Au siècle dernier, le Canada opère une transition industrielle et économique fluide et jouit d’une prospérité économique. L’Europe centrale, quant à elle, se retrouve au centre de multiples conflits mondiaux qui freinent son développement et son ouverture au monde.
En 1989, lors de la chute du mur de Berlin, les pays d’Europe centrale retrouvent leur indépendance et intègrent progressivement l’Union européenne (UE). En même temps, ils modifient leur ouverture au monde et forment des alliances à différentes échelles pour se forger une place sur la scène internationale. Les relations qu’ils entretiennent avec d’autres pays sont d’autant plus intéressantes à analyser dans le contexte des crises qui affectent le monde entier : la pandémie de COVID-19, la guerre d’Ukraine, la crise énergétique, la montée de l’inflation et bien d’autres.
Bien que l’Europe centrale et le Canada possèdent de nombreuses différences, tant sur le plan économique que culturel, ces deux régions du monde présentent des ressemblances. Par exemple, toutes deux sont le siège de migrations importantes. Néanmoins, à l’inverse du Canada, les pays d’Europe centrale peinent toujours à attirer des travailleurs qualifiés et font face à une crise démographique. Plus que jamais, les enjeux d’immigration sont relancés par le conflit russo-ukrainien.
L’histoire des pays de l’Europe centrale a été lourdement marquée par les deux guerres mondiales et la Guerre froide. Ces évènements ont façonné leur positionnement sur la scène internationale. D’abord liés par l’Empire austro-hongrois, dont ils tirent une riche histoire commune, ils sont ensuite scindés en différents États-nations par le Traité de Versailles en 1919.
Dissolution de l'empire austro-hongrois
Le 28 juin 1914, l’héritier de l’Empire austro-hongrois, François Ferdinand d’Autriche, est assassiné à Sarajevo en Serbie par un jeune nationaliste serbe. Cet incident déclenche laPremière Guerre mondiale qui oppose entre1914 et 1918 la Triple-Alliance, composée de l’Allemagne, de l’Empire austro-hongrois et de l’Italie (jusqu’en 1915), à la Triple-Entente, composée de la France, du Royaume-Uni et del’Empire russe (République Française, 2018).
Le 11 novembre 1918, l’armistice sonne la défaite de la Triple-Alliance, et ainsi celle de l’Empire austro-hongrois. L’empereur Charles Ier subit une pression sociale importante qui le pousse à abdiquer en 1919, mettant fin à la dynastie des Habsbourg. Sans la souveraineté nécessaire pour être réformé légitimement, l’empire est dissous et donne naissance à sept États-nations : laRépublique d’Autriche, la régence de Hongrie, la Tchécoslovaquie, la République de Pologne, le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, le royaume de Roumanie et le royaume d’Italie(Weyland, 2020).
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L’Empire austro-hongrois [figure 1.1] ou l’Autriche-Hongrie, est un État européen fondé en 1867 après un décret dit «Compromis austro-hongrois». Ce dernier unifiait l’ancien Empire autrichien, soumis à une profonde crise économique et politique avec la Hongrie, tout juste sortie d’une longue période de domination ottomane. À son apogée, en 1916, l’Empire était la sixième puissance économique mondiale et l’un des plus grands d’Europe, avec 676 000 km2 et 53 millions d’habitants (Weyland, 2020).
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figure 1.1 Carte de l’Empire austro-hongrois avant sa dissolution en 1914
source Pasteur, 2011
MOUVEMENTS INDÉPENDANTISTES ET MONTÉE DU NATIONALISME
Le 4 juin 1920, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale et le Royaume de Hongrie signent le traité du Trianon qui officialise la dislocation de l’Empire austro-hongrois. Ce traité modifie les frontières hongroises : le pays perd deux tiers de sa superficie et son accès à la mer. C’est une catastrophe économique et sociale pour le pays, mais surtout pour les deux tiers de Hongrois qui se retrouvent sous domination étrangère et subissent des politiques discriminatoires, notamment linguistiques, et d’assimilation forcée (Krakovsky, 2020). À l’issue de la guerre, l’Autriche est elle aussi affaiblie économiquement et politiquement. L’humiliation causée par les traités et les conditions imposées par les pays vainqueurs fait monter en popularité les partis nationalistes [sujet qui sera traité dans le chapitre portant sur la société] qui gagnent les élections législatives en 1933 (de Senarclens, 2014).
Dix-huit ans plus tard, le 12 mars 1938, l’Allemagne annexe pacifiquement l’Autriche et y instaure le régime nazi, accueilli favorablement par une majorité de la population autrichienne. Il s’agit de la première action ouvertement expansionniste depuis la fin de la Première Guerre mondiale (N’Guyen, 2006). La même année, le 30 septembre 1938, les accords de Munich sont signés entre l’Allemagne nazie et la France, l’Angleterre et l’Italie, qui souhaitent à tout prix éviter une nouvelle guerre sur le territoire européen (Ferrand, 2016). Dans ce traité, Hitler réclame l’autodétermination des 3,2 millions d’Allemands qui peuplent les Sudètes (région montagneuse Tchécoslovaque), et revendique cette zone. La signature du traité marque la fin de l’État tchécoslovaque et la déclaration de l’indépendance de la Slovaquie. Cette dernière se sépare sous la direction de Jozef Tiso, un ancien prêtre devenu parlementaire qui soutient l’idéologie nazie (Kafkadesk Prague Office, 2021).
LES RÉGIMES TOTALITAIRES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
En 1939, après avoir annexé la région des Sudètes et malgré les clauses prévues par les chefs d’État voisins l’interdisant de s’emparer du reste des territoires tchèques et slovaques, l’Allemagne envahit ces derniers en plus de la Pologne, ce qui déclenche la Seconde Guerre mondiale (Laroche- Signorile, 2018). Cette guerre mondiale oppose les Alliés composés de l’URSS, du Royaume-Uni, des États-Unis, de la Chine et de la France, à l’Axe composé de l’Allemagne, du Japon et de l’Italie.
