DOSSIER 05
Florence Cimon-Paquet
Camille Leblanc-Robichaud
John Teasdale

SERVICES
FINANCIERS

Les produits et services proposés par les institutions financières offrent aux consommateurs de la flexibilité dans leurs opérations. L’essor récent de ces services a donné lieu à une grande quantité de nouvelles technologies distinctes au Canada, à Singapour et à Taïwan. Toutefois, la sécurité étant au centre des préoccupations des institutions financières, les multiples régulations complexifient la pratique des services financiers. Ce contexte entraîne ainsi la coopération entre gouvernements, institutions et startups en services financiers. Or, les positions socioculturelles et politiques des trois régions influencent grandement l'effervescence et la création de ces secteurs financiers. Les opportunités créées par ces technologies promeuvent l’autogestion et la liberté des opérations financières.

L’approche distinctive des objectifs communs des fonds souverains

Texte de John Teasdale

Les fonds souverains – ou fonds d’État – attirent de plus en plus de regards et de polémiques au sujet de leurs investissements majeurs chez de grands joueurs entrepreneuriaux. L’influence de la taille de l’investissement de ces fonds sur l’économie globale soulève d’ailleurs de multiples préoccupations à l’international (Wilson, 2020). Toutefois, ce levier financier est essentiel à la prospérité économique et à la présence mondiale d’une nation.

LA FORMATION DES FONDS

Le capital excédentaire d’un pays est généralement détenu par la banque centrale sous la forme de réserves. Plusieurs nations utilisent ces fonds par l’entremise d’investissements locaux ou étrangers afin d’optimiser le rendement des contribuables. Le fonds souverain est donc créé par l’État et géré par un investisseur institutionnel. Son objectif premier est de stabiliser l’économie d’un pays et de générer de la richesse pour les générations futures en diversifiant ses investissements (Wilson, 2020). Le risque du portefeuille est donc distribué parmi divers actifs, véhicules d’investissements et marchés afin de sécuriser le fonds en neutralisant la performance négative des investissements (Segal, 2020). Les multiples responsabilités prises en charge par un fonds d’État, telles que la gestion de fonds de pension, de budget du ministère, d’entreprises d’État et autres, gardent un but commun : assurer un service de gestion financière pour une entité gouvernementale. Or, l’émergence de fonds souverains promeut le développement économique international; depuis 2005, plus de 40 fonds souverain sont été établis, ce qui a permis d’accroître les réserves de capital des nations (Sovereign Wealth Fund Institute, 2021). L’angle de gestion de ces investissements diffère entre les nations et les gouvernements, ce qui se reflète directement dans leurs rendements respectifs.

UNE STRATÉGIE CIBLÉE

Le fonctionnement, la responsabilité ainsi que la gouvernance des fonds d’État varient grandement entre les pays. Au Canada, la constitution dicte la responsabilité exclusive des provinces à l’égard de leurs ressources naturelles et des profits qui en découlent. Chaque province a donc le devoir de créer ou de choisir un investisseur institutionnel pour gérer son capital à l’interne (Kandev, 2010).

Singapour possède deux fonds souverains distincts, le Government of Singapore Investment Corporation (abrégé GIC) et le Temasek Holdings. Établi en 1981, le GIC a pour objectif d’augmenter le pouvoir d’achat mondial de la cité-État en investissant dans des opportunités à l’étranger. Le fonds investit principalement à l’international avec une vision de profitabilité établie sur 20 ans et son portefeuille de 588 G$ comprend des investissements immobiliers, des parts de marché privé et des acquisitions d’entreprises. Alors que les deux fonds sont approvisionnés par les surplus budgétaires du ministère de la Finance de Singapour, les techniques et les secteurs d’investissement du second fonds, le Temasek, diffèrent de ceux du GIC (GIC, 2020).

Le Temasek agit en effet comme société de portefeuille pour le gouvernement de Singapour et possède des actions, des actifs et des parts dans plusieurs compagnies à Singapour et ailleurs. Ce fonds de 288 G$ investit majoritairement dans des compagnies locales afin de sécuriser les entreprises singapouriennes. Il permet en outre au gouvernement d’influencer les décisions de ces entreprises (Temasek, 2020).

