Noémie Key
Khelil Joudane
Noémie Longpré

SOCIÉTÉ

Requiem pour le rêve américain
Public versus privé : un accès pour tous?
Soupe ou salade : les modèles d'intégration
Les armes à feu, une culture de violence

Avant de pouvoir se lancer dans l’analyse des secteurs industriels et de l’étude géopolitique et économique, il est intéressant de poser le cadre sociétal des régions à l’étude. La mission Poly-Monde porte cette fois-ci sur la côte ouest-nord-américaine, et ce chapitre présente quelques aspects jugés importants pour comprendre la société nord-américaine et la comparer avec le Québec. Dans ce chapitre, nous verrons que plusieurs points communs sont observables, mais bien que voisins, le Québec présente des différences marquantes avec le reste du Canada, et surtout avec les États-Unis.

Requiem pour le rêve américain

Noémie Longpré

Le rêve américain est un fil crucial dans la tapisserie des États-Unis, il s’enfile à travers la politique, l’économie, la culture, la musique…

Le rêve américain fait sans aucun doute partie de l’éthos de la société américaine – l’idée ultime que tout individu devrait pouvoir poursuivre ses rêves et construire la vie qu’il souhaite s’il travaille avec ardeur, et ce, peu importe son origine ou son statut social. Sa première définition surgit en 1931 dans le livre Epic of America de James Truslow Adams : « le rêve d’un pays dans lequel la vie devrait être meilleure, plus riche et plus complète pour chacun, avec des opportunités pour chacun selon ses capacités ou ses réalisations. » (Truslow Adams, 1931. Traduction libre). Au fil du temps, les États-Unis se sont fait connaître entre autres par des dictons qui décrivent le pays comme le land of the free, le land of opportunity ou land of dreams, et le pays se proclame l’hôte de plusieurs histoires de rags-to-riches. Avec l’évolution des mentalités, le Canada offre les mêmes opportunités qui étaient auparavant associées en majorité aux États-Unis.

Jauger le rêve

Concrètement, qu’est-ce que le rêve américain? Est-ce une maison décorée d’une palissade blanche, une petite famille et une voiture? Est-ce l’histoire des haillons à la richesse? Est-ce simplement l’idée d’atteindre une sécurité financière qui permet la liberté?

En fait, au cœur d’un pays aussi diversifié que les États-Unis, toutes ces réponses sont exactes et le rêve américain ne peut se résumer à une seule définition universelle; chacun en fait sa propre conception. Pour certains, c’est dans les idéaux intangibles comme la liberté d’expression, la liberté de religion, l’égalité des chances et l’optimisme que le rêve prend toute sa signification. Pour d’autres, le rêve devient quantifiable avec l’obtention d’un diplôme collégial, l’achat d’une propriété, des revenus annuels considérables et la mobilité ascendante. Ces trois derniers paramètres sont d’ailleurs souvent considérés comme des standards de succès économiques aux États-Unis (Ballard Brown, et al., 2012).

Les revenus

Même si la richesse n'est presque jamais listée comme une composante essentielle du rêve américain, l'atteinte d'un certain niveau de sécurité financière est un objectif auquel plusieurs aspirent.

L'éducation

L'éducation est souvent reconnue comme un des meilleurs moyens d'assurer l'égalité - un outil qui est supposé permettre à quiconque d'accéder au succès, peu importe ses origines. La population américaine atteint en majorité la diplomation de niveau secondaire, mais la diplomation collégiale reste réservée à une minorité. La hausse constante des frais de scolarité restreint d'autant plus l'accès à l'éducation supérieure.

La propriété

Même si la disponibilité des logements est très disparate à travers les États-Unis, il est certain que l'accès à la propriété est une composante qui est inhérente à la majorité des définitions du rêve américain. Il présume un succès économique et une indépendance. Ne pas dépendre d'un propriétaire extrinsèque fait partie de l'imaginaire de plusieurs.

Comme l’indique le tableau 1.1.1, les revenus moyens par ménage augmentent de 27 % sur un horizon de près de 40 ans, mais des prévisions précédentes se basant sur la croissance de 1970 à 2000 projetaient une hausse de 41 % à raison de 1,2 % par année. Ces prévisions s’avèrent cependant erronées. La récession de 2000 à 2018 a entraîné un taux d’augmentation de seulement 0,3 % par année (Horowitz, et al., 2020). La moyenne de croissance tombe alors à 0,75 % par année sur la période de 36 ans, soit un écart de 0,45 % par rapport aux prévisions.