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Signé en 1955 pour restaurer la souveraineté de l’Autriche, le traité d’État autrichien (traité de Vienne) établit la neutralité de l’Autriche, interdisant toute participation à des alliances militaires en échange du retrait des troupes alliées de son territoire. La signature de ce traité, qui se traduit aujourd’hui par la non-intégration de l’OTAN, a ouvert la voie à la participation de l’Autriche à la Communauté européenne (Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich, 1955).
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Pour la Tchécoslovaquie, cela implique la fin de la démocratie et le début d’un régime de collaboration avec les nazis dirigés par le président Emile Hacha. Soutenue par l’Allemagne dans sa déclaration d’indépendance, la Slovaquie agit comme un État fantoche nazi et collabore étroitement avec Hitler pendant l’entièreté de la Seconde Guerre mondiale (Minarovičová, 2022). L’Autriche, dirigée par Arthur Seyss-Inquart, pratique de violentes persécutions antisémites contre sa population juive n’ayant pas été capable de quitter le pays (N’Guyen, 2006). En Hongrie, le gouvernement dirigé par Miklos Horty tente de maintenir la neutralité de son pays pendant la guerre. Malgré ses efforts, en 1940, sous la pression de l’Allemagne nazie, la Hongrie rejoint l’Axe (Kafkadesk Budapest Office, 2020). Miklos Horty gouverne le pays sous un régime autoritaire et nationaliste, sans pour autant s’affilier aux idéologies nazies jusqu’à l’occupation de la Hongrie par l’Allemagne nazie. De fait, en 1944, Hitler envahit la Hongrie afin d’empêcher la négociation d’une paix séparée avec les Alliés.
Le 30 avril 1945, les soldats soviétiques investissent la ville de Berlin. Le 8 mai, l’Allemagne capitule et met fin à la guerre en Europe. À la fin de la guerre, la Hongrie et la Tchécoslovaquie sont rattachées au bloc de l’Est, sous la domination soviétique. L’Autriche, à l’instar de l’Allemagne, est séparée en quatre et occupée par les Alliés. Elle obtient son indépendance grâce à la signature du traité d’État autrichien en 1955 (Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich, 1955).
LA GUERRE FROIDE
Entre la Seconde Guerre mondiale et l’effondrement soviétique en 1991, la Guerre froide a divisé le monde en deux camps idéologiques, chacun dirigé par une superpuissance : l’« Ouest » guidé par le capitalisme des États-Unis, et l’« Est » dominé par le communisme de l’Union soviétique (Perspective Monde, s.d.). Le Canada s’est allié naturellement à ses voisins américains avec l’Ouest, alors que l’Europe centrale tombait plutôt sous l’influence de l’Est, et donc de l’Union soviétique. Cette période s’est également caractérisée par des guerres régionales et ponctuelles, puis par une course aux armements, et ce, particulièrement de nature atomique (Boileau, 2006). À tout moment, le danger d’une guerre nucléaire guettait les grands dirigeants des pays. Certaines périodes d’apaisement ont eu lieu, grâce à des accords signés entre les deux camps rivaux. La fin de la Guerre froide en 1991 a amené une quête de stabilisation et de développement pour les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), ce qui inclut les onze pays suivants : la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et la Tchéquie (INSEE, 2020). Les PECO se sont alors tournés vers les grands vainqueurs de la Guerre froide, dont l’Europe occidentale pour son modèle d’intégration réussi.
CHANGEMENTS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DE 1989 : LA RÉUNION DU VIEUX CONTINENT
L’effondrement du mur de Berlin en 1989 a profondément bouleversé les équilibres géopolitiques, et les pays d’Europe centrale et orientale ont manifesté la volonté d’un « retour » à l’Europe (Martens, 2013). Il s’agissait non seulement d’un symbole de l’effondrement du système soviétique, mais aussi de la réunification de l’Allemagne après plus de 40 ans, et de l’Europe elle-même. Les PECO ont donc connu deux grandes vagues successives de changement institutionnel, soit la transformation systémique et le processus d’adhésion à l’Union européenne (UE) (Festoc-Louis, F & Roudaut, N., 2011). À l’Est comme à l’Ouest, de nombreuses discussions surgissent pour développer des stratégies qui permettront aux pays de rapidement sortir du système socialiste et adopter le modèle économique des pays développés (Magnin, 2016). Treize pays se sont ainsi lancés dans le processus d’adhésion à l’UE, soit Chypre, Malte, dix pays d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Tchéquie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) et la Turquie (candidature déposée en 1987) (Toute l’Europe, 2022).
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Le terme «Europe centrale» a été introduit dans les années 1800 pour désigner une région située entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. Au fil du temps, la définition a évolué pour inclure des pays aux histoires et cultures diverses. L’empereur autrichien François-Joseph a encouragé l’utilisation de la notion de «Mitteleuropa» pour renforcer l’identité de sa monarchie. Cette expression a été popularisée au 19e siècle pour désigner les territoires de l’Empire austro-hongrois (Géoconfluences, 2023).
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LES DÉFIS DE LA TRANSITION ÉCONOMIQUE
La transition vers une économie de marché n’a pas été chose facile pour les PECO. D’une part, ces pays proviennent des économies socialistes qui sont marquées par des pénuries chroniques sur tous les marchés. En imposant des critères économiques, les gouvernements des PECO ont été en mesure de faire la promotion des réformes économiques avec une transition vers une économie de marché. Les investissements directs étrangers (IDÉ) [ce sujet sera traité plus en détail dans le chapitre portant sur l’économie] ainsi que les importations provenant de l’UE ont favorisé des avancements sur les réformes économiques, ce qui a permis d’accélérer leur intégration à l’UE.
AVEC L’UNION EUROPÉENNE : UNIE DANS LA DIVERSITÉ ?
À la suite de son élargissement, la nouvelle Europe se retrouve confrontée à de nombreuses crises et difficultés. Les cultures nationales et les aspirations européennes viennent s’entrechoquer. L’adhésion à l’UE permet de consolider la démocratie et la stabilité à l’Est, mais peut aussi créer de nouvelles divisions. On assiste à la fois à une réintégration européenne et à une renationalisation des politiques, qui sont le résultat des capacités inégales d’implication des pays de l’UE dans les projets communs et des différences de visions sur l’avenir de l’UE. Son rôle sur la scène internationale est alors contesté et continue de l’être aujourd’hui alors qu’elle continue de s’élargir.