La situation politique de Taïwan se traduit par l’absence de fonds souverain. Cette situation s’explique en partie par le manque de confiance envers le système politique. Bien que Taïwan compte la sixième plus grande réserve monétaire au monde, elle accuse un certain retard puisqu’elle est la seule nation parmi les quatre dragons d’Asie à ne pas détenir de fonds d’État (Fan, 2020). Les 500 G$ de la réserve de la banque centrale permettraient à Taïwan de diversifier ses actifs et ses investissements locaux et internationaux toutefois, plusieurs embûches se dressent face à la création d’un tel fonds. D’abord, Taïwan doit créer et embaucher une équipe d’investisseurs institutionnels de haut calibre, une expertise qu’elle ne possède pas actuellement (Shapiro, 2020). De plus, puisqu’elle n’est pas soutenue par le Fonds monétaire international, Taïwan sera laissée à elle-même en temps de crise ou lors de systèmes de corruption monétaires (Shapiro, 2020).

La Caisse de dépôt et placement du Québec
La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a été créée en 1965 afin de gérer les fonds et les régimes de la province. En 2020, son portefeuille de 360 G$ comprenait des revenus fixes, des actifs réels, des actions et d’autres placements. Les principaux clients de la CDPQ sont des institutions chapeautées par le gouvernement du Québec comme le Fonds de pension du Québec, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et leFonds des régimes de retraite.

LE RENDEMENT COMME PRIORITÉ

Le taux de rendement de ces trois investisseurs institutionnels est un bon indicateur pour comparer la performance des fonds. Il se définit comme la perte ou le profit des placements sur une période, exprimé en pourcentage (IG, 2021).

Les données du graphique 5.1 mettent en lumière les différentes variations du taux de rendement sur dix ans du fonds de la Caisse de dépôt et placement du Québec et des fonds d’État de Singapour, soit la Government of Singapore Investment Corporation et Temasek Holdings.

Graphique 5.1 : Comparaison de la variation du taux de rendement des trois fonds d’investissement entre 2011 et 2020

Le graphique 5.1 indique que les rendements moyens sur dix ans du Temasek, du GIC et de la CDPQ sont respectivement de 5,4 %, 3,7 % et 9,2 %. Ces écarts importants proviennent d’événements ciblés aux types d’investissements des fonds énumérés plus haut, mais également aux différents besoins et objectifs de gestion des fonds. Les principaux investissements de la CDPQ sont en Amérique du Nord, alors que ceux du Temasek visent des investissements locaux à Singapour. Lim Chow Kiat, chef de la direction du GIC, explique que le fonds entre dans une période stagnante dont témoignait, en 2020, le faible rendement de 2,7 %. L’objectif principal du portefeuille du GIC est de combattre l’inflation et il devra donc être observé sur une période de 20 ans. De plus, la stratégie de l’investisseur institutionnel est de tirer avantage de ses compétences et de sa présence internationale pour trouver des occasions d’investissements attrayantes à long terme (Tan, 2020). Or, le caractère conservateur du GIC explique le faible rendement dans le temps de son portefeuille, comparativement au Temasek (GIC, 2021).

Par leur nature, les investissements du Temasek sont sujets à plus de risques, d’où la grande volatilité observée au graphique 5.1. Ceux-ci se concentrent en partie dans des secteurs de croissance actuels tels que les technologies financières, le développement durable et les organisations de recherche. Selon le fonds, il est important d’investir dans des entreprises où l’on peut concrètement percevoir la croissance à travers l’utilisation des consommateurs (Dayani, 2019).

Le rendement remarquable de la CDPQ dépasse les deux autres fonds de 3,8 et 5,5 points de pourcentage. Bien qu’elle ait été frappée par de faibles rendements en immobilier au cours de la pandémie, Charles Émond, président de la Caisse, est d’avis que le rendement élevé des placements privés offre une valeur ajoutée attrayante au fonds (Caisse de dépôt et placement du Québec, 2021). Cette stratégie d’investissements dans le secteur privé, observée principalement en Amérique du Nord, permet d’augmenter l’impact à l’interne dans les entreprises et donc d’obtenir des rendements supérieurs. Cette implication au privé augmente l’exposition au marché global et permet la transition du portefeuille vers le futur (Kolivakis, 2020).