Le rêve américain fait sans aucun doute partie de l’éthos de la société américaine – l’idée ultime que tout individu devrait pouvoir poursuivre ses rêves et construire la vie qu’il souhaite s’il travaille avec ardeur, et ce, peu importe son origine ou son statut social. Sa première définition surgit en 1931 dans le livre Epic of America de James Truslow Adams : « le rêve d’un pays dans lequel la vie devrait être meilleure, plus riche et plus complète pour chacun, avec des opportunités pour chacun selon ses capacités ou ses réalisations. » (Truslow Adams, 1931. Traduction libre). Au fil du temps, les États-Unis se sont fait connaître entre autres par des dictons qui décrivent le pays comme le land of the free, le land of opportunity ou land of dreams, et le pays se proclame l’hôte de plusieurs histoires de rags-to-riches. Avec l’évolution des mentalités, le Canada offre les mêmes opportunités qui étaient auparavant associées en majorité aux États-Unis.

Jauger le rêve

Concrètement, qu’est-ce que le rêve américain? Est-ce une maison décorée d’une palissade blanche, une petite famille et une voiture? Est-ce l’histoire des haillons à la richesse? Est-ce simplement l’idée d’atteindre une sécurité financière qui permet la liberté?

En fait, au cœur d’un pays aussi diversifié que les États-Unis, toutes ces réponses sont exactes et le rêve américain ne peut se résumer à une seule définition universelle; chacun en fait sa propre conception. Pour certains, c’est dans les idéaux intangibles comme la liberté d’expression, la liberté de religion, l’égalité des chances et l’optimisme que le rêve prend toute sa signification. Pour d’autres, le rêve devient quantifiable avec l’obtention d’un diplôme collégial, l’achat d’une propriété, des revenus annuels considérables et la mobilité ascendante. Ces trois derniers paramètres sont d’ailleurs souvent considérés comme des standards de succès économiques aux États-Unis (Ballard Brown, et al., 2012).

Les revenus

Même si la richesse n'est presque jamais listée comme une composante essentielle du rêve américain, l'atteinte d'un certain niveau de sécurité financière est un objectif auquel plusieurs aspirent.

L'éducation

L'éducation est souvent reconnue comme un des meilleurs moyens d'assurer l'égalité - un outil qui est supposé permettre à quiconque d'accéder au succès, peu importe ses origines. La population américaine atteint en majorité la diplomation de niveau secondaire, mais la diplomation collégiale reste réservée à une minorité. La hausse constante des frais de scolarité restreint d'autant plus l'accès à l'éducation supérieure.

La propriété

Même si la disponibilité des logements est très disparate à travers les États-Unis, il est certain que l'accès à la propriété est une composante qui est inhérente à la majorité des définitions du rêve américain. Il présume un succès économique et une indépendance. Ne pas dépendre d'un propriétaire extrinsèque fait partie de l'imaginaire de plusieurs.

Comme l’indique le tableau 1.1.1, les revenus moyens par ménage augmentent de 27 % sur un horizon de près de 40 ans, mais des prévisions précédentes se basant sur la croissance de 1970 à 2000 projetaient une hausse de 41 % à raison de 1,2 % par année. Ces prévisions s’avèrent cependant erronées. La récession de 2000 à 2018 a entraîné un taux d’augmentation de seulement 0,3 % par année (Horowitz, et al., 2020). La moyenne de croissance tombe alors à 0,75 % par année sur la période de 36 ans, soit un écart de 0,45 % par rapport aux prévisions.

Tableau 1.1.1 - Coût de la vie aux États-Unis

Sources : U.S. Census Bureau, s. d-b.; Hanson, 2022; U.S. Census Bureau et U.S. Department of Housing and Urban Development, 2020.

Alors que les revenus moyens ont connu une certaine stagnation, les coûts de l’éducation connaissent une hausse stable; l’éducation publique croît à un taux de 18,4 % par année, tandis que les coûts annuels de l’éducation privée augmentent à un taux de 15,3 % (Hanson, 2022).

De plus, les contraintes en ce qui a trait à l’accès à l’éducation ne sont pas seulement financières. La demande pour l’éducation supérieure n’a jamais été aussi élevée. En effet, les taux d’acceptation des plus grandes universités aux États-Unis sont de plus en plus bas et la compétition est d’autant plus féroce.

En 1984, la moyenne des taux d’acceptation était de 54 % dans les cent universités les plus convoitées et elle descend à 18 % en 2020 (U.S. News, 2020; The Washington U.S. News, 2020; The Washington Post, 2014). Par exemple, l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), qui est publique, a reçu 139 490 demandes d’admission en 2021, mais seulement 11 % des candidats ont été admis au programme universitaire.

