DOSSIER 07
Lucas Chidiak
Mateo Le Coz
Victoire Monat

Transport et
mobilité urbaine

Les déplacements d’aujourd’hui dessinent les villes de demain. C’est pourquoi le transport et la mobilité sont au cœur des plans de développement des villes contemporaines comme Montréal, Taipei ou Singapour. Le secteur mondial du transport contribue actuellement à 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux énergies fossiles utilisées et exige une modernisation de la consommation énergétique (Groupe Banque mondiale, 2021). La planification des transports dans une ville doit répondre aux objectifs de mobilité active sécuritaire, de transport en commun résilient et de ville connectée.

À coup de pédales vers la mobilité durable

Texte de Mateo Le Coz

La mobilité durable revêt plusieurs visages. Parmi ceux-ci figure la mobilité active qui consiste à utiliser l’activité physique comme unique source d’énergie pour se déplacer. C’est un mode de déplacement durable ayant de grands bénéfices pour la santé humaine. Ce mode de transport demeure aujourd’hui minoritaire et souvent pratiqué pour la micromobilité, soit pour la première ou la dernière étape d’un déplacement. Cependant, autant au Québec qu’à Taïwan et à Singapour, les gouvernements mettent en place, depuis les dernières années, des initiatives pour favoriser la mobilité active.

La micromobilité
La micromobilité regroupe l’ensemble des déplacements et des modes de déplacement individuels légers, compacts, portatifs et complémentaires à d’autres moyens de transport. La micromobilité intervient sur de courtes ou de moyennes distances, en début ou en fin de parcours, le plus souvent dans des zones urbaines (Velco, 2021).

LE CLIMAT, UN FACTEUR MAJEUR

La mobilité active réfère généralement à la marche et au vélo. À ce titre, elle est souvent tributaire des conditions météorologiques qui règnent ici ou là, dans les différentes régions étudiées (graphique 7.1).

Graphique 7.1 : Comparaison des températures moyennes par mois

Les trois villes étudiées connaissent des variations climatologiques qui ont des impacts sur les déplacements actifs. D’un côté, la ville de Montréal subit des températures très froides et d’importantes accumulations de neige pendant près de la moitié de l’année. De l’autre, Singapour et Taïwan doivent vivre avec des températures plus élevées et une humidité élevée qui créent une atmosphère alourdie, réduisant le confort du transport actif (Shen et al., 2018).

Les facteurs climatologiques influencent le degré d’utilisation des transports actifs. Il est donc plausible de conclure que Montréal et Taipei ne jouissent pas à l’année d’un climat idéal pour la pratique du vélo et de la marche, mais que celui-ci est plutôt saisonnier. En effet, à Taipei, le transport actif se voit réduit durant les mois d’été tandis qu’à Montréal, c’est durant les mois hivernaux qu'on enregistre une baisse des transports actifs (Shen et al., 2018). Bien que Singapour présente un degré d’utilisation plus faible, celui-ci est de nature constante durant toute l’année.

UN VÉLO POUR TOUS

Le vélopartage joue un rôle clé dans le développement des transports actifs. Ce service promeut le vélo au sein des villes, ce qui rend son utilisation plus flexible. Deux modèles d’affaires ont été développés au cours des dernières années. Premièrement, il y a le modèle de partage de vélos sans quai géré par des entreprises privées comme Lime ou Mobike. L’objectif de ce modèle est de gagner de la flexibilité sur les déplacements (Shen et al., 2018). Deuxièmement, il existe le modèle avec quai de stationnement géré par des entreprises généralement publiques où l’on doit se déplacer d’un quai A à un quai B. L’entreprise BIXI, à Montréal, est un exemple de ce modèle.

Montréal à vélo
Saviez-vous que Montréal est la deuxième ville canadienne avec le plus de pistes cyclables? Calgary possède le plus grand réseau cyclable, soit 876 km alors qu’en 2020, la ville de Montréal comptait plus de 700 km de pistes cyclables.

La ville de Taipei développe depuis 2009 un système de vélopartage sur quai qui a atteint en 2019 une utilisation journalière de près de 100 000 personnes avec près de huit vélos/1 000 habitants (Shen et al., 2021). De leur côté, Singapour et Montréal De leur côté, Singapour et Montréal détiennent chacune un nombre similaire de vélos, soit près de quatre vélos/1 000 habitants. La ville du lion opte majoritairement pour des modèles d’affaires sans quai, alors que la cité nord-américaine utilise un modèle avec quai. Néanmoins, la ville de Montréal se démarque en 2020 des villes étudiées par l’ajout de 1 000 vélos à assistance électrique, un incitatif pour ses citoyens qui pourront désormais se déplacer sur de plus longues distances avec un effort moindre (BIXI Montréal, 2021).

La mobilité urbaine soulève d’importants défis au sein des villes étudiées, que ce soit en termes d’espace, de technologie ou d’habitude des populations. Dans ce contexte, la mobilité active apparaît comme une solution durable en ce sens qu’elle « stimule la productivité et la performance économique, favorise un environnement plus propre, encourage l’inclusion sociale et procure des bienfaits pour la santé des populations » (Groupe de travail sur la mobilité urbaine, 2020). Paramètre inéluctable de l’urbanisme du futur, la mobilité active reprendra-t-elle la place centrale qu’elle avait avant l’arrivée des transports motorisés? Pour le moment, les plans de développement urbain s’orientent pour un retour en force de la mobilité active.

• photo © Andrew Haimerl

Qui a dit qu’il fallait être propriétaire ?

Texte de Lucas Chidiak

Le changement de mentalité des nouvelles générations à l’égard de l’achat d’une voiture personnelle crée un besoin grandissant pour les modes de transport partagés (Eliot, 2019). Le marché global de la mobilité partagée a dépassé le cap des 60 G$ dans les trois plus grands marchés mondiaux, soit celui de la Chine, des États-Unis et de l’Europe. Les projections annuelles prévoient une augmentation de 20 % d’ici 2030 (McKinsey & Company, 2021). Il est donc essentiel pour les grands milieux urbains de se positionner rapidement pour accueillir ces changements.

LES TYPES DE MOBILITÉ PARTAGÉE

Le spectre de la mobilité partagée est complexe et nécessite d’être démystifié avant d’en faire l’analyse dans chacune des régions à l’étude. Des relations étroites entre la distance à parcourir, la flexibilité et le confort dictent le choix modal des usagers (figure 7.1).

Figure 7.1 : Spectre de la mobilité

En effet, lorsque la distance augmente, les utilisateurs ont tendance à favoriser la voiture personnelle comme mode de transport (Wagner & Shaheen, 2016). Les déplacements à Singapour et Taïwan sont généralement plus courts, dû à la densité urbaine très élevée. À l’opposé, le territoire canadien est bien plus vaste. Dans cette optique, la mobilité partagée est d’abord et avant tout une alternative de transport motorisé, autre que le transport en commun, permettant de s’affranchir du besoin de posséder une voiture (Dunsky Energy + Climate Advisors, 2017).

LA PLACE DE LA « MACHINE » DANS LA SOCIÉTÉ

La relation culturelle avec l’automobile est bien différente au Canada, à Singapour et à Taïwan. La littérature indique qu’il est possible d’observer une corrélation directe entre la richesse d’un pays et le nombre de citoyens possédant un véhicule (graphique 7.2).

Graphique 7.2 : Nombre de voitures par 1 000 habitants en fonction du produit intérieur brut par habitant en 2014

Par ailleurs, le nombre de véhicules par 1 000 habitants du Canada surpasse largement celui de Singapour et de Taïwan. Il est important de noter que le graphique 7.2 n’inclut pas les scouteurs.

Dans le cas de Singapour, malgré un PIB par habitant très élevé, le nombre de citoyens possédant un véhicule est nettement plus bas, défiant ainsi la tendance générale. Dès 1970, les institutions publiques anticipent le risque élevé de la gestion du territoire pour le transport automobile (Seik, 2000). Des mesures de contrôle des véhicules commencent alors à apparaître. En plus des grandes taxations, le gouvernement instaure en 1975 des Area Licensing Schemes, soit des permis restreignant aux usagers l’accès à des zones urbaines pendant certaines périodes de la journée. Le gouvernement implante aussi un système de quotas de véhicules qui contraint les citoyens à obtenir un certificat leur permettant de se procurer un nouveau véhicule. Le nombre de certificats émis, qui tient compte du type de véhicule et de son usage, ne peut dépasser 3 % d’augmentation annuelle (Seik, 2000).

Taïwan n’est pas du tout dans la même situation, puisque le véhicule dominant est le scouteur. En 2018, un sondage au sein de la population indique en effet que 74 % des répondants affirment posséder un scouteur (Statista Research Department, 2018). Introduit dans la société taïwanaise par les Japonais, ce moyen de transport est depuis longtemps ancré dans la culture locale (Chang et al., 2017). L’accessibilité et l’implantation sécuritaire dans le réseau routier ont vite fait de rendre ces véhicules essentiels dans le contexte de mobilité (Ministry of Transportation of the Republic of China, 2020).

DES MOYENS PARTAGÉS

Les modèles d’autopartage commerciaux se classent en deux grandes catégories : les services en boucle à station et les services en circulation libre. Indépendamment de leur catégorie, l’objectif est de réduire le nombre de véhicules sur les routes tout en offrant une solution flexible et abordable. La ville de Montréal est privilégiée en ce sens, car elle accueille depuis 1994 Communauto, le plus ancien service d’autopartage en Amérique du Nord, aujourd’hui présent dans quinze villes canadiennes ainsi qu’à Paris (Communauto, 2021). Communauto est la seule entreprise au monde à offrir simultanément le service en libre circulation et le service en station (Morency et al., 2020). Elle reste aussi la seule en son genre à exercer au Québec, à la suite du retrait de Car2Go, en 2020 (Teisceira-Lessard, 2019). Selon une étude menée par la firme Tecsult, en 2006, un véhicule Communauto substitue huit véhicules privés (Communauto, 2021).

Communauto
À titre de leader au Canada, Communauto profite de sa situation économique confortable pour exercer sa mission sociale et environnementale avec une flotte comprenant aujourd’hui plus de 50 % de véhicules hybrides et électriques. Cette flotte avant-gardiste permet à de nombreux Canadiens de se familiariser avec ces nouvelles technologies.

Comme mentionné précédemment, l’option de l’autopartage est particulièrement intéressante pour les citoyens de Singapour où l’acquisition de véhicules est ardue. Plusieurs entreprises saisissent des parts du marché et contrairement à la scène montréalaise, la compétition y est féroce. Parmi celles-ci, Car Club, fondée en 1997, est la première en son genre sur le territoire singapourien et elle s’est entre autres inspirée du modèle québécois lors de sa création (Seik, 2000). Rachetée en 2016 par la société japonaise Mitsui & Co, elle continue d’offrir un service d’autopartage en station et met de l’avant la technologie avec un service de navette autonome dans Gardens by the Bay (Car Club, 2021).

Sur l'île de Formose, la relation unique avec le scouteur amené en 2016 à la création de WeMo, une compagnie de partage de scouteurs électriques (WeMo Scooter, 2021). Ce service en libre circulation permet aux citoyens de profiter d’un maximum de flexibilité. Même si WeMo est le joueur dominant sur la scène taïwanaise, il a de nombreux concurrents, comme Gogoro qui révolutionne le modèle du scouteur partagé avec des stations à batteries échangeables (Shu, 2020). En somme, les services d’autopartage offerts à Singapour, à Taïwan et au Québec diffèrent considérablement, notamment en raison du contexte local qui joue un rôle clé dans l’adhésion des utilisateurs.

LE COVOITURAGE COMMERCIAL

L’économie de partage a rapidement chamboulé l’industrie du covoiturage commercial (Li et al., 2018). Au Québec, Uber fait son arrivée en 2014. Ce n’est toute-fois qu’entre 2016 et 2019 que l’entreprise est considérée comme un projet pilote par le gouvernement, en raison de la concurrence qu’elle représente pour l’industrie du taxi. La loi 17 adoptée par la suite réglemente la gestion tarifaire et des permis par l’État, légiférant ainsi l’entreprise californienne (Coiquaud & Morissette, 2019).

Singapour, qui désire occuper la place de Smart Nation, promeut l’innovation à tous les niveaux, et à ce titre, il était inconcevable pour son gouvernement d’interdire Uber. Sa stratégie consiste plutôt à aider l’industrie des taxis à se moderniser tout en encadrant les chauffeurs des compagnies de covoiturage commercial (Li et al., 2018). Toutefois, en 2013, quelques mois après l’entrée d’Uber sur le territoire singapourien, la compagnie concurrente Grab perce aussi le marché. Cette compagnie singapourienne qui offre des services très similaires à ceux d’Uber a comme avantage une connaissance pointue du marché de l’Asie du Sud-Est, ce qui lui permet de dominer la concurrence. En 2018, la division sud-asiatique d’Uber est rachetée par Grab en échange de 27,5 % des parts de marché de cette dernière (Shen, 2020). Aujourd’hui, 80 % du marché du covoiturage commercial à Singapour est détenu par Grab (Shen, 2020). L’entreprise qui continue de s’étendre en Asie du Sud-Est est désormais présente dans plus de 428 villes réparties dans huit pays (Olsen, 2021). Avec l’entrée récente en bourse de la super app, on peut s’attendre à une expansion rapide de celle-ci (Olsen, 2021). En somme, les avancées technologiques qu’occasionnent les nouvelles entreprises changent les mœurs de la société et l’expansion de la mobilité partagée, peu importe son modèle d’affaires, en est la preuve. Le spectre du choix modal s’agrandit en offrant toujours plus d’options aux usagers.

• photo © Jojo Tung

Le squelette du Lion : succès du transport en commun à Singapour

Texte de Victoire Monat

Ville piétonne, car-lite, à mobilité verte, intelligente et intégrée : ces concepts souvent associés à Singapour témoignent des ambitions avant-gardistes qu’entretient la ville en matière de mobilité à l’horizon 2040 (Land Transport Authority, 2020a). Cette vision est promue par la Land Transport Authority (LTA) qui dirige le transport terrestre à Singapour. Bien qu’elle soit maintenant à l’avant-garde du transport urbain, la ville du Lion a été quelque peu rébarbative au développement de ses infrastructures. Le Mass Rapid Transit (MRT) et le sous-réseau qui l’alimente – le Light Rapid Transit (LRT) – sont des réseaux de trains urbains, parfois souterrains, parfois aériens, qui connectent aujourd’hui presque tous les coins de la ville, alors que c’était loin d’être le cas il y a quelques années.

Car-lite
Sans définition formelle, la vision car-lite d’une société réfère pour plusieurs à l’implantation de mesures dans le but de réduire considérablement l’utilisation de la voiture privée au profit de solutions plus durables, comme les transports collectifs ou actifs (National University of Singapore, 2018).

UN RISQUE QUI A RAPPORTÉ

Contraint par son territoire et forcé de répondre à un besoin grandissant en matière de transport, le gouvernement de Singapour a rapidement soulevé l’importance de l’intégration des transports à la vie urbaine. Devant l’impossibilité de combler la demande croissante par la voiture personnelle, l’idée d’un réseau de transport structurant s’impose deux ans à peine après l’indépendance de la Malaisie, et fait partie du 1971 Concept Plan, le plan de développement à l’origine de la ville de Singapour qu’on connaît aujourd’hui (Gouvernement de Singapour, 2019c). Les premières restrictions à l’usage de la voiture sont instaurées aussi tôt qu’en 1970 (article 7.2 Qui a dit qu’il fallait être propriétaire?), donc bien avant la mise en service du MRT, en 1987 (Diao, 2019). Inauguré 21 ans après son équivalent montréalais, le MRT comprend alors seulement cinq stations étalées sur six kilomètres (Gouvernement de Singapour, 2019a). Projet initialement très controversé en raison des coûts, les débats et les études de faisabilité dureront une dizaine d’années avant que le gouvernement donne officiellement le feu vert (Gouvernement de Singapour, 2019b). Avec une expansion fulgurante du réseau de 279 % entre 1997 et 2020, le MRT figure aujourd’hui parmi les systèmes de transport en commun les plus efficaces au monde, alors que le métro de Montréal n’a connu qu’une croissance de trois stations durant la même période (Diao, 2019; Land Transport Authority, 2019; Société de transport de Montréal, 2021). Développé au départ pour combler un besoin urbain et économique, le MRT est aujourd’hui un véritable attrait urbain qui fait rayonnerSingapour à l’international.

PLUS DE ROUES EN PLUS DES RAILS

En 2018, parmi les 7,54 millions de déplacements quotidiens en transport en commun à Singapour, 55 % se faisaient à bord d’autobus, soit près de 12 % de plus qu’à bord du MRT (Müller, 2021a). Même si la colonne vertébrale du transport en commun à Singapour demeure le MRT, le réseau de bus est proportionnellement plus important. Les mesures mises de l’avant par la LTA, comme l’implantation de signaux et de voies réservées afin de rendre le service plus fiable et rapide, redonnent de la vitalité et de la popularité à cette option. Par exemple, l’achèvement du plus long corridor prioritaire (corridor nord-sud de 21,5 km) est prévu en 2026 (Land Transport Authority, 2020c; Land Transport Authority, 2020a). Somme toute, ces mesures permettront, selon les estimations, de réduire en moyenne de dix à quinze minutes le temps de transport pour les usagers (Land Transport Authority, 2020b).

SUR LA BONNE VOIE

Singapour a comme objectif que 75 % des déplacements durant les heures de pointe soient effectués en transport collectif ou actif en 2030. Cela peut paraître très ambitieux, mais la cible est presque atteinte : en 2016, 67 % des déplacements se faisaient en transport en commun ou par transport actif (Land Transport Authority, 2020a). Il s’agit d’une remarquable réalisation, comme en témoigne le graphique 7.3 qui compare la répartition modale des trois villes. En guise de com-paraison, même avec l’un des plus grands systèmes de transport métropolitain en Amérique du Nord, Montréal n’atteint que 31 % (Autorité régionale de transport métropolitain, 2020).

Graphique 7.3 : Répartition modale

Du côté de Singapour, comment aller chercher les quelques pourcentages restants? En continuant de fournir davantage de correspondances, d’offrir un meilleur service et de favoriser l’intégration et l’accessibilité; c’est la stratégie à trois volets qui a porté ses fruits jusqu’à maintenant (Land Transport Authority, 2020a).

Par exemple, un important projet d’expansion du MRT est en cours. L’ajout de 128 km de réseau et de 63 nouvelles stations est prévu d’ici 2030 (figure 7.2) (Land Transport Authority, 2019b). À titre comparatif, à Montréal, les projets en cours du REM et du REM de l’Est totalisent 99 km et 49 stations (CDPQ Infra, 2020). La LTA souhaite par ailleurs qu’en 2030, 80 % des habitants du pays résident à moins de dix minutes de marche d’une station de train.

Figure 7.2 : Réseaux de transports structurants projetés pour 2030 à Singapour, suivis du réseau de transport de Montréal, incluant le Réseau express métropolitain (REM) actuellement en construction

Cet objectif s’inscrit dans la vision 20-Minute Town, 45-Minute City, présentée dans le Master Plan 2040, le plan de mobilité 2040 de Singapour qui envisage que le centre-ville soit accessible en moins de 45 minutes et que les points d’intérêts quotidiens, l’épicerie par exemple, soient accessibles en moins de 20 minutes à la marche (walk), en vélo ou en engins de mobilité (cycle), ou en transports collectifs (ride) (Land Transport Authority, 2020b). En plus de favoriser la mobilité durable, la proximité des destinations et les transports durables, le walk-cycle-ride encourage l’autonomie et l’épanouissement des quartiers, tout en maintenant une connectivité globale. Il s’agit presque de l’utopie de la mobilité urbaine.

Land Transport Authority
Malgré la gestion exemplaire de la COVID-19 parles autorités singapouriennes, jugées parmi les meilleures au monde, les tendances de déplacement ont tout de même été grandement affectées (Bremmer, 2021). En 2020, la LTA a enregistré, par rapport à 2019, une baisse respective de 41 % et de 30 % dans l’achalandage du MRT et des autobus (Tan, 2021).

SOLUTION IDYLLIQUE OU SITUATION UNIQUE

D’un point de vue durable et fonctionnel, la mobilité du futur à Singapour peut sembler idéaliste. Les situations géographique et politique exceptionnelles de la ville favorisent toutefois l’atteinte de certains objectifs qui demeurent des rêves pour bien d’autres pays.

La vision à long terme envisagée par un gouvernement stable et cohérent est certainement un des facteurs du succès de la planification durable des transports et de l’implantation des infrastructures de transport en commun de la ville (Diao, 2019). La structure de pouvoir simplifiée, avec un seul organisme qui gère tout, facilite également la planification et la réalisation des projets. Ce n’est pas le cas à Montréal où certains secteurs relèvent de l’autorité fédérale, d’autres de l’autorité provinciale, sans compter les autorités régionales et municipales qui s’ajoutent. Ce contexte peut mettre des bâtons dans les roues au progrès et il peut être plus complexe de mettre de l’avant une vision unifiée.

La situation de cité-État de Singapour est un autre avantage qui la différencie en matière de connectivité. Au Québec, outre Montréal qui a développé un excellent réseau de transport en commun, l’idée que toute la province soit desservie par un même réseau est irréaliste. Cela l’est encore plus à l’échelle canadienne. Libre de cette contrainte, Singapour saisit l’occasion pour mettre de l’avant la vision idéale de la mobilité urbaine à l’échelle d’un pays.

Transformer la mobilité par l’électrification

Texte d'Anaïssia Franca

L’électrification des transports s’inscrit comme un élément transformateur. Il permettra de revisiter et de repenser nos modes de déplacement pour les rendre plus accessibles, abordables et efficaces. Ce faisant, il permettra en outre de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Chez WSP nous comprenons l’ampleur des transformations qui seront engendrées par l’électrification des transports. En plus de devoir repenser la chaîne d’approvisionnement des matériaux, leur récupération en fin de vie et les modes d’opération habituels, il faudra être conscient des limitations de production en électricité propre auxquelles plusieurs pays sont déjà confrontés. 

L’électrification des transports touche à de nombreux domaines et requiert un effort commun de la part des gouvernements, des municipalités, des producteurs d’électricité ainsi que des usagers et exploitants de parcs de véhicules. Pour les gouvernements, les principaux défis consistent d’une part à soutenir la recherche et le développement afin d’accélérer la transition et d’autre part, à encourager le développement du transport en commun et des aménagements urbains facilitant la mobilité durable. Le déploiement de ces stratégies permettra de créer des emplois sur le long terme tout en respectant les engagements de réduction des émissions de GES.

Pour les municipalités, le défi est d’inciter la population à repenser son utilisation des modes de transports durables, notamment en s’engageant à développer l’accès aux infrastructures de recharge pour les transports collectifs et actifs. De plus en plus de municipalités montrent l’exemple en transformant leurs parcs de véhicules par l’adoption de technologies de recharge ou de l’hydrogène.

Les fournisseurs d’électricité devront également innover pour produire de l’électricité moins polluante tout en offrant un service de qualité. Dans un contexte d'électrification des transports, elles devront répondre aux besoins croissants en énergie des populations et des industries tout en minimisant les répercussions majeures des pannes.

Les exploitants de parcs de véhicules privés ou publics se doivent quant à eux d’offrir un service répondant à la demande de leurs usagers et de leurs clients, tout en justifiant un retour sur leurs investissements leur permettant de poursuivre leurs opérations. La transition vers les technologies zéro émission exige une planification minutieuse des processus opérationnels pour s’assurer que l’adoption de cette technologie à grande échelle soit un succès sur l’ensemble des activités de chaque organisme. Les limites d’autonomie actuelles des véhicules à zéro émission compliquent la prise de certaines décisions : où doit-on déployer ces véhicules, quelle est la stratégie de recharge idéale et quelles sont les modifications en infrastructures nécessaires? Et comment mettre en œuvre un tel système? Les exigences de ces véhicules en matière de recharge entraînent des défis opérationnels pour pouvoir exploiter harmonieusement les parcs de véhicules, et ce, tant sur les routes que dans les garages. La modélisation du rendement des véhicules à zéro émission peut fournir de précieux renseignements pour planifier où et comment les véhicules à zéro émission à batterie électrique seront déployés.

Chez WSP, nous nous penchons chaque jour sur ces enjeux dans le cadre des mandats d’électrification. Nous travaillons avec de nombreux opérateurs de flottes de véhicules, en particulier des sociétés de transport en commun et de flottes municipales, et nous les soutenons dans leur plan d’électrification. Nous évaluons au mieux chaque solution pour trouver celle qui répondra adéquatement aux besoins d’électrification de nos clients.

Nous employons une approche analytique pour identifier les modifications d’infrastructures facilitant l’implantation de véhicules, de l’étude de faisabilité, aux schémas d’implantation, des inspections de la chaîne de montage à la livraison des véhicules, à leurs déploiements sur les routes et au suivi de leurs performances. 

L’avenir se prépare dès aujourd’hui et WSP possède l’expérience et l’expertise requises pour vous accompagner tout au long du parcours.

• photo © Hasin Farhan

Rechargez, prêts, partez !

Texte de Victoire Monat

L’électrification des transports figure parmi les stratégies de plusieurs gouvernements occidentaux afin d’atteindre les cibles de réduction de GES. Par exemple, au Québec en 2019, le tiers du budget environnemental provincial était destiné au programme d’achat de voiture électrique Roulez vert (Gouvernement du Québec, 2019). Le gouvernement de Singapour propose des initiatives semblables; son dernier budget, présenté en février 2021, prévoit des incitatifs pouvant aller jusqu’à une réduction de 42 000 $ à l’achat d’un véhicule électrique (Mohan, 2021). Au Québec, le cumul des incitatifs provinciaux et fédéraux s’élevait à 13 000 $ en 2020 (Gouvernement du Canada, 2020; Gouvernement du Québec, 2021). De son côté, Taïwan mise largement sur l’électrification des scouteurs, étant également un grand manufacturier de cet engin (Murphy, 2014). L’électrification des transports n’a toutefois pas les mêmes répercussions selon l’emplacement dans le monde.

L’IMPORTANCE DE LA PROVENANCE

En 2016, une étude menée aux États-Unis s’intéressait à la différence entre l’empreinte carbonique d’une voiture électrique par rapport à une voiture à combustion de faible consommation. La conclusion? Les voitures électriques ne sont pas toujours avantageuses et cela varie grandement selon des facteurs régionaux. La source d’énergie qui fournit le système électrique, la température, les modèles de voiture et les conditions de conduite seraient effectivement déterminants dans le bilan, davantage d’ailleurs que la simple technologie de propulsion (Yuksel et al., 2016).

Alors qu’au Québec, 99 % de l’électricité provient de sources hydroélectriques ou éoliennes (Gouvernement du Canada, 2021), Taïwan et Singapour ne sont pas du tout dans la même situation énergétique (graphique 7.4) et l’avantage des voitures électriques peut être remis en question. Le climat chaud des deux pays est favorable aux moteurs électriques des automobiles, en ce sens qu’il permet une meilleure performance des batteries (Yuksel et al., 2016). Or, l’électricité à Singapour provient quasi exclusivement de gaz naturel et une grande proportion de celle de Taïwan provient du charbon (37 %) et du gaz naturel (38 %) (Energy Market Authority, 2020; Chang, 2020). Leur avantage climatique a donc moins de poids dans la balance.

Graphique 7.4 : Sources énergétiques de production de l’électricité

Les milieux urbains très denses sont aussi un obstacle à l’installation de stations de recharge des véhicules, sans compter les émissions produites lors de la fabrication et du recyclage des batteries. Par contre, puisqu’ils n’émettent rien au moment de leur utilisation, ces véhicules améliorent indiscutablement la qualité de l’air, en plus de réduire la pollution sonore des villes (European Environment Agency, 2020).