L’impact économique de la pandémie de la COVID-19 aiguise l’aversion aux risques des marchés. Dans la foulée des mesures agressives des gouvernements afin de limiter la propagation du virus, la fermeture d’entreprises et les restrictions de voyage engendrent une érosion de la confiance du marché financier (Organisation de coopération et de développement économiques, 2020). Malgré la baisse générale du rendement des trois fonds en 2020, la stratégie de sécurité des portefeuilles se fait ressentir par leurs retours sur investissements positifs. L’importance de la diversification des portefeuilles, des processus d’allocation d’investissements rigoureux et des stratégies de rendement à long terme est soulignée par le dépassement de l’inflation de deux des trois fonds en 2020 (O’Neill, 2021).

• photo © Nick Fewings

La numérisation des services d’assurance aux particuliers

Texte de Camille Leblanc-Robichaud et John Teasdale

Le secteur de l’assurance fournit aux individus, aux compagnies et aux organisations un service de protection contre des risques non souhaitables associés à tout événement relatif à la propriété. C’est la nature particulière de ce type de service qui engendre une complexité propre à ce secteur. En effet, puisque les modèles financiers s’échelonnent sur des années, les changements opérationnels sont souvent difficiles à effectuer, ce qui rend le marché moins dynamique, au Canada du moins.

L’insurtech
L’insurtech, une combinaison des mots « assurance » et « technologie », inspirée du terme « fintech » associé aux technologies financières, désigne l’utilisationd’innovations technologiques destinées à extraire des économies et de l’efficacité du modèle actuel du secteur de l’assurance. Le marché mondial devrait connaître une croissance annuelle de 41 % entre 2019et 2023 (Hargrave, 2020).

LE SECTEUR DE L’ASSURANCE SE RÉINVENTE

Une tendance actuellement observée dans le secteur de l’assurance au Canada est la numérisation des services (figure 5.1). La clientèle arrivant sur le marché est plus agile technologiquement, mais aussi plus confiante sur les plateformes Web. Selon une étude sur le marché de l’assurance dommages au Canada, plus le consommateur est jeune, plus celui-ci juge pratique de recevoir des textos de la part de son assureur (Deloitte, 2020). Cette tendance force les fournisseurs d’assurance à dynamiser leur approche, notamment sur les réseaux sociaux. Comme 58 % des utilisateurs de téléphone intelligent suivent des sites d’entreprise sur les médias sociaux, les entreprises se tournent vers ces plateformes pour rejoindre la clientèle, et les assureurs n’y font pas exception (Deloitte, 2020). À cet effet, l’insurtech Emma, une entreprise montréalaise, utilise des stratégies marketing bien connues sur le marché, mais considérablement innovatrices dans le secteur de l’assurance vie canadienne et québécoise. Pour rejoindre leur clientèle, Félix Deschatelets mentionne que les insurtechs comme Emma engagent des ambassadeurs sur Instagram et utilisent le clavardage pour les abonnements en ligne, une approche qui fait ses preuves et qui a été démontrée par le succès grandissant qu’elle connaît auprès des nouvelles générations arrivant sur le marché. Toutefois, les grandes institutions financières n’ont pas la flexibilité et l’agilité d’une insurtech, il faudra donc potentiellement plusieurs années à ces géants du marché pour mettre en application les changements opérationnels.

Figure 5.1 : Les nouvelles technologies financières

SINGAPOUR, LA PIONNIÈRE

En Asie du Sud-Est, Singapour est un centre majeur et une pionnière dans le domaine des services d’assurances numériques, alors que le reste de la région reste peu desservi par ces services (Bain & Company, 2019). Malgré les réglementations complexes et le lent progrès du secteur de l’assurance numérique, le désir de collaboration entre les compagnies d’assurance et les startups d’insurtechs crée, dans la cité-État, un écosystème propice à l’innovation au sein de cette industrie (Chum, 2021). Avec la plus grande concentration de startups d’insurtechs dans la région, les 80 entreprises dédiées à ce secteur reçoivent 17 % du marché de l’investissement destiné aux technologies financières de la nation (Fintechnews Singapore, 2020). Ce marché est divisé entre plusieurs autres secteurs de fintechs tels que la gestion de données, la blockchain, la gestion de valeur et plusieurs autres. Par ailleurs, 26 % des plus grands défis de l’assurance numérique pour le futur touchent la modification des demandes et les aspirations des consommateurs pour intégrer les services d’insurtech dans leur quotidien (Oliver Wyman & Singapour FinTech Association, 2020). Bien que la clientèle singapourienne se démarque par son intérêt pour les solutions numériques, il est laborieux de vendre de nouveaux services d’assurances dans la cité-État puisque l’assurance y est considérée comme une nécessité dont on se débarrasse et qui a peu de valeur (Goh, 2021).

LA MONTÉE TAÏWANAISE

De l’autre côté de la mer de Chine méridionale, Taïwan enregistre la plus haute pénétration du marché de l’assurance au monde. Sa population, consciente des risques environnants, prône l’achat de polices d’assurance avec l’objectif de protéger ses avoirs et d’économiser (Digital Insurer, 2020). La grande densité d’assureurs de tous types et les faibles taux d’intérêt incitent les consommateurs à s’assurer et le secteur atteignait les 6,1 G$ en 2019. L’excellente gestion de la pandémie, en 2020, a permis à la croissance du produit intérieur brut (PIB) de Taïwan (3,31 %) de dépasser celle de la Chine (2,3 %) pour la première fois depuis 30 ans, ce qui influence positivement le secteur de l’assurance de l’île (GlobalData, 2021). Toutefois, il n’existe pas de compagnie d’assurance exclusivement numérique à Taïwan puisque les services financiers numériques sont complexes dans les domaines opérationnel et législatif. Malgré ces barrières à l’entrée, plusieurs grands joueurs des Asia-Pacific Countries, à l’extérieur de Taïwan, veulent cibler les consommateurs taïwanais afin d’intégrer les insurtechs dans le marché d’assurance mature de la nation (Lewis, 2020). La Financial Supervisory Commission coopère d’ailleurs avec les imminentes banques en ligne et pourrait aider ces géants d’insurtechs à pénétrer le marché taïwanais (Digital Insurer, 2020).

La numérisation des services en assurance est sans contredit une tendance observée dans les marchés taïwanais, singapourien et canadien. La grande valeur ajoutée pour les utilisateurs de tels services propulse son développement auprès des compagnies d’assurance. Toutefois, les multiples régulations du marché ralentissent les innovations dans ce secteur.

• photo © Sean Lim

Un besoin de transparence

Texte de Camille Leblanc-Robichaud

La réglementation visant les bonnes pratiques commerciales peut être utilisée comme facilitatrice dans certains secteurs en développement (Lin, 2019). Le domaine de l’intelligence artificielle (IA) n’y fait pas exception. Au cours des dernières années, nombreuses sont les nations qui ont appliqué un encadrement réglementaire à l’intelligence artificielle afin de lui permettre de s’épanouir dans un environnement balisé. Cet encadrement témoigne de la volonté de contenir son expansion, mais également d’y inscrire une dimension sociale et des vertus de transparence.

LES DOMAINES D’APPLICATION

L’intelligence artificielle et l’analyse de données (Artificial Intelligence and Data Analytics, abrégé AIDA) sont des technologies qui assistent, voire remplacent l’humain dans la prise de décision (Monetary Authority of Singapore, 2021). Lorsqu’elles sont appliquées aux services financiers, elles peuvent prendre des formes diverses selon le secteur. Dans le secteur bancaire, les techniques plus récentes de réseau de neurones permettent d’analyser les données afin de garantir une meilleure évaluation de la solvabilité des emprunteurs (Organisation de coopération et de développement économiques, 2021). Certaines plateformes de crédit fintech peuvent, quant à elles, utiliser l’intelligence artificielle pour évaluer en quelques clics le crédit attribué à un individu. L’utilisation de cette technologie, qui réduit grandement le coût de traitement de l’information, est souvent profitable autant à l’emprunteur qu’au prêteur (Financial Stability Board, 2017). Au laboratoire sur l’intelligence artificielle de Taïwan (Pervasive Artificial IntelligenceResearch Laboratory, abrégé PAIR), de nombreux projets de recherche sont en cours, notamment concernant la gestion du risque, la répartition des actifs et la tarification des produits dérivés (derivatives pricing) (PAIR, 2021). Fin-ML, un centre universitaire montréalais axé sur la science des données, travaille de façon similaire sur des projets de recherche portant sur la détection d’anomalies dans les transactions financières, la prévision et les évaluations de marché, l’estimation de l’espérance de vie des clients ainsi que l’intégration de l’intelligence artificielle à l’investissement durable (Fin-ML, 2021). En visant l’optimisation des processus internes, ces applications permettent souvent de mieux fonctionnent qu’en intégrant des données et des objectifs explicitement programmés par leurs concepteurs et n’intègrent pas le contexte plus large, ou les contraintes morales que les humains tiennent pour acquises. Par conséquent, ils peuvent causer des préjudices involontaires et perpétuer ou renforcer les biais sociaux cognitifs existant dans la société, ce qui peut entraîner des risques de réputation ou opérationnels pour les institutions financières qui les utilisent (Monetary Authority of Singapore, 2021). C’est dans cette optique que la réglementation des bonnes pratiques lors de la conception d’outils d’analyse prend alors tout son sens.