Il n’y a pas que les coûts de l’éducation qui sont à la hausse, ceux de l’immobilier montent aussi en flèche. La crise immobilière actuelle menace également le rêve   américain : l’augmentation de 316 % du coût d’une propriété depuis 1984 rend l’accès à la propriété inconcevable pour plusieurs résidents américains (U.S. Census Bureau; U.S. Department of Housing and Urban Development, 2020). Selon une enquête du Pew Research Center réalisée en octobre 2021, près de la moitié des Américains (49 %) affirment que la disponibilité de logements abordables dans leur communauté est un problème majeur, soit 10 % de plus qu’au début de 2018 (Schaeffer, 2022).

Quant au quatrième paramètre, selon un sondage mené en 2007 dans le cadre du Pew Economic Mobility Project (Pew Research Center), la phrase American Dream est perçue par la société américaine comme signifiant que chaque génération s’en sortira mieux que la précédente. Elle signifie aussi qu’avec du travail acharné, chacun peut améliorer sa situation économique (Economic Mobility Project, 2007).

La mobilité intergénérationnelle

La mobilité intergénérationnelle dénote la relation entre le statut socio-économique des parents et celui des enfants à l'atteinte de l'âge adulte. En d'autres termes, la mobilité révèle dans quelle mesure les individus progressent sur l'échelle sociale par rapport à leurs parents (L'Encyclopédie canadienne).

Une des approches les plus répandues pour étudier la mobilité intergénérationnelle consiste à analyser l’évolution des revenus familiaux d’une génération à l’autre et d’analyser la mobilité entre les quintiles de répartition des revenus. Cependant, l’approche choisie affecte la perspective sur la situation : une approche avec la mobilité absolue montre le point de vue du verre à moitié plein, car elle se fie uniquement à une comparaison brute avec la génération précédente sans tenir compte des déplacements entre les quintiles. L’approche avec la mobilité relative, quant à elle, montre le point de vue du verre à moitié vide, car elle prend en compte les déplacements sur une échelle objective des quintiles de revenus. Puisque les quintiles sont établis selon les tranches de revenus, il est généralement plus facile d’atteindre la mobilité absolue que la mobilité relative. Les données mises en lumière à la figure 1.1.1 sont tirées de l’étude sur la mobilité économique Pursuing the American Dream : Economic Mobility Across Generations menée par The Pew Charitable Trusts, en 2012.

Figure 1.1.1 - Mobilité intergénérationnelle absolue par quintile de revenus parentaux aux États-Unis

Source : The Pew Charitable Trusts, 2012.

Une analyse de la mobilité intergénérationnelle absolue démontre clairement que les revenus familiaux de la majorité des enfants dépasseront ceux réels de leurs parents. En effet, 84 % de tout enfant adulte obtiendra un revenu réel qui surpassera celui de ses parents.

Cependant, une analyse de la mobilité intergénérationnelle relative à la figure 1.1.2 démontre que, malgré le dépassement des revenus connus dans l’analyse absolue, plusieurs peineront à changer de quintile de revenus.

Figure 1.1.2 - Mobilité intergénérationnelle relative par quintile de revenus parentaux aux États-Unis

Source : The Pew Charitable Trusts, 2012.

Les deux quintiles extrêmes illustrent bien le phénomène d’« extrémités collantes » : 43 % des enfants naissant dans le quintile inférieur demeurent dans le quintile inférieur et 40 % des enfants naissant dans le quintile supérieur y demeurent (The Pew Charitable Trusts, 2012).

LE RÊVE CANADIEN

S’il existait un « rêve canadien », il ressemblerait beaucoup à ce que le monde reconnaît comme étant le rêve américain. Alors que les valeurs et les institutions ont un rôle important à jouer dans la mobilité intergénérationnelle, la priorité qu’accordent les États-Unis et le Canada à l’égalité des chances seraient à l’origine des similitudes entre les comportements américains et canadiens. En effet, selon plusieurs sondages d’opinion publique, le rêve américain et le rêve canadien seraient en fait définis de manière très similaire.

Figure 1.1.3 - Caractéristiques du rêve américain au Canada et aux États-Unis

Source : Connolly, et al., 2019

Visite avec la délégation du Québec dans la Bay Area

Lors du périple sur la côte ouest nord-américaine, la délégation du Quénec dans la Bay Area souligne une différence culturelle importante : la culture de la Silicon Valley est beaucoup plus ouverte sur l'entrepreneuriat que la culture québécoise. En effet, la population québécoise est peu encline à s'exposer aux risques du lancement d'une entreprise et a tendance à se contenter d'un succès plus modeste, mais plus assuré. De plus, les nombreux investisseurs en capitaux de risques rendent les opportunités d'entreprenariat plus profitables dans la Silicon Valley.

Les convergences sautent aux yeux : les points communs sont majoritaires et les quelques points de divergence présentent un écart de quelques points de pourcentages seulement. Les principales différences résident dans l’importance de la mobilité intergénérationnelle, le désir d’avoir un revenