marqué des activités pour de nombreux secteurs, avec un impact prévisible sur la population du pays et sur plusieurs chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale.

Graphique 3.1 : Tendance des précipitations àSingapour, à Taipei et à Montréal

En comparaison, Singapour jouit d’un climat tropical avec des pluies abondantes et des températures chaudes et uniformes toute l’année (Meteorological Service Singapore, 2021). Un tel climat fournit de précieuses pluies qui nécessitent toutefois des infrastructures pour récupérer au mieux cet « or bleu » tombé du ciel.

GESTION DE L’EAU FACE À L’INSÉCURITÉ

Bien que le climat influence la disponibilité en eau potable, la gestion courante de cette ressource demeure un dossier crucial auquel tout pays doit réfléchir. Singapour et Taïwan vivent toutes deux une situation d’insécurité en matière d’eau potable qui deviendra plus criante encore avec le réchauffement climatique (National Climate Change Secretariat, 2021). Malgré des problèmes d’accès à l’eau potable comparables, ces deux territoires mettent en place des plans de gestion de l’eau qui diffèrent.

Les stratégies de la PUB
La PUB met en place divers programmes afin d’assurer l’accès à l’eau potable. Le programme ABC a pour but d’augmenter le couvert végétal afin d’améliorer la qualité de vie de la population tout en améliorant celle de l’eau récupérée dans les réservoirs. Comme mentionné par Moh Tiing Liang lors de la conférence sur la gestion de l’eau à Singapour, l’eau est actuellement récupérée sur les deux tiers de l’île et cette proportion augmentera à plus du quatre cinquième de l’île d’ici cinq ans grâce à la construction de tunnels souterrains.

La Public Utilities Board (PUB) gère l’entièreté de l’utilisation de l’eau potable à Singapour (PUB, 2021a). Deux accords signés par Singapour en 1961 et 1962 autorisaient l’importation, depuis la Malaisie, de jusqu’à 60 %des besoins en eau de la cité-État. Le premier accord est toutefois arrivé à échéance en 2011 et le deuxième prendra fin en 2061 (Ghangaa, 2015). Le gouvernement du pays doit maintenant trouver des solutions pour diversifier son approvisionnement. Actuellement, la PUB met de l’avant quatre principaux robinets nationaux, soit l’eau de pluie récupérée (figure 3.5), l’importation d’eau de la Malaisie, le programme NEWater et la désalinisation de l’eau de mer.

Figure 3.5 : Points de récolte des eaux de pluies à Singapour

Les deux derniers robinets sont essentiels pour le futur (PUB, 2021b). Le programme NEWater, avec cinq usines de récupération d’eaux usées, fournit actuellement 40 % des besoins en eau à Singapour. D’ici la fin de l’accord avec la Malaisie, ce programme devrait fournir près de 55 % de la demande totale au pays (PUB, 2021b).Quatre usines dessalent actuellement l’eau de mer. Cette technologie procure une source d’eau infinie, c’est pourquoi le gouvernement encourage la création d’un important écosystème dans ce secteur afin d’attirer davantage d’acteurs clés. Malheureusement, cette méthode qui demeure très énergivore n’est pas utilisée à son plein potentiel, une situation qui pourrait toutefois changer dans les prochaines années, alors que le gouvernement de Singapour affirme de plus en plus son indépendance et son autosuffisance dans ses décisions.

Une usine au profit de l’urbanisme
Au printemps 2021, une nouvelle usine de désalinisation a vu le jour à Singapour. Cette quatrième usine est particulière, car elle traite autant l’eau salée que l’eau des réservoirs, ce qui permet d’assurer une quantité minimale d’eau en tout temps, même en période de sécheresse.Cette usine qui occupe près de 2,4 acres est accessible à la population afin de respecter le plan du gouvernement en matière d’espaces verts et de qualité de vie cité dans l’article 1 (Tan & Gene, 2021).