Les yeux tournés vers l’IA
Une étude réalisée conjointement par l’Université de Cambridge et le Forum économique mondial a révélé que 77 % des institutions financières consultées s’attendent à ce que l’IA devienne un élément important de leurs activités d’ici 2022 (Ryll et al., 2020).

SINGAPOUR MÈNE LA PARADE

L’intégration de la dimension sociale en intelligence artificielle soulève de nombreux questionnements, et ce, pour tous ses domaines d’application (Gilbert, 2020). Dans les dernières années, les yeux se sont tournés vers la cité-État, alors que l’Institut monétaire de Singapour (Monetary Institute of Singapore, abrégé MAS) publiait des principes visant à promouvoir l’équité, l’éthique, la responsabilité et la transparence (Fairness, Ethics, Accountability and Transparency, abrégé FEAT) dans l’utilisation de l’intelligence artificielle et de l’analyse des données appliquées au secteur financier (figure 5.2).

Figure 5.2 : Principes d’équité, d’éthique, de responsabilité et de transparence à Singapour

À travers l’élaboration de ces principes, le MAS tente d’aider les entreprises à développer et à déployer des technologies d’IA de manière responsable. Agissant à titre de banque centrale, de superviseur du secteur financier et de facilitateur du marché, le MAS possède la triple mission d’assurer une croissance économique soutenue en gérant le taux de change et les liquidités du secteur bancaire. Le MAS favorise aussi le bon fonctionnement et la bonne conduite des marchés en effectuant une surveillance de toutes les institutions financières et promeut le développement des technologies dans le secteur financier de Singapour (MAS, 2021). Son projet Veritas énonce des principes et publie des guides pour les institutions, afin d’assurer un environnement propice à l’innovation en encadrant les bonnes pratiques. Ce projet permet de donner des outils concrets d’aide aux entreprises, initiative pour le moins novatrice dans le marché mondial.

LE CANADA EMBOÎTE LE PAS

Une des tendances observées sur le marché canadien en matière de services financiers, comme le mentionne Rheia Khalaf lors d’une vidéoconférence avec Fin-ML, est la transparence requise par le consommateur. Les applications de l’intelligence artificielle, dans le domaine bancaire et de l’assurance notamment, soulèvent des questionnements sur l’utilisation des données des consommateurs et sur la notion de propriété des données. Au Québec, le projet de loi 64 sur la protection des renseignements adopté en octobre 2020 vise à moderniser l’encadrement juridique en réaction aux récents développements technologiques (Centre d’accès à l’information juridique, 2021). Les notions de consentement de partage des données, de propriété sur les données et un éclaircissement de la définition de« données sensibles » y sont entre autres abordées. En somme, ce projet de loi vise à établir un cadre de travail balisant les applications de l’intelligence artificielle, notamment dans l’Open Banking.

L'Open Banking
Le système bancaire ouvert, plus connu sous le nom Open Banking, permet le partage, en toute sécurité, de données financières entre un compte de banque et d’autres applications financières. Bien qu’il ne soit pas disponible au Canada, ce service comporte néanmoins plusieurs avantages, dont l’accès à une plus grande gamme de produits et de services ainsi qu’un meilleur contrôle des données financières personnelles (Gouvernement du Canada, 2021).

En somme, le Canada et Singapour offrent tous deux d’excellents environnements réglementaires dans le domaine des services financiers et plus particulièrement, en matière de confidentialité et de sécurité des données. Cela permet aux deux entités d’être performantes sur le marché financier, dans des secteurs totalement différents. Le Canada performe en effet dans le secteur des services financiers de détail, les fintechs étant davantage axées sur les paiements, la gestion de patrimoine et les prêts à la consommation. En conséquence, les réglementation sont tendance à être plus axées sur la confidentialité des données personnelles des consommateurs. Singapour, qui détient l’un des secteurs financiers les plus importants au monde, met davantage l’accent sur les lois de protection des données et la sécurité des données afin de créer un écosystème favorable à l’implantation des technologies. Certaines similitudes entre les deux environnements réglementaires peuvent toutefois être observées dans la manière d’établir les lois visant la transparence et élaborées dans le cadre de collaboration entre les secteurs public et privé.

• photo © Bady Abbas

L’influence des facteurs socioculturels dans l’effervescence des fintechs

Texte de Florence Cimon-Paquet

L’arrivée d’Internet, au début des années 1990, bouleverse les marchés financiers à l’échelle mondiale et induit un progrès technologique qui mène au développement de la finance électronique (Lee et Shin, 2018). Depuis la crise économique de 2008, une nouvelle ère des technologies financières voit le jour. Or, ce n’est qu’en 2014 que s’observe une croissance accrue de l’intérêt des industries, des consommateurs et des régulateurs pour les fintechs (Accenture, 2015).

LE CONFUCIANISME AU CŒUR DE L’EFFERVESCENCE

Très répandu en Asie de l’Est et dans la culture chinoise, le confucianisme est une philosophie qui a profondément influencé la culture entrepreneuriale. Certains experts suggèrent même qu’elle aurait été un des facteurs pivots de l’essor économique de la région, dans les années 1980 et 1990 (Chan, 2007). À Singapour notamment, plusieurs premiers ministres et présidents, dont Lee Kuan Yew, Goh Chok Tong et Wee Kim Wee ainsi que le People’s Action Party (PAP), redonnent vie à cette philosophie en l’intégrant fortement dans l’idéologie de l’État (Gouvernement de Singapour, 2014; Mydans, 2015). Le néo-confucianisme se forge ainsi dans l’identité nationale avec la publication, en 1991, des Shared Values (article 1.3 Vivre et penser, l’influence des religions), soit les cinq valeurs communes de Singapour (Gouvernement de Singapour, 1991; Tan, 2012).

L'inclusion financière à l'échelle mondiale
La conférence sur l’écosystème fintech canadien, réalisée dans le cadre du Congrès Poly-Monde, a permis à l’équipe d’approfondir la réalité mondiale de l’inclusion financière. Environ 1,7 milliard de personnes dans le monde n’ont toujours pas accès à des services financiers de base (Banque mondiale, 2017). Plusieurs opportunités s’offrent aux fintechs et aux institutions pour combler ces besoins. Elles pourraient notamment personnaliser l’offre pour accroître la pertinence et élargir la portée de l’adoption des comptes, innover les canaux pour atteindre plus de clients à moindre coût, ou encore atténuer les risques de manière créative pour pallier l’absence d’historique de crédit (Haineault & Wong, 2021).

Comparativement à l’idéologie occidentale, plus individualiste, le néo-confucianisme adopté par la cité-État favorise une approche plus communautaire qui met de l’avant les intérêts communs. En effet, les chefs d’État singapouriens ont souvent eu recours au concept de l’identité nationale dans le but de conserver les différents héritages culturels et de créer les fondements « d’être singapourien » (Gouvernement de Singapour, 2014). L’avènement des fintechs a permis de répondre aux besoins non comblés par les institutions financières traditionnelles, en plus de faciliter l’accès aux services financiers des personnes desservies (Oliver Wyman & Singapore FinTech Association, 2020; Banque mondiale, 2018). C’est entre autres par l’inclusion financière que les fondements des fintechs s’entrelacent avec la philosophie confucéenne de Singapour. En effet, la troisième valeur commune stipule que chaque citoyen doit se voir offrir des chances égales de bénéficier de la croissance économique (Tan, 2012). Bien que plusieurs autres facteurs aient contribué à l’essor des technologies financières, l’influence confucéenne est un élément non négligeable dans la montée du secteur et dans le succès économique de Singapour.

Le Singapore FinTech Festival
Le Singapore FinTech Festival est le plus grand festival de fintechs au monde. De nombreux acteurs des secteurs financier et technologique, des chefs d’État et des investisseurs se réunissent annuellement pour y participer. En 2020, plus de 60 000 participants et plus de 160 pays étaient présents (Singapore FinTechFestival, 2021).

UN ÉCOSYSTÈME FAVORABLE

À la suite de son indépendance, en 1965, Singapour décide d’ouvrir complètement son économie afin de maximiser les bénéfices de la mondialisation et d’opter pour une forte présence des pouvoirs publics dans son économie (Figoni, 2012). Les différentes stratégies prises par la cité-État lui ont permis de devenir le centre économique qu’elle est aujourd’hui. Interventionniste dans son approche, le gouvernement singapourien joue, par l’entremise du MAS, un rôle important dans l’essor des technologies financières. Effectivement, le « bac à sable réglementaire », le MAS Fintech Regulatory Sandbox, permet d’encadrer les nouvelles technologies afin d’offrir aux entreprises un environnement de développement sécurisé (Monetary Authority of Singapore, 2020).