Le commerce international a toujours été un élément charnière de l’économie canadienne. Après de nombreuses luttes contre les politiques protectionnistes d’autres États et la négociation d’accords de libre-échange, le Canada se retrouve dans une situation où il peut être plus facile de commercer avec des entreprises étrangères, comme aux États-Unis, qu’avec des entreprises d’une autre province. Bien que l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne et l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) aient été signés il y a quelques années, il existe encore bien des obstacles entre les provinces canadiennes, mais aussi au niveau international.
Des barrières tarifaires entre provinces
L’absence de libre-échange interprovincial coûtait de 5 à 13 milliards de dollars annuellement à l’économie canadienne, selon un rapport du Sénat canadien publié en juin 2016 (Pellegrini, 2017). Au Canada, les barrières tarifaires interprovinciales ont longtemps freiné le développement économique du pays. Bien qu’il existe depuis 2017 un Accord de libre-échange canadien (ALEC) ayant pour but de réduire les obstacles à la libre circulation des produits, des services, des investissements et de la main-d’œuvre à l’intérieur du Canada, ainsi que d’établir un meilleur accès aux marchés publics et une plus grande coopération réglementaire, il n’en demeure pas moins qu’il y a encore bien des limites et des barrières qui pénalisent les entreprises canadiennes, mais aussi les entreprises étrangères (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 2021).
Par exemple, les provinces profitent énormément de la possibilité « d’inscrire en annexe de l’Accord une liste de secteurs faisant l’objet d’exceptions au regard des dispositions libéralisant le commerce, l’investissement et l’accès aux marchés publics » (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 2021), ce qui peut dissuader les entreprises étrangères de venir faire affaire avec les entreprises d’ici. De plus, une étude menée par Statistique Canada et citée par Deloitte a comparé le commerce intraprovincial au commerce interprovincial pour établir une estimation du frein au commerce représenté par les frontières provinciales et territoriales, communément appelé « l’effet de frontière ». Les résultats de cette étude démontrent que « les réglementations pancanadiennes imposent l’équivalent de droits douaniers de 6,9 % sur la circulation des produits entre les frontières provinciales et territoriales » (Deloitte, 2021). Les différentes institutions fédérales, provinciales et territoriales ont donc intérêt à collaborer pour profiter des avantages substantiels de l’économie et à continuer d’abolir les obstacles affectant le commerce interprovincial.
La [figure 1.2] suivante présente des données sur le flux de commerce interprovincial et international du Canada en termes d’importations et d’exportations, sous la forme du total des biens et des services (en $ CA) selon les années. Il est possible de constater que les importations et exportations internationales de 2015 à 2019 sont nettement plus grandes que les échanges interprovinciaux, ce qui démontre que les échanges commerciaux au Canada se font davantage à l’international qu’entre provinces canadiennes.
figure 1.2 Flux de commerce interprovincial et international (en $ CAD)
source Gouvernement du Canada, 2023
UNE COLLABORATION ÉTROITE AVEC LES ÉTATS-UNIS ?
Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation unique en son genre. Cette relation repose entre autres sur une géographie, des valeurs, des intérêts, des relations et des liens profonds et communs. Cette relation de longue date apporte non seulement des bénéfices pour le commerce et les investissements, avec la création de millions d’emplois, mais aussi pour la défense et la sécurité nationale. Ces deux pays partagent probablement l’une des plus importantes relations commerciales au monde avec plus de 1,3 milliard de dollars d’échanges bilatéraux de biens et de services en 2022 (Gouvernement du Canada, 2023). D’ailleurs, l’année 2022 a justement été l’année où le Canada était le plus important partenaire commercial en biens et services des États-Unis, ce qui témoigne de leurs solides chaînes d’approvisionnement binationales. En effet, plus de 80 % des exportations de biens canadiens vers les États-Unis sont intégrées aux chaînes d’approvisionnement américaines (Gouvernement du Canada, 2023). Toutefois, quelques défis subsistent encore aujourd’hui avec la mise en œuvre efficace de l’ACEUM, l’amélioration de la résilience des chaînes d’approvisionnement et la résolution des irritants bilatéraux. Ensemble, ces deux pays devront continuer à collaborer étroitement, afin de relever les nouveaux défis du commerce mondial.
DU CÔTÉ DE LA RÉGION CENTROPE
L’Autriche, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie, malgré une compétition non négligeable, collaborent fortement à d’autres niveaux. Dans la région nommée « CENTROPE », ces quatre pays se déclinent sous différentes formes : des districts en Tchéquie, des associations régionales en Slovaquie, des comtés en Hongrie et des États fédéraux en Autriche, dont le Burgenland, la Basse-Autriche et Vienne[1] [figure 1.3]. Le « CENTROPE » est une région en Europe centrale où les échanges sont nombreux et diversifiés, et ce, particulièrement sur le plan économique et social. Elle est née de la volonté de coopérer au-delà des frontières et de la compréhension du fait que la compétitivité globale de cette région peut être améliorée en travaillant ensemble (CEPIT, s.d.).
Figure 1.3 : Carte de la région Centrope
Source : CEPIT, s.d.
Engagée en 2003 par des accords du village autrichien Kittsee pour renforcer l’économie d’une région affaiblie par le rideau de fer, la coopération dans la région CENTROPE se concentre sur les affaires, les infrastructures, l’éducation, la culture et la mobilité. Le centre économique est situé dans les villes jumelles de Vienne et de Bratislava, à 50 km l’une de l’autre. Avec une population de 7 millions d’habitants, cette région est l’une des plus dynamiques d’Europe. Ne possédant pas de budget partagé, chaque partenaire de cette région finance ses propres activités (CentropeMAP, s.d.). Le CENTROPE est surtout convoité par des investisseurs étrangers pour sa combinaison optimale d’une économie qui prospère et qui possède de bons indicateurs de marché, surtout entre les années de 2004 à 2008 avec une forte croissance et un PIB par habitant élevé (Huber, 2011). Étant située à un emplacement stratégique, cette région est à l’intersection des marchés de l’Ouest et de l’Est, ce qui lui permet de bénéficier des deux marchés grâce à des économies d’échelle et à une baisse des frais de transaction. Il s’agit d’une « région intermédiaire » entre le centre et la périphérie de l’Europe. Son avantage comparatif réside dans le fait que la plupart de la main- d’œuvre est moyennement qualifiée, avec une faible proportion restante d’employés hautement qualifiés, ce qui justifie son faible coût de la main-d’œuvre. Une main-d’œuvre professionnelle à bas prix, combinée à un réseau d’infrastructures développé et en constante amélioration, lui permet donc de se proclamer comme un lieu d’affaires attractif avec des possibilités nombreuses.
En outre, l’Europe centrale est également devenue un endroit attrayant pour les investissements des entreprises en raison des impôts relativement faibles pour celles-ci (Palme & Feldkircher, 2006). Ce n’est donc pas pour rien que de nombreuses multinationales et petites à moyennes entreprises ont largement contribué à l’économie du CENTROPE par des investissements étrangers directs [ce sujet sera traité plus en détail dans le chapitre portant sur l’économie] ainsi que par de nombreux échanges d’exportations et d’importations. Ainsi, le CENTROPE est le parfait exemple de coopération régionale qui encourage les pays membres à travailler ensemble et leur permet d’atteindre des cibles communes tout en faisant la promotion du développement économique et social de la région dans son ensemble.
L'UNION EUROPÉENNE : DES BÉNÉFICES POUR LES PECO
En raison de leur intégration tardive à l’Union européenne, les PECO sont amenés à créer de plus petites alliances économiques et politiques comme le CENTROPE ou encore le groupe Visegrad (V4), afin de concurrencer les groupes existants. Il faut noter que les positions politiques et les priorités du groupe de Visegrad ont évolué, puisque les positions des pays membres peuvent parfois diverger sur certains sujets, comme les politiques envers la Russie et la Chine ou le versement des fonds de l’UE conditionnel à l’État de droit (Bayer, L. et Cienski, J., 2022). Par ailleurs, faire partie de l’UE peut également permettre un bon nombre de bénéfices. En effet, la perspective d’adhérer et de devenir membre de l’UE permet de solidifier les réformes démocratiques et économiques souhaitées. Entre autres, les PECO faisant partie de l’UE ont pu bénéficier d’une meilleure qualité de vie grâce au renforcement de la démocratie, de la stabilité et de la sécurité. Ils ont aussi pu avoir accès à un marché croissant de plus de 500 millions de personnes avec une diminution des obstacles au commerce, à l’investissement et à la circulation de la main-d’œuvre et la facilitation des connaissances et des technologies (Pedraza, L., 2015). De plus, la productivité des PECO a augmenté, le chômage a diminué et le coût des biens de consommation a baissé. De ce fait, ces pays ont alors réussi la démocratisation et la transition vers une économie de marché, grâce à une meilleure allocation des ressources humaines au sein d’un marché commun.
DES RELATIONS RENFORCÉES PAR L'AECG
Le Canada et l’UE possèdent tous les deux une politique commerciale libérale dans laquelle ils favorisent l’échange de biens, services et investissements accélérés entre pays. Cependant, il existe encore de nombreux obstacles, tant tarifaires que non tarifaires, qui entravent le potentiel commercial entre les deux. Parmi les facteurs explicatifs, on y inclut le manque de sensibilisation de même que des écarts administratifs et culturels entre le Canada et les pays de l’Europe centrale (Mohiuddin, M., s.d.).
Pourtant, depuis que l’AECG est entré en vigueur en septembre 2017, les données du commerce entre ces deux régions du monde démontrent clairement que celles-ci sont ouvertes au commerce international. Elles démontrent également que ces tendances devraient se maintenir, et ce, vers la hausse, comme l’illustre le [tableau 1.1]. En comparant le commerce des marchandises entre le Canada et l’UE par État membre de l’UE entre 2016 et 2019, il est possible de constater une croissance de 28,2 % en Autriche, de 69,6 % en Tchéquie, de 41,2 % en Hongrie et de 34,5 % en Slovaquie (Gouvernement du Canada, 2021). À un niveau plus global, le commerce de marchandises entre le Canada et l’UE a connu une augmentation de près de 21 % entre 2018 et 2019 par rapport à la dernière année complète avant l’entrée en vigueur de l’AECG, soit l’année 2016 (Gouvernement du Canada, 2023).
Tableau 1.1 : Commerce des marchandises entre le Canada l'Europe centrale, en millions d’euros et en %
Source : Gouvernement du Canada, 2021
Ainsi, il va sans dire que l’AECG a permis à de nombreuses entreprises canadiennes de profiter des marchés européens diversifiés et lucratifs. Afin de profiter pleinement des opportunités qu’offre l’AECG, les deux parties devraient s’assurer de la compréhension mutuelle des cultures d’affaires et de l’augmentation des efforts de promotion nécessaires pour en exploiter tout le potentiel.
DES DÉFIS À SURMONTER
Aujourd’hui, le défi est la mondialisation dans tous les sens du terme. Les progrès technologiques et la mondialisation ont largement contribué à un accroissement spectaculaire des échanges commerciaux internationaux. Pour ce qui est des relations internationales entre les pays, elles sont aujourd’hui plus interconnectées que jamais. Malgré ces évolutions positives, les relations commerciales internationales demeurent complexes et peuvent être marquées, entre autres, par des conflits politiques, des pratiques commerciales déloyales et des barrières tarifaires. Bien que le Canada et l’Europe centrale entretiennent des relations particulières qui bénéficient à leurs économies respectives, ils doivent toutefois fournir encore un effort pour limiter les obstacles aux échanges commerciaux. En résumé, les relations commerciales internationales ont évolué de manière significative, mais elles sont complexes et sujettes à des tensions. Les gouvernements et les entreprises, autant au Canada qu’en Europe centrale, doivent alors continuer à travailler ensemble pour favoriser des relations commerciales équitables et durables, tout en cherchant à renforcer la coopération et la compréhension entre les pays.
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L’Accord économique et commercial global (AECG) est d’ailleurs le moyen principal par lequel le Canada et l’UE entretiennent des relations. En effet, l’AECG permet aux entreprises canadiennes et européennes d’explorer et d’accéder à leurs marchés respectifs tout en établissant différents types d’alliances stratégiques avec des pays tiers. Favoriser les relations de commerce et d’investissement ainsi que les processus commerciaux entre les entreprises canadiennes et celles de l’Europe centrale est un autre avantage de cet accord.
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Alors que le Canada est connu pour son ouverture à l’immigration et au multiculturalisme, les pays d’Europe centrale à l’étude cherchent encore depuis leur adhésion à l’UE à trouver un équilibre entre la protection de leur identité et l’acceptation des nouveaux arrivants.
TERRE DE PASSAGE
Positionnés dans un emplacement stratégique pour le commerce, comme le met en lumière l’article sur les relations internationales, ces pays au cœur du continent européen sont également un point stratégique de passage. Cette région agit donc comme une zone de transit importante pour les migrants en provenance du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie qui cherchent à entrer dans l’Union européenne. Les principales routes de migration touchant l’Europe centrale sont la route de la Méditerranée centrale et la route des Balkans occidentaux. Provenant de l’Afrique du Nord, les migrants transitent par la route de la Méditerranée centrale, majoritairement depuis la Libye, pour atteindre l’Europe par l’Italie et la Grèce (Conseil de l’Union européenne, 2023). Puis, traversant la région des Balkans, cette route est essentielle pour les migrants provenant du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique pour atteindre également l’UE (Conseil de l’Union européenne, 2023). Selon les statistiques de Frontex (l’agence européenne des gardes-frontière et des gardes-côte), entre janvier et avril 2023, la route de la Méditerranée centrale et celle des Balkans occidentaux comptaient respectivement 42 165 et 22 546 arrivées irrégulières, faisant d’elles les deux routes les plus empruntées pour les traversées irrégulières en Europe (Conseil de l’Union européenne, 2023). Ces principales routes sont représentées à la [figure 1.4].
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Les Balkans sont une région du sud-est de l’Europe comprenant en totalité ou en partie la Grèce, la Bosnie- Herzégovine, la Bulgarie, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Croatie, la Serbie, la Slovénie, la Roumanie et la Turquie. Cette région a une histoire complexe marquée par des conflits comme les guerres des Balkans au début du 20e siècle et les guerres de Yougoslavie dans les années 1990. Cette région est actuellement reconnue comme un corridor de transit pour atteindre l’Union européenne.
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De l’autre côté de l’océan, le Québec est le point d’arrivée d’une route de migration avec les États- Unis : le chemin Roxham représenté à la [figure 1.5]. Depuis 2017, ce sentier est devenu un point d’entrée majeur pour les personnes qui veulent rejoindre le Canada. Ces arrivants sont principalement des demandeurs d’asile qui cherchent à échapper aux politiques d’immigration plus strictes des États- Unis. Il faut bien comprendre aussi que selon le droit canadien, il n’est pas illégal de demander l’asile en traversant la frontière à un point d’entrée non officiel (HCR Canada, 2019). De plus, l’Entente sur les tiers pays sûrs, stipulant qu’un demandeur d’asile doit présenter sa demande dans le premier pays où il arrive, est entrée en vigueur en 2004 (HCR Canada, 2019). Pour éviter son application, certains migrants prennent donc le chemin Roxham pour se rendre directement au Canada. Le gouvernement fédéral a dû faire face à une augmentation des demandes en 2017 avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Depuis, la tendance se maintient, ce qui entraîne des temps d’attente plus longs pour les demandeurs d’asile et une pression supplémentaire sur les ressources du système d’immigration au Canada (HCR Canada, 2019). Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2022, le Canada a reçu 62 430 demandes d’asile, soit une augmentation de 418 % par rapport à la même période en 2021 (CIMM, 2023). Parmi elles, 27 519 demandes sont considérées comme irrégulières (arrivée entre les points d’entrée) (CIMM, 2023).
Figure 1.4 : Nombre d'arrivées irrégulières en Europe selon les principales routes migratoires
Source : Franceinfo, 2023
Du point de vue des politiques d’immigration, l’emplacement des pays de l’Europe centrale est particulièrement vulnérable aux pressions migratoires, ce qui les pousse à mettre en place des politiques strictes (Aligisakis, 2021). Ces politiques se sont resserrées en adhérant à l’UE. En effet, les pays à l’étude ont vu une nouvelle vague d’immigration arriver avec leur participation à un espace de libre circulation : l’espace Schengen. Instauré en 1985, cet accord vise à éliminer les contrôles aux frontières intérieures des pays membres, ce qui donne la possibilité aux citoyens européens de voyager sans passeport ni visa dans cet espace. En Autriche, des mesures strictes en matière de migration ont été instaurées face à la crise migratoire de 2015, notamment des limites aux droits des demandeurs d’asile (Perspective Monde, 2016). En Hongrie, la route centrale est devenue une question de sécurité nationale, avec la construction d’une clôture de barbelés le long des frontières serbes et des politiques de tolérance zéro envers les migrants irréguliers (Le Monde, 2015). En Slovaquie et en Tchéquie, la route centrale a eu un impact moins important sur le plan de la migration irrégulière, mais elle a tout de même conduit à des changements politiques importants, comme des politiques restrictives concernant les demandeurs d’asile en provenance de pays musulmans. En Tchéquie, le président Zeman, connu pour ses propos xénophobes et anti-islam, a contribué à la propagation du populisme xénophobe à cause de son rôle très influent. Il a même été aperçu à un rassemblement islamophobe en 2015 (Gueorguieva, 2017). Plus récemment en 2022, les membres du comité du PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques) ont souligné les progrès des pays de l’Europe centrale depuis la présentation de leur dernier rapport en 2019, comme l’instauration du programme d’assistance aux réfugiés. Cependant, les membres ont également identifié certaines lacunes qui persistent en matière de discrimination envers les migrants et les réfugiés du point de vue de leur accès aux droits sociaux, culturels et économiques (Nations Unies, 2022).
Figure 1.5 : Chemin Roxham
Source : La Presse, 2023
Au Canada, bien qu’il n’existe pas d’équivalent comme l’espace Schengen en Amérique du Nord, il existe plusieurs mesures visant à faciliter le libre passage pour les immigrants et les réfugiés (Gouvernement du Canada, 2023). Ces mesures permettent aux personnes qui ont obtenu un de ces deux statuts de voyager librement à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Elles ne garantissent pas l’entrée dans un autre pays, mais elles permettent une meilleure intégration des immigrants et des réfugiés dans la société canadienne. Parmi ces mesures, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, instaurée en 2001, régit l’entrée, le séjour et le statut des réfugiés et des immigrants au Canada et assure un processus équitable de sélection ( Justice Canada, 2012).
TERRE DE DÉPART
Malgré un développement économique récent, la Slovaquie, la Hongrie ainsi que la Tchéquie sont encore en retard sur leurs voisins occidentaux. Attirés par une meilleure qualité de vie et des salaires plus compétitifs, de nombreux citoyens font le choix de quitter leur pays natal pour se diriger vers l’Occident. De même, plusieurs diplômés quittent le Québec pour les provinces voisines ou les États-Unis, à la recherche d’opportunités de carrière et de meilleurs salaires. Cette émigration de personnes qualifiées, qui se définit par le terme « fuite des cerveaux », nuit grandement au potentiel de croissance démographique. En effet, en plus de cette fuite, les pays d’Europe centrale et le Canada font face à un vieillissement de la population. Comme le mentionne la Commission européenne : « le dépeuplement et le vieillissement de la population sont étroitement liés, et s’amplifient mutuellement » (Commission européenne, 2021). Ces deux tendances démographiques vont continuer d’avoir des impacts négatifs sur la croissance, le développement des compétences et l’accès aux services si aucune mesure de rétention n’est mise en place.
Comme le montre la [figure 1.6], plus de personnes économiquement actives devront soutenir plus de personnes inactives au cours des prochaines années dans les pays d’Europe centrale et au Canada. Ainsi, cette baisse de la population active va se traduire par une insuffisance de la main-d’œuvre sur le marché, par des pressions inflationnistes et par une augmentation de la compétitivité (Commission européenne, 2021). En réponse à cette tendance, les gouvernements commencent à mettre en place des programmes pour encourager les travailleurs expatriés à revenir dans leur pays d’origine (Commission européenne, 2021).
Figure 1.6 : Rapport projeté des dépendances des personnes agées
Source : OCDE, 2023
TERRE D'ACCUEIL
En 2015, de nombreux pays ont ouvert leurs portes et agi comme terre d’accueil pour l’une des plus grandes crises humanitaires de la décennie ; la crise des réfugiés de 2015. Cette crise est la conséquence de la guerre en Syrie qui a éclaté en 2011, de l’instabilité politique de pays au Moyen-Orient comme l’Irak et l’Afghanistan et de la réponse politique et humanitaire jugée insuffisante.
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Le rapport projeté de dépendance des personnes âgées est le rapport entre le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus et le nombre de personnes généralement économiquement actives qui soutiennent la population (15 à 54 ans). Cet indicateur est basé sur des estimations démographiques et peut varier en fonction des taux de fécondité, de l’immigration, de l’espérance de vie et des politiques gouvernementales.
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L’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie, la Tchéquie et le Canada ont chacun adopté des approches différentes pour accueillir ces réfugiés. L’Autriche a été l’un des pays les plus touchés par la crise, avec une réception de 90 000 demandes d’asile. Des centres d’accueil étaient offerts aux réfugiés jusqu’à ce que le gouvernement autrichien introduise des restrictions pour limiter la saturation des ressources du pays (Ouest-France, 2015).
La Hongrie a adopté une approche complètement différente pour répondre à la crise. Le gouvernement hongrois a fermé ses frontières et tenté d’empêcher les réfugiés de traverser le territoire. Depuis 2015, le parti Fidesz et son premier ministre Viktor Orbán ont adopté une politique dure en matière d’immigration, comme l’atteste la construction d’une barrière pour empêcher l’entrée des réfugiés (Le Monde, 2015). Cette tactique est motivée par des raisons politiques, notamment par la nécessité de stabiliser le soutien électoral du parti. Le gouvernement a aussi lancé des campagnes et des consultations publiques basées sur les craintes de la société, qualifiant les migrants de menaces pour l’identité nationale (Hunyadi & Molnár, 2016).
En Tchéquie, la crise des réfugiés a suscité des at- titudes négatives envers les réfugiés, même si elle n’a entraîné qu’un très faible afflux de migrants. Les anciens dirigeants du pays, le président Miloš Zeman et le premier ministre Andrej Babiš, ont tous deux adopté des positions dures sur l’accueil des réfugiés, encourageant la montée des partis et mouvements politiques anti-immigration (Dr- bohlav & Janurová, 2019). En Slovaquie, l’ancien premier ministre Robert Fico avait exploité la crise des réfugiés pour renforcer le soutien électoral de son parti SMER-SD. Il a adopté une position dure contre l’immigration, s’opposant à l’accueil de réfugiés et de migrants, et diffusant des messages xénophobes (Gueorguieva, 2017).
Ainsi, c’est à cause de ces réactions que les courbes d’immigration présentées à la [figure 1.7] restent stables pour la Slovaquie, la Hongrie et la Tchéquie en 2015. Le Canada quant à lui a été un leader mondial face à la crise en accueillant plus de 25 000 réfugiés en quelques mois. Des programmes d’aide pour trouver un emploi ou encore se familiariser avec la culture canadienne ont même été mis en place pour aider l’intégration des réfugiés. La baisse d’immigration de 58 % au Canada en 2020 s’explique par la fermeture des frontières due à la pandémie (IRCC, 2021).
Figure 1.7 : Courbe d'immigration depuis 2000
Source : OCDE, 2020
Les politiques d’immigration de chaque pays sont influencées par plusieurs facteurs politiques, économiques et sociaux différents. Au Canada, les politiques de sélection des immigrants sont considérées parmi les plus ouvertes au monde. Un système de pointage est utilisé pour sélectionner les candidats en fonction de leur âge, de leur formation, de leur expérience professionnelle et de leur connaissance de la langue française et anglaise (Gouvernement du Canada, 2023). La sélection des immigrants en Autriche est quant à elle plutôt basée sur un système de quotas qui varie en fonction de la demande du marché du travail et des besoins du pays (Advantage Austria, 2023). En Hongrie, en Slovaquie et en Tchéquie, la sélection des immigrants est limitée. Les travailleurs hautement qualifiés et les investisseurs sont privilégiés (Commission européenne, 2023).
Le 24 février 2022, sur ordre du président Vladimir Poutine,la Fédération de Russie lance l’assaut contre l’Ukraine. Cette déclaration de guerre bouleverse l’Europe et le monde entier, qui n’avaient plus connu de conflit sur ce continent depuis la guerre russo-géorgienne de 2008.
DES TENSIONS HISTORIQUES
Lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, le 27 février 2014, le président Poutine justifie cet acte par la particularité de cette région qu’il considère comme naturellement russe. Pourtant, bien que la Crimée possède un statut particulier, puisque celle-ci avait été donnée à l’Ukraine par la Russie en 1954, l’ONU a toujours condamné l’occupation russe. De fait, le 6 mars 2014, les Nations Unies adoptent, en assemblée générale, une résolution présentée par le ministre ukrainien des Affaires étrangères soulignant que le référendum d’autodétermination de la Crimée n’a aucune validité. Cette résolution sera par la suite bloquée par le véto de la Russie au Conseil de sécurité. Afin d’invalider ce référendum, les pays membres des Nations Unies, dont le Canada, dénoncent le contrôle militaire illégal de la Russie sur la Crimée qui empêche les Ukrainiens de s’exprimer librement. Dès 2014, le Canada se positionne contre les actions russes, en suspendant ses relations militaires avec la Russie et en imposant les premières sanctions financières contre de hauts responsables russes et criméens à l’origine de la crise (UN Press, 2015). L’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie votent aussi en faveur de l’invalidité de ce référendum sans s’exprimer lors de l’assemblée. Dès lors, le haut représentant de l’UE, Federica Mogherini, propose en assemblée générale l’application de mesures restrictives historiques à l’encontre de la Russie. Adoptées à l’unanimité le 17 mars 2014 par le Conseil de l’Union européenne, composé des 27 États membres, elles sont justifiées par la nécessité de préserver les valeurs, les intérêts fondamentaux et la sécurité de l’UE (Europa, 2022). Leur objectif est de priver les responsables du conflit, particuliers ou entités, de moyens de financer celui-ci en déstabilisant l’économie russe.
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Afin d’appuyer sa position, la Russie organise un référendum d’autodétermination le 16 mars 2014. Celui-ci porte sur le rattachement de la péninsule de la Crimée et de la ville de Sébastopol à la Russie. Le taux de participation est de 83,1 %, ce qui représente 1265000 votants qui, à 96,77 %, votent pour le rattachement.
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RUPTURE DES LIENS EST-OUEST
Le 24 février 2022, l’attaque-surprise de l’Ukraine par la Russie a renversé les relations Est-Ouest développées depuis l’effondrement de l’URSS. « La coopération internationale contre la guerre menée par la Russie n’a jamais été aussi étroite. Nous demeurons unis, et fermes » énonçait Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, le 7 décembre 2022. Les sanctions appliquées par l’UE s’intensifient. En avril 2023, ces sanctions frappent plus de 1400 particuliers, 200 entités ainsi que les secteurs clés de l’économie russe tels que le secteur énergétique, les transports et les technologies de pointe (Europa, 2022). En outre, elles privent la Russie de participer aux marchés publics, d’avoir accès au financement européen et de bénéficier des avantages commerciaux que lui accordait sa place en tant que membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elles agissent aussi sur les moyens de désinformation prorusses. La transmission et la distribution de huit chaînes d’information parmi les plus populaires sont suspendues dans les pays qui appliquent les sanctions. Pourtant, la Hongrie, elle-même condamnée pour son manque de transparence et l’absence de liberté de ses médias, est à plusieurs reprises accusée de ne pas se positionner suffisamment clairement dans le conflit russo-ukrainien (Voxeurop, 2022). Le premier ministre Viktor Orban s’est opposé à la livraison d’armes à Kiev via le territoire hongrois ainsi qu’à l’extension des sanctions envers le Kremlin sur le secteur énergétique. Historiquement, le gouvernement hongrois avait scellé, en 1995, sa collaboration avec l’Ukraine en signant un traité d’amitié avec celle-ci. Depuis, leurs relations se sont détériorées, notamment en raison de la politique linguistique restrictive appliquée par l’Ukraine qui défavorise la minorité hongroise sur le territoire. À l’inverse, le Canada, suivant la position des États-Unis, démontre un soutien indéfectible à Kiev. Cette position est facilitée par la position géographique et les ressources énergétiques du pays, qui est peu impactée par le conflit.
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Le Conseil de sécurité de l’ONU, dont le mandat est de maintenir la paix et développer la coopération internationale, est composé de cinq membres permanents et dix membres élus pour un mandat de deux ans. La présidence est assurée par chacun des membres, permanents ou non, à tour de rôle pendant un mois. Le 1er avril dernier, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères et chef de la diplomatie russe, est entré en fonction à ce poste.
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UN FRONT UNI
Malgré la relative neutralité autrichienne imposée par le traité d’Autriche et la résistance de la Hongrie à s’intégrer totalement, les 27 États membres de l’UE montrent un soutien à leurs institutions. Entre 2014 et 2021, l’indice de confiance des pays membres envers la Commission européenne n’a cessé de croître en raison des mesures fortes posées par cette institution, qui ont permis de retarder les affrontements [figure 1.8].
Figure 1.8 : Indice de confiance envers la Commission européenne entre 2000 et 2022
Source : Eurostat, 2023
Depuis le début du conflit, l’Europe, mais surtout l’Occident, montre un front uni face à la Russie. La Tchéquie porte encore le traumatisme de l’invasion de Prague en 1968 par l’URSS, qui avait conduit à plus de vingt ans d’occupation soviétique. Premier conflit armé sur le territoire européen depuis 2008, il n’est pas sans rappeler celui de la Seconde Guerre mondiale, qui avait commencé avec l’annexion des Sudètes, revendiquées allemandes par Hitler. La peur que l’histoire se répète plane lourdement sur le continent. Pour répondre à l’expansionnisme russe, une cohésion historique soude l’Occident. Les aides à l’Ukraine se multiplient [tableau 1.2], tant militaires, humanitaires que financières. Les pays qui soutiennent l’Ukraine se sont engagés à lui fournir de l’aide s’élevant à 151 milliards d’euros, soit plus de 200 milliards de dollars (Le Monde, 2022).
Tableau 1.2 : Aides financières, militaires et humanitaires apportées à l’Ukraine
Source : HCR, 2023
Relativement à son PIB, la Tchéquie se classe en tête des pays à l’étude dans son aide financière à Kiev et se positionne en septième position internationale derrière les pays baltes, la Pologne et les Pays-Bas (HCR, 2023). Afin de soutenir ces initiatives, l’UE offre un soutien financier aux États qui fournissent des armes à Kiev. Par ailleurs, les données présentées ne tiennent pas compte de l’accueil des réfugiés. Sur les huit millions de réfugiés ukrainiens recensés en Europe en mai 2023, le gouvernement de Prague en accueille plus de 500 000, en troisième position européenne. La Slovaquie, la Hongrie et l’Autriche en accueillent respectivement 113 000, 34 000 et 95 000 (Statista, 2023). Depuis 2014, 200 000 Ukrainiens ont immigré au Canada en raison de la guerre (Canada, 2023).
LA CRISE ÉNERGÉTIQUE
L’application de mesures restrictives, notamment l’embargo sur le pétrole et le gaz russe, impacte fortement les pays européens. Sur l’ensemble du pétrole consommé dans l’UE, 97 % sont importés. Il s’agit de 90 % pour le gaz naturel. Près de 50 % du gaz et de 25 % du pétrole importés dans l’UE proviennent de la Russie. La Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie, des pays enclavés, dépendent de l’oléoduc Droujba, qui transite par l’Ukraine et dont Moscou a annoncé l’interruption des services, le 4 août 2022, en réponse aux mesures restrictives (Le Monde, 2022). Du fait de l’influence historique de la Russie sur ces États, ils ne disposent pas de réseaux d’approvisionnement aussi diversifiés que l’Europe occidentale. Ainsi, la Hongrie, l’Autriche, la Tchéquie et la Slovaquie sont contraintes d’importer respectivement 57 %, 58 %, 39 % et 56 % de leurs besoins énergétiques (Eurostat, 2023). En outre, le gaz représente une part importante de leur bouquet énergétique ; 31 % pour la Hongrie et la Slovaquie, et 22 % pour la Tchéquie, dont la quasi-totalité est importée (Eurostat, 2023). La [figure 1.9] met en lumière la forte dépendance énergétique de la Tchéquie, de la Hongrie et de la Slovaquie, dont une part importante des importations de gaz naturel et de pétrole provient de Russie.
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Le soutien au peuple canadien ne s’arrête pas aux gou- vernements. Les entreprises Créaform et Lion Electrique que nous avons eu l’opportunité de visiter ont débuté la ré- daction de politiques afin de cesser de s’approvisionner en matière première auprès de régime ne respectant pas leurs valeurs. La Russie fait partie des partenaires avec lesquels ils souhaitent cesser de travailler.
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Cette dépendance énergétique rend plus difficile l’application des mesures restrictives à la Russie et empêche l’application de sanctions drastiques qui pourraient lourdement impacter l’économie de ces nations. Plusieurs initiatives voient le jour pour tenter d’endiguer cette dépendance. Pour commencer, il est devenu essentiel de poser un cadre réglementaire solide pour garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’UE. La transition énergétique soutenue par le Plan de relance européen et le Pacte vert offre aussi une occasion de renforcer l’autonomie énergétique des 27 États membres (Paul-Hus, 2022). Cela passe, en outre, par le rattrapage de leur retard en matière de stockage, d’électrification de certains secteurs industriels, notamment les transports, ainsi que de décarbonisation de l’électricité. À l’échelle internationale, l’UE doit définir l’énergie comme un secteur d’autonomie stratégique européenne en relocalisant certaines productions en Europe et en appliquant des mécanismes de défense économique adéquats. Il est impératif que l’UE se dote d’une position géopolitique commune face aux exportateurs comme la Russie afin de permettre à la Commission européenne d’avoir la capacité de négocier avec ces acteurs (Zettelmeyer et al., 2022). Le Québec est quant à lui peu impacté par cette crise en raison de sa position géographique et de ses ressources qui lui permettent de ne pas dépendre du Kremlin (NEO, 2022).
Figure 1.9 : Part des importations de gaz naturel et de pétrole provenant de Russie en 2020
Source : HCR, 2023
L’Europe centrale et le Québec se sont développés dans des contextes très différents. Au cœur des conflits mondiaux du XXe siècle et longtemps sous l’influence soviétique, les quatre pays européens ont souffert d’une croissance économique plus lente que celle de la province canadienne. Liées par cette histoire riche et commune, l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie, toutes issues de l’Empire austro- hongrois, ont développé des relations commerciales et diplomatiques étroites. À l’inverse, paradoxalement, les restrictions économiques entre les provinces du Canada ont tendance à favoriser le commerce avec les États-Unis plutôt qu’à l’intérieur du pays. D’autant qu’en plus de ces échanges commerciaux, les États-Unis et le Canada partagent une large frontière par laquelle transitent de nombreux immigrants qui empruntent, chaque année, le controversé chemin Roxham. Pourtant, ce déplacement de populations est bien moindre en comparaison au nombre de migrants qui traversent et affluent quotidiennement en Europe centrale par les différentes routes migratoires vieilles de plusieurs centaines d’années. Le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie a amplifié ce phénomène par la fuite de plus de 8 millions de réfugiés vers l’Europe centrale. Cette guerre a renforcé la cohésion des membres de l’Union européenne, mais a surtout mis en exergue la dangereuse dépendance énergétique de l’Europe à la Russie.
Alexandre Pham
Emma Racine
Marine Sabrié
Claudia Farand
Sarah Ovide
Kimberly Clair
Aglaya Palgova
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Vincent Boltz
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Dylanne Sevigny
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Rahila Touné
Chloré Tremblay
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