À Taïwan, la principale source d’eau potable demeure la récupération de l’eau de pluie dans les seize réservoirs d’eau actuellement en fonction sur l’île (Water Resources Agency, 2021). Toutefois, près de 25 % de l’eau récupérée est perdue en raison de fuites dans les réservoirs (American Institute in Taiwan, 2017). Par ailleurs, près de 89 % des pluies annuelles au sud du pays proviennent des typhons et ne peuvent pas être récupérées en totalité en raison de la capacité de stockage limitée des réservoirs en place. Une autre solution adoptée à Taïwan est l’eau souterraine. Selon les experts, cette voie ne serait cependant pas envisageable à long terme parce qu’une utilisation excessive des nappes phréatiques aurait des conséquences néfastes et irréversibles sur les affaissements de sol, les inondations et l’intrusion d’eau salée (American Institute in Taiwan, 2017).

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE, UN PROBLÈME MONDIAL

Près de 20 % des réserves mondiales d’eau douce se trouvent au Canada (Statistique Canada, 2018). Cet accès facile à l’eau a forgé la relation particulière qu’entretient la population avec une ressource précieuse souvent limitée ailleurs dans le monde. Un bilan annuel de l’usage de l’eau potable à Montréal indique que l’utilisation quotidienne d’eau a diminué de 30 % depuis 2011. La consommation de l’eau résidentielle y est toutefois estimée à 300 L/j , comparée à 141 L/j à Singapour (Ville de Montréal, 2019; Martin, 2015).

La crise climatique et environnementale montre plus que jamais l’importance de l’utilisation durable des ressources naturelles. Taïwan en est un bon exemple : des conditions de sécheresse dans la dernière année ont forcé l’État à imposer un rationnement de l’eau à différents niveaux dans le pays (Ministry of Foreign Affairs, Republic of China (Taiwan), 2021). Actuellement, l’État taïwanais favorise la construction de nouveaux réservoirs (Liang & Lee, 2020), malgré le fait qu’en mars dernier, plusieurs réservoirs n’étaient remplis qu’à moins de 20 % de leur capacité (figure 3.6) (Yang et al., 2021). Les chercheurs notent que le pays ne pourra plusse fier seulement à la pluie, et soulignent l’importance d’investissements majeurs pour le développement de solutions comme le dessalement électrochimique et la récupération d’eau, deux techniques déjà considérées àSingapour (Wang & Chang, 2021).

Figure 3.6 : Niveau d’utilisation des réservoirs d’eau

Malgré un accès à l’eau plus facile au Canada, un rapport publié en 2020 par le gouvernement du Québec conclut que les changements climatiques pourraient engendrer des problèmes aussi bien pour la qualité de l’eau que pour les quantités disponibles (Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, 2020). Il est difficile de prédire aujourd’hui les répercussions qu’auront de tels changements sur la population. Un fait ressort toutefois du rapport, à savoir que le mode actuel de gestion de l’eau aura un impact possiblement significatif sur les générations futures.

Heureusement, une étude s’attardant aux tendances en matière de gestion de l’eau partout au pays a montré que parmi les objectifs prioritaires devant guider les décisions du gouvernement figure « l’augmentation de la résilience des réseaux d’eau pour faire face [...] aux effets des changements climatiques » (Fédération canadienne des municipalités, 2019). Selon certains, la question de « l’or bleu » pourrait devenir une source de conflits internationaux. Dans cette perspective, il est temps plus que jamais que les gouvernements à travers le monde soient ingénieux et trouvent des moyens pour assurer à leur population un accès durable à cette ressource vitale.

• photo © Hu Chen

La colonisation des insulaires

Texte de Mickaël Salaün

Les échanges vers l’international ont été la clé du développement de Singapour et du Canada. En effet, l’industrie maritime prend une place importante dans l’économie de ces deux pays. En 2019, ils géraient un total de 1 660,5 G$ en marchandises (graphique 3.2), soit 5,7 % du commerce international (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), 2020a, 2020b). L’histoire de ces régions leur a permis d’être aujourd’hui parmi les plus grands commerçants maritimes par habitant. Lors de la colonisation, l’Angleterre a transmis son savoir à ses colonies pour favoriser les échanges et protéger les routes commerciales de produits de luxe rares en Europe. Ces connaissances ont permis le développement rapide de Singapour et du Canada, ce qui a mené à leur position dominante dans le secteur maritime.

Graphique 3.2 : Importance du commerce dans l’économie du Canada et de Singapour

L’EUROPE À LA RECHERCHE DE RESSOURCES UNIQUES

Au XVIIe siècle, les Européens sont à la recherche de produits de luxe. Les chapeaux de fourrure sont particulièrement recherchés, surtout en Angleterre où le marché est estimé à 4,9 millions d’unités par an (Carlos & Lewis, s. d.). Avec l’inflation, ce marché représenterait aujourd’hui près de 21,23 G$. Les grandes entreprises tentent alors de développer les territoires d’où provient la fourrure. La Compagnie de la Baie d’Hudson qui détient le monopole des fourrures nord-américaines développe le marché montréalais pour faire du commerce avec l’Angleterre (Newman, 1985). L’emplacement deMontréal lui offre un accès facile pour le commerce maritime et une proximité avec les trappeurs.

En Asie du Sud-Est, le commerce est plutôt contrôlé par les Hollandais. Les Pays-Bas possèdent Taïwan comme poste de traite pour assurer les échanges commerciaux avec la Chine et le Japon. Malgré la perte de Taïwan aux mains de la Chine, en 1662, les Pays-Bas maintiennent leur puissance commerciale dans la région. Pour réduire l’influence des Pays-Bas en Asie, la Compagnie britannique des Indes orientales achète Singapour en 1819. Singapour devient alors une base navale britannique contrôlant le commerce dans le détroit de Malacca. La position géographique de Singapour est cruciale puisque la majorité du commerce maritime entre l’Asie et l’Europe emprunte ce détroit. La base navale permet aussi de réduire la piraterie qui occasionne d’importantes pertes; on estime en effet que 25 % des bateaux sont attaqués et perdent leur marchandise (Wombwell, 2010).

Lors des conquêtes britanniques, les deux entreprises, la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie britannique des Indes orientales, effectuent un transfert de connaissances pour construire l’infrastructure maritime nécessaire au commerce. L’objectif est d’assurer un commerce efficace et efficient, en plus de maintenir une présence militaire destinée à empêcher les conquêtes qui pourraient compromettre le monopole sur un marché très prestigieux.

L'influence britannique
Au XVIIe siècle, les Anglais développent leur marine en profitant de l’accès avantageux au fer et au charbon des mines anglaises pour construire davantage de bateaux afin de rattraper leur retard sur les Français et les Hollandais qui avaient déjà commencé leur exploration à travers le globe (Snow, 2010). La puissance maritime de l’Angleterre, qui devance les autres, est importante à l’époque pour étendre sa colonisation et défendre les routes commerciales. L’importance du commerce force un développement rapide des infrastructures maritimes au Canada et à Singapour qui profitent du savoir anglais.

L’IMPORTANCE DE LA POSITION

Au XXIe siècle, l’industrie maritime est bien développée au Canada et à Singapour. À Singapour, le commerce maritime est deux fois supérieur au PIB du pays et le pays fait figure de leader mondial dans ce secteur avec un port connecté à plus de 600 ports dans 120 pays (CNUCED, 2020b; Maritime Singapore, s.d.). La cité-État siège depuis près de 25 ans au sein de l’Organisation maritime internationale et vise à promouvoir le transport maritime durable pour l’environnement. Le Canada tire quant à lui son pouvoir d’un accès à trois océans facilitant le commerce avec l’Asie et l’Europe grâce au Passage du Nord-Ouest. L’avantage d’emprunter ce dernier plutôt que le canal de Panama est la réduction de 2 000 km de distance sur mer afin d’atteindre les ports de la côte est nord-américaine. Cela permet une économie de temps, d’argent et d’émission de gaz à effet de serre (McGarrity & Gloystein, 2013). Le Canada devra instaurer des politiques pour le passage près de son territoire qui auront de grands impacts sur les relations internationales. Le tableau 3.2 présente les principaux partenaires commerciaux de Singapour et du Canada. L’industrie maritime prévoit une augmentation moyenne de 2,5 % annuellement jusqu’en 2040, comparé à 0,2 % pour le ferroviaire et 1,8 % pour le routier. Une augmentation de 12,8 % entre 2015 et 2040 est également prévue, principalement dans les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (World Maritime University, 2019). Singapour doit se préparer à l’augmentation future de l’industrie maritime pour préserver sa place parmi les chefs de file mondiaux du commerce maritime et maintenir son influence dans le monde.

Tableau 3.2 : Les principaux partenaires commerciaux du Canada et de Singapour


• photo © Kirill Petropavlov

Conflits en mer de Chine méridionale

Texte de Catherine Landry

La géopolitique est définie comme « la science qui étudie les rapports entre la géographie des États et leur politique » (Larousse, s. d.). Il ne fait aucun doute que les pays étant proches géographiquement entretiennent des relations privilégiées. Cette proximité géographique favorise les échanges de marchandises, mais aussi les échanges d’idées, de personnes ou de culture. Toutes deux situées dans la mer de Chine méridionale, Singapour et Taïwan doivent composer avec la présence du géant asiatique. Pourtant, leurs relations avec celui-ci ne pourraient pas être plus différentes.

DÉTROIT DE TAÏWAN

Le détroit de Taïwan est un endroit névralgique sur le plan géopolitique. Une ligne médiane, dessinée par un militaire américain en 1955 (figure 3.7), avait été respectée de manière tacite par le gouvernement chinois depuis 1958 (Ho, 2009). Pourtant, en septembre 2020, la Chine a envoyé 18 avions militaires au-delà de la ligne médiane alors qu’un officiel senior des États-Unis était en mission diplomatique à Taïwan (Blanchard & Tian, 2020). Le gouvernement taïwanais a perçu ce geste comme un acte d’agression et il a réagi en organisant des exercices militaires et en demandant l’appui de gouvernements étrangers, dont celui du Canada (Fife & Chase 2020). En cas de conflit armé entre Taïwan et la Chine continentale, Taïwan bénéficierait malgré tout d’un avantage géographique important. Malgré un budget militaire 25 fois plus élevé en Chine qu’àTaïwan, toutes les ressources militaires chinoises ne pourraient pas être contenues sur les berges de Taïwan.De plus, tous les aéronefs militaires de la Chine ne peuvent sillonner Taïwan en même temps vu la superficie du territoire (Zhuwei, 2020).

Figure 3.7 : Ligne médiane entre Taïwan et la Chine continentale

LE DÉTROIT DE MALACCA

Le détroit de Malacca, situé près de Singapour, est l’un des détroits les plus importants au monde. Près du quart du commerce maritime international passe parce plan d’eau étroit dont la partie la plus mince mesure seulement 2,7 km (figure 3.8) (Calamur, 2017). Ce passage étroit rend la navigation périlleuse; en 2015, 60 accidents y ont eu lieu (Calamur, 2017). Cette réa-lité a donné naissance, en 1977, au Tripartite Technical Experts Group, une organisation conjointe des trois États bordant le détroit de Malacca, soit Singapour, la Malaisie et l’Indonésie. L’objectif de ce groupe est d’accroître la sécurité de la navigation, de promouvoir la coopération et la coordination des efforts antipollution et de tenir des consultations avec les usagers du détroit (Marine Department Malaysia, 2021). Malgré tout, plusieurs autres États essaient de contrôler le détroit de Malacca, notamment les États-Unis et laChine. Dans les deux cas, leur intérêt est d’abord économique : 80 % des importations annuelles chinoises de pétrole transitent par le détroit de Malacca et 15 % du commerce maritime des États-Unis passe par la merde Chine méridionale (Devasher, 2020; China Power Team, 2017). Cet enjeu qui devient rapidement politique entraîne une présence militaire des deux pays. Alors que la Chine tente d’acquérir de petites îles dans la région pour y établir des bases militaires, les États-Unis concluent plutôt une alliance avec Singapour permettant l’utilisation du territoire pour y installer une partie de leur armée. Cet accord, signé en 2019, a fait de Singapour le pays ayant sur son territoire la plus grande base militaire américaine en Asie (Valori, 2020). Le contexte politique continue d’évoluer et de nouveaux joueurs risquent de s’ajouter à ceux déjà présents dans ce passage économique crucial.

Figure 3.8 : Emplacement du détroit de Malacca

LA NOUVELLE ROUTE DE LA SOIE

La nouvelle route de la soie, aussi appelée l’initiative Ceinture et route (Belt and Road Initiative), est un projet d’envergure proposé par le président chinoisXi Jinping qui a des répercussions à Singapour, à Taïwan et même au Canada. Cette initiative propose un plan de construction d’infrastructures comprenant six corridors commerciaux incluant des installations portuaires, des autoroutes, etc. (Service canadien du renseignement de sécurité, 2018). Afin de mettre ce projet en perspective, il est intéressant de se pencher sur la notion de centre de gravité économique mondial. Au début des années 1980, le centre de gravité économique était situé dans le nord de l’océan Atlantique, signe que les forces économiques étaient concentrées en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest. Comme le montre la figure 3.9, le centre de gravité mondial se déplace progressivement et se situera, en 2040, entre l’Inde et la Chine. Il est donc clair que l’initiative Ceinture et route accélérera ce déplace-ment et concentrera l’activité économique en Asie. Les relations géopolitiques seront plus importantes que jamais, notamment avec la proposition du président des États-Unis, Joe Biden, de créer une alliance entre États démocratiques pour rivaliser le projet de Xi Jinping (REUTERS, 2021). Singapour, qui est un important partenaire économique tant pour la Chine que pour les États-Unis, devra procéder avec prudence dans ses relations internationales. D’ailleurs, son économie repose sur le commerce maritime mondial et une baisse des échanges entre les trois pays pourrait s’avérer néfaste (Chandran, 2017). Taïwan est dans une situation similaire puisque son plus important partenaire économique demeure les États-Unis.

Centre de gravité économique mondial
Le centre de gravité économique mondial prend en considération les PIB de tous les pays du monde et calcule la position moyenne des activités économiques mondiales. Cette mesure a été popularisée en 2009 par des chercheurs suisses et elle est aujourd’hui utilisée par de grandes compagnies, comme McKinsey & Company.

Figure 3.9 : Déplacement du centre de gravité économique mondial entre 1980 et 2040

QUEL AVENIR EN MER DE CHINE MÉRIDIONALE?

Que ce soit dans le détroit de Taïwan ou dans le détroit de Malacca, les conflits possibles sont nombreux. Alors que les tensions montent entre la Chine et les États-Unis, Taïwan et Singapour risquent de se retrouver dans une position inconfortable. Leur pouvoir économique étant moindre, ils devront user de diplomatie pour conserver leur relation politique avec les deux géants. D’autres pays pourraient s’ajouter et complexifier l’équation. C’est notamment le cas de l’Inde qui cherche aussi à se tailler une place sur l’échiquier mondial.

• photo © Devansh Bhikajee

Les aéroports, mesure du succès d’une ville ?

Texte de Catherine Landry

L’industrie aérienne est une composante économique cruciale pour un État. L’accessibilité d’une ville par voie aérienne lui permet d’attirer des projets commerciaux et d’accroître sa présence internationale. Le transport de passagers permet aussi de dynamiser l’économie et d’offrir des services à tous les résidents. Historiquement, l’industrie aérienne était dépendante de la géographie. Au fil des ans, les avancées technologiques ont permis aux avions de parcourir chaque fois des distances plus grandes, réduisant cette contrainte géographique.