Le BLOCK71
Le BLOCK71 Singapore est une grappe technologique créée en 2011 par NUS Entreprise en collaboration avec SingTel Innov8 et la Media Development Authority of Singapore. L’objectif principal était de rassembler la communauté d’entrepreneurs pour renforcer la synergie et les économies d’échelle. Aujourd’hui, le BLOCK71 abrite plusieurs centaines de startups technologiques, des sociétés en capital de risque ainsi que des incubateurs (BLOCK71 Singapore, 2019).

Dotées d’une grande habileté à développer rapidement de nouvelles technologies, les startups sont essentielles à l’écosystème des fintechs (figure 5.3). La présence d’accélérateurs et d’incubateurs en technologie vise donc à les aider et à les encadrer afin qu’elles puissent croître. Le bassin de talents constitue également une force non négligeable de la cité-État (Oliver Wyman & Singapore FinTech Association, 2020).

Figure 5.3 : Les cinq éléments de l’écosystème des fintechs

Considérée comme le hub asiatique des fintechs, Singapour se classe au troisième rang mondial comme écosystème fintech, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, tandis que le Canada figure au neuvième rang (tableau 5.1). Tout comme l’écosystème singapourien, le Canada, et plus précisément Montréal, possède des avantages propices au développement des fintechs, dont un vaste bassin de talents, un secteur financier de haut calibre, un imposant secteur en technologie de l’information, une expertise ciblée en intelligence artificielle ainsi qu’un important réseau d’investissement en capital de risque (Montréal International, 2021). Toutefois, le Canada accumule un certain retard comparativement aux autres grands centres économiques mondiaux. En effet, une diminution des fonds et des transactions des fintechs, en 2019, pourrait expliquer en partie la position du Canada dans le classement global (CB Insights, 2020).

Tableau 5.1 : Top 10 du classement mondial des écosystèmes fintech

• photo © Kevin Mak

Vers une nation intelligente

Texte de Florence Cimon-Paquet

Au cours des dernières années, le secteur financier a connu un virage numérique. En effet, plusieurs innovations en découlent et de nouveaux acteurs non traditionnels viennent perturber le marché. Depuis longtemps, les nouveaux entrants sur le marché financier ont connu des difficultés à percer et à faire leur place parmi les grandes institutions financières (PwC, 2020). Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les nouvelles technologies sont devenues des forces motrices qui viennent redéfinir le marché.

UN VIRAGE NUMÉRIQUE ACCÉLÉRÉ

Le secteur financier, récemment par la crise de 2008, se voit à nouveau affecté par la crise sanitaire (The Economist, 2020). Or, cette fois-ci, les institutions bancaires seront essentielles à la relance économique (Bellens & Pogson, 2020). En effet, l'accélération de la numérisation des services financiers et l'épanouissement marché des fintechs sont palpables, et ce, malgré la crise (Banque mondiale, 2020).

De son côté, Singapour avait déjà bien entamé son virage numérique et le voit s’accélérer davantage en raison de la crise sanitaire (FintechNews, 2020). Étant un centre économique, plusieurs initiatives étaient déjà instaurées au sein de la nation (figure 5.4).

Figure 5.4 : Initiatives soutenues par le secteur public de Singapour

En raison du manque de financement en temps de crise, les entreprises et les startups ont eu beaucoup de difficulté à gérer les impacts de la pandémie; le graphique 5.2 montre que le financement des fintechs s’avère grandement affecté (CB Insights, 2020). En Asie, une chute du financement se fait ressentir, particulièrement dans les marchés indien et chinois (Oliver Wyman & Singapore FinTech Association, 2020). Le gouvernement singapourien met alors en place des mesures pour venir en aide aux secteurs financiers et aux technologies financières. Le MAS annonce un soutien d’environ 120 M$ pour les fintechs et le secteur financier en plus d'offrir près de 6 M$ aux fintechs singapouriennes pour faire face aux défis liés à la crise sanitaire (Monetary Authority of Singapore, 2020).

Graphique 5.2 : Nombre d'offres mondiales pour les entreprises fintech

ADOPTER LA PERTURBATION

Hautement agiles et très innovantes, les startups sont rapidement devenues des joueurs menaçants aux yeux des grandes institutions (Cambridge Centre for Alternative Finance et al., 2020). Comme abordé au Congrès Poly-Monde par Hélène Haineault et Elvis Wong, une certaine rivalité existait autrefois entre les banques et les fintechs. Maintenant, il est davantage question de codéveloppement avec des laboratoires et des incubateurs dans les institutions financières qui permettent le développement de startups pour répondre à des besoins commerciaux concrets. De plus, un désir grandissant d’avoir des technologies plus adaptées pour leurs finances naît chez les utilisateurs et est davantage amplifié avec les mesures sanitaires et la distanciation sociale (Banque mondiale, 2020). Depuis l’essor des fintechs au courant de la dernière décennie, on remarque une hausse plus prononcée du taux d’adoption que le marché ne le prévoyait; le graphique 5.3 illustre cette tendance.

Graphique 5.3 : Adoption des fintechs dans six marchés entre 2015 et 2019

Avec la pandémie vient une augmentation du taux d’adoption des technologies financières, notamment en Asie-Pacifique où un désir notable de la part des utilisateurs se fait ressentir (Lloyd & Chen, 2020). En raison de sa position stratégique et de son statut de centre économique, la cité-État est un pôle fintech de la région de l’Asie du Sud-Est et joue un rôle clé dans l’émergence technologique des pays avoisinants (Bain & Company et al., 2019).

L’INITIATIVE SMART NATION, FAIRE PREUVE D'AUDACE

Le concept de ville intelligente émerge dans les années 2000 lorsque IBM et Cisco lancent chacune leur initiative (Batty et al., 2012). Plusieurs définitions dece terme existent et varient en fonction du pays, du contexte géopolitique et des différentes institutions (Organisation de coopération et de développement économiques, 2020). Or, la plupart s’entendent sur le fondement de ce concept, soit l'amélioration de la prestation de services urbains au moyen des technologies numériques (Sivaramakrishnan, 2019).

L'indice Cisco Digital Readiness
Singapour se classe au premier rang, avec un score de 20,26/25, en termes de préparation numérique selon l’indice Cisco Digital Readiness 2019. Le Canada, quant à lui, se situe au 17e rang avec un score de 17,33/25. Le calcul de la préparation numérique d’un pays s’appuie sur l’examen et la standardisation de sept composantes : les besoins fondamentaux, le capital humain, la facilité de faire des affaires, les investissement et des gouvernements, startup, l’infrastructure et des entreprises l’environnement l’adoption technologique (Cisco, 2020).

Introduite en 2014 par le premier ministre Lee Hsien Loong, l’initiative de la nation intelligente (Smart Nation Initiative) a pour but d’améliorer la vie et les moyens de subsistance de tous (Ng, 2019). Les trois piliers qui la composent sont une économie, un gouvernement et une société numériques (Smart Nation and Digital Government Office, 2021). L’essor des fintechs et la numérisation des services financiers en font partie. Singapour adopte cette solution afin de remédier non seulement au vieillissement de sa population (Bajaj, 2020), mais aussi pour saisir les opportunités qu’offrent ces nouvelles technologies dans la région de l’Asie du Sud-Est (Bain & Company et al., 2019). Singapour, qui souhaite également devenir un centre financier intelligent (Monetary Authority of Singapore, 2021), saisit la chance de devenir précurseure des nations intelligentes grâce à son initiative, en plus de rester attrayante aux yeux des investisseurs étrangers, des talents et des entreprises. Le virage technologique du secteur est alors essentiel à la réussite de ses ambitions et de sa vision.

• photo © Matthew Henry

Synthèse

Que ce soit au Québec, à Singapour ou à Taïwan, les fintechs et les institutions financières entrevoient un futur très prometteur. L’Open Banking, qui arrive à grands pas au Canada, constitue une intéressante occasion pour les startups d’entrer sur le marché financier. Or, l’un des grands défis des services financiers est la sécurité des données. Les risques de fuites de données freinent en effet le partenariat entre les institutions financières et les startups. De plus, la question entourant la rétention des talents reste toujours une préoccupation pour ces trois régions. La collaboration entre les gouvernements, les investisseurs et les autres acteurs du secteur demeure donc un élément crucial pour continuer d’alimenter et de développer leur écosystème financier.

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