LA RECHARGE COMMESOLUTION DE RECHANGE

Même si la possession d’une voiture, électrique ou non, peut être remise en question d’un point de vue de mobilité durable, l’électrification des transports présente tout de même un immense potentiel pour les transports collectifs, surtout du côté des autobus.

Taipei a par ailleurs comme objectif que tous ses autobus urbains soient électriques, et ce, dès 2030. L’électrification de la flotte a débuté en 2018 et il est prévu que plus de 500 bus électriques roulent sur les routes de la ville dès 2022 (Ssu-pei & Chin, 2020). Bien qu’initialement plus chers, ces bus requièrent moins d’entretien et sont plus confortables et sécuritaires pour les passagers, ce qui contribue à leur attrait.

En 2018, la Land Transport Authority (LTA) de Singapour a acheté de son côté une soixantaine d’auto-bus électriques. À ce jour, une vingtaine de ces autobus sont en service et dix d’entre eux sont des autobus à impériale (double decker). Plusieurs compagnies de taxi sont également pris les devants. C’est le cas de la compagnie HDT qui prévoit détenir une flotte de plus de 800 véhicules électriques d’ici 2022 (Kamil, 2018). Le programme national d’autopartage de BlueSG, endossé par la LTA, est un projet pilote d’autopartage électrique lancé en décembre 2017. Ce programme qui compte détenir 1 000 véhicules électriques et 2 000 bornes de recharge d’ici 2020 serait alors le deuxième plus grand programme de ce genre au monde (Abddullah, 2018).

Confrontée à plus de défis, dont les robustes hivers québécois, Montréal tire profit de l’expertise canadienne pour également mettre de l’avant l’électrification de ses bus. La Société de transport de Montréal a récemment fait l’acquisition de 30 nouveaux bus à longue autonomie de la compagnie New Flyer, établie à Winnipeg (Léveillé, 2020). Elle souhaite par ailleurs qu’à partir de 2025, toutes les nouvelles acquisitions soient électriques dans le but d’atteindre les cibles environnementales de 2040 (Société de transport de Montréal, 2021).

Malgré des répercussions sur l’environnement plus nuancées que ce qu’il y paraît au premier coup d’œil, l’électrification des transports est en pleine effervescence et il peut être bénéfique de commencer la transition graduellement. À terme, la voiture personnelle, électrique ou non, a tout de même un lourd bilan environnemental et d’autres solutions collectives doivent également être mises de l’avant. En travaillant en parallèle sur le changement vers des ressources énergétiques renouvelables, comme tente de le faire Singapour avec l’énergie solaire, par exemple, et sur la priorisation des transports collectifs, le futur s’annonce plus vert (National Climate Change Secretariat, 2021).

• photo © Phil Desforges

Transparence au profit de la mobilité

Texte de Lucas Chidiak et Mateo Le Coz

La densification urbaine engendre son lot de problèmes. Par exemple, en Asie, le coût direct de la congestion routière varie entre 2 % et 5 % du PIB. Les grandes métropoles mondiales cherchent donc à trouver une solution à travers la vision de villes intelligentes (McKinsey Global Institute, 2017). Montréal et Singapour sont des chefs de file dans le domaine de la gestion de données au service de la mobilité. Avec l’arrivée des véhicules intelligents et des récentes avancées technologiques en Internet des objets, des infrastructures robustes en gestion de données seront impératives pour la mobilité urbaine. Ces données permettent de comprendre la population et par le fait même d’être à son service.

DEUX VILLES, UNE STRATÉGIE

La planification urbaine à grande échelle s’appuie globalement sur des sondages au sein de la population, un processus coûteux qui n’est pas toujours représentatif des modèles de mobilité dynamique (Poonawala et al., 2016). Toutefois, les techniques d’acquisition de données sont nombreuses et diverses, les principales étant l’utilisation de senseurs fixes présents sur le réseau, de GPS intégrés et de caméras. Depuis la dernière décennie, le défi ne réside plus dans l’acquisition des données, mais plutôt dans la gestion et la qualité de celles-ci. En accord avec sa vision de ville intelligente, Singapour a créé, en 2011, un portail de données ouvertes regroupant les données de plus de 70 agences publiques ayant servi à concevoir à ce jour plus de 100 applications (Gouvernement de Singapour, 2021).

Un emplacement idéal pour les centres de données
Singapour est classée comme le deuxième meilleur pays où construire des centres de données, selon l’index de la firme The Arcadis publié en 2021. La capacité à stocker des données sera essentielle à la mobilité. La cité-État est reconnue pour son attraction d’investissements technologiques, sa facilité d’obtention de permis de construction gouvernementaux et sa vitesse de téléchargement Internet. Des solutions de centres de données souterrains sont actuellement à l’étude afin de remédier au manque d’espace sur le territoire (Wee, 2021).

De son côté, la métropole québécoise optait aussi, en 2015, pour un portail de données ouvertes (Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal, 2015). Montréal doit composer avec des défis relevant de l’anonymisation et de la confidentialité des données des citoyens; c’est pourquoi elle s’est munie, en 2020, d’une charte des données numériques afin de guider la gestion éthique de celles-ci (Breux & Diaz, 2021). Singapour doit elle aussi conjuguer avec ces défis. Toutefois, comme discuté avec M. François Thibodeau, conseiller technique en système de transport intelligent à la Ville de Montréal, une plus grande confiance de la population est accordée à Singapour, lui laissant ainsi une plus grande liberté d’acquisition de données. L’enjeu de souveraineté – un sujet sensible auprès de la population – est un défi de taille dans le processus d’acquisition de données, et ce, surtout à Montréal, puisqu’à Singapour, de nombreuses agences recueillent des données pour le gouvernement (Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal, 2020). En effet, comme abordé lors d’une vidéoconférence avec François Thibodeau, il existe une certaine contradiction entre la réticence des Montréalais à autoriser la fonction publique à utiliser leurs données quand la grande majorité accepte systématiquement de le faire pour des compagnies privées comme Google. Ainsi, malgré des stratégies de gestion de données en transport similaires, la stabilité politique et le dynamisme deSingapour lui accordent un avantage considérable dans sa vision à long terme de la mobilité et dans l’implémentation technologique de son réseau.

LES DONNÉES, LE SECRET POUR SE DÉPLACER

Malgré l’éventail de possibilités découlant de la variété et du volume de données disponibles sur la mobilité, les deux grandes branches d’application sont la planification intelligente, impliquant la compréhension des enjeux, et la gestion en temps réel de la mobilité. Les compagnies de vélopartage recueillent énormément de données sur la mobilité active citoyenne grâce au GPS intégré à leurs vélos (Kranish, 2021). Un défi majeur auquel ces entreprises font face est la gestion en temps réel de leur flotte pour rendre leurs appareils disponibles aux endroits désirés au moment adéquat. À Singapour, le défi d’optimisation est de taille puisque les compagnies de vélopartage telles que Lime et Mobike sont sans station. Leur solution repose sur l’utilisation de l’intelligence artificielle qui permet d’établir plusieurs scénarios et de récompenser les usagers choisissant de déposer leur vélo à l’endroit désiré par le modèle. Elles ont observé une amélioration de leur optimisation allant jusqu’à 40 % par rapport aux méthodes traditionnelles avec des données fixes (Varakantham, 2020).

La Ville de Montréal se démarque de ses homologues canadiennes en matière d’implantation de systèmes de transport intelligents (STI). À travers la gestion des données, ces systèmes permettent d’augmenter la rapidité d’intervention dans la gestion quotidienne des déplacements, de diagnostiquer les situations problématiques ou encore de planifier les nouvelles infrastructures en fonction des données observées. Un exemple concret est la mise en place d’un système de télécommunication interconnecté (lumières, caméras, panneaux de messages) permettant une gestion en temps réel de la circulation pour réagir en cas de besoin (Ville de Montréal, 2015).

La qualité avant tout
Brice Richard, conseiller stratégique pour Arup Singapour, et Martin Choinière, président de Civilia, s’entendent sur l’importance de prioriser la pertinence des données plutôt que la quantité. En effet, dans bien des cas, un niveau de précision élevé est demandé. Seulement, générer ce niveau de précision engendre des coûts importants; il est donc primordial selon ces deux experts de s’assurer de bien comprendre le contexte afin de choisir la solution adaptée.

En définitive, l’utilisation des données massives en transport permet d’améliorer la qualité de la mobilité. Il est important de cibler à l’avance les défis à surmonter et de rappeler que la technologie n’est qu’un moyen en soi. Ainsi, la transition du Big Data vers le Meaningful Data se fera naturellement.

• photo © Fahrul Azmi

Synthèse

Malgré les différences entre les villes étudiées, les plans de développement en matière de mobilité et de transport ont des points en commun. La mobilité active est en effet mise de l’avant avec le prolongement des réseaux cyclistes et l’amélioration de la qualité de la voirie. Les systèmes de partage d’automobiles et de scouteurs, de même que les solutions de vélopartage se diversifient au sein des villes, tandis que les systèmes de transport en commun prévoient une électrification de leur flotte et une augmentation du rayon d’action des Mass Rapid Transit. L’utilisation par les villes des données, de l’Internet des objets et de l’intelligence artificielle favorise l’innovation et l’engagement citoyen pour mettre en place le transport de demain.

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