LA ROUTE DES KANGOUROUS

C’est en 1935 que la compagnie aérienne Qantas, aidée de son partenaire Imperial Airways, commence à opérer des vols entre Brisbane et Londres transitant par Singapour. Ce long trajet, qui peut alors prendre jusqu’à douze jours, transporte une dizaine de personnes et comporte de multiples escales. Au fil des ans, le nombre de ces escales diminue, mais Singapour conserve la sienne grâce à sa position géographique avantageuse et à la qualité de son aéroport (Curran, 2020). Précurseure de ses succès futurs, cette escale lui permet d’établir très tôt une présence mondiale dans le domaine de l’aérien.

MONTRÉAL, SIÈGE SOCIAL DE L’ORGANISATION D’AVIATION CIVILE INTERNATIONALE

À l’autre bout du monde, Montréal commence à faire sa place comme capitale mondiale de l’aviation civile. Comme Singapour, cette ville bénéficie d’une position géographique avantageuse. À mi-chemin entre l’Europe et les États-Unis et située très près de la côte est, elle est une escale de choix pour de nombreux vols. Lorsque vient le temps de désigner la métropole qui accueillera son siège social, l’Organisation d’aviation civile internationale (OACI) désigne Montréal. En plus de son emplacement de choix, « un délégué a même fait remarquer que les grands espaces du territoire canadien offriraient des possibilités illimitées pour la recherche et le développement dans le domaine de l’aviation » (OACI, s. d.).

Organisation d’aviation civile internationale
L’OACI est un organisme qui a pour but de proposer de nouvelles normes et pratiques recommandées dans le domaine aérien. Il regroupe 193 pays qui ont signé la convention de Chicago en 1944, permettant d’uniformiser les politiques aériennes à travers le monde (OACI, s. d.).

L’AÉROPORT DE MIRABEL, UN ÉCHEC

Fière de son succès auprès de l’OACI, Montréal se lance à pleine vitesse dans le développement de son industrie aérienne. En 1975, elle inaugure l’aéroport de Mirabel qui n’obtient que peu de succès. Deux contraintes géographiques peuvent expliquer l’échec de cette infrastructure. D’abord, malgré le fait que seulement 30 kilomètres séparent l’aéroport de Mirabel de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau deMontréal, cette distance est un désagrément pour les utilisateurs qui doivent effectuer une correspondance. En effet, les options de transport entre ces deux pôles sont limitées, autant au niveau des routes que du transport en commun. Ensuite, les progrès technologiques des aéronefs permettent à ceux-ci de parcourir de plus grandes distances sans s’arrêter. Toronto, bien que situé un peu plus à l’ouest, devient donc à son tour une escale de grande importance en raison entre autres de son succès économique (Discazeaux & Polèse, 2007).

LE JOYAU DE SINGAPOUR

C’est tout le contraire de Singapour qui a su maximiser son territoire restreint pour accueillir l’aéroport de Changi. La construction de l’aéroport, et principale-ment de ses terminaux, a été réalisée en grande partie à la suite de l’expansion de Singapour par l’ajout de canaux destinés à détourner trois cours d’eau (Tan, 2016) et de 200 millions de mètres cubes de sable permettant d’agrandir directement la superficie de la péninsule (Arulrajah et al., 2008). Ce projet a connu un succès incroyable et depuis 2000, l’aéroport deSingapour a été élu onze fois « meilleur aéroport au monde » par les voyageurs (Smith, 2020).

Le meilleur aéroport au monde
Pourquoi Changi est-il constamment désigné le meilleur aéroport au monde? Son jardin de papillons, ses cinémas 24 heures gratuits, sa piscine sur le toit et les stations de jeux vidéo y sont sûrement pour quelque chose! Évidemment, il ne faut pas oublier la chute d’eau intérieure de 40 m, la plus haute au monde.

ACCORDS DE CIEL OUVERTS

Il est intéressant de s’attarder à la particularité de Singapour par rapport à sa géographie. Comme mentionné précédemment, la cité-État bénéficie d’une intéressante situation géographique faisant d’elle la porte d’entrée de l’Asie, situation dont elle a su profiter en maximisant son territoire. Cependant, d’autres forces exogènes lui ont permis de développer son secteur aéronautique. Sa stabilité politique lui a permis de tisser des liens diplomatiques forts avec plusieurs autres pays. Pour pallier l’absence de vols intérieurs, Singapour a dû conclure des ententes avec plusieurs autres pays pour libéraliser les vols internationaux. Ces ententes sont illustrées à la figure 3.10. Singapour a d’ailleurs été pionnière en faisant partie, en 2001, du premier accord multilatéral entre pays provenant de différentes régions géographiques (Ministry of Transport, 2008).

Figure 3.10 : Accords aériens de Singapour

VOLS DIRECTS INTERDITS

Taïwan n’a pas cette opportunité de créer des accords internationaux, puisque l’OACI ne lui reconnaît pas d’identité politique distincte de celle de la Chine. D’ailleurs, ce n’est qu’en 2008 que Taïwan a pu offrir à sa population des vols directs vers la Chine continentale; avant cette date, tous les vols devaient faire escale dans une ville tierce, comme Hong Kong. Cette législation a tranquillement changé, en autorisant d’abord les vols directs uniquement durant les fêtes nationales, puis durant le week-end (Lin & Fu, 2014). La réouverture des vols entre les deux territoires permet à l’aéroport de Taipei d’ambitionner de devenir un hub majeur d’Asie. Il a d’ailleurs été démontré que deux pays partageant une langue commune auraient tendance à avoir plus de vols directs entre eux (Wills, 1978), un atout de taille pour Taïwan qui pourra attirer les touristes chinois, de plus en plus nombreux.

COVID-19

La pandémie mondiale de la COVID-19 a causé des changements majeurs pour plusieurs industries. L’industrie aérienne a été particulièrement touchée et a connu une baisse d’achalandage de 61 % (Mazareanu, 2021). Cette décroissance majeure détonne avec la tendance des dix dernières années qui avait enregistré une augmentation du transport de passagers de 7 % annuellement (Mazareanu, 2021). Certains événements avaient entraîné des baisses de trafic, notamment l’attentat du 11 septembre et la crise financière de 2008. Chaque fois, l’industrie a su s’adapter et rebondir rapidement. De tous les facteurs l’ayant affecté, la COVID-19 est de loin le plus important, comme l’illustre le graphique 3.3. L’adaptation de l’industrie aérienne à la pandémie risque d’être un vecteur d’innovation. Que ce soit par l’intermédiaire du vaccin, des tests COVID rapides ou des barrières physiques entre passagers dans les avions, il est certain que tout sera mis en œuvre pour permettre dès que possible la réouverture de l’industrie aérienne.

Graphique 3.3 : Évolution du trafic aérien mondial


• photo © Steven Wright

Synthèse

La géographie d’un pays influence tous les aspects de sa croissance. Que ce soit en matière d’établissement des premières colonies, d’approvisionnement en eau ou de relations diplomatiques, l’emplacement est crucial et chaque gouvernement se doit de tirer profit des avantages et des inconvénients. Le gouvernement de Singapour l’a bien compris et il a su maximiser son territoire restreint à travers des innovations audacieuses, telles que le remblaiement des terres ou la construction d’un aéroport haut de gamme. Taïwan, de son côté, devra relever plusieurs défis importants au cours des prochaines années, mais fait preuve de beaucoup de détermination pour les affronter. Montréal peut retenir de belles leçons de ces deux pays, surtout en ce qui a trait à l’étalement urbain et à la gestion des ressources naturelles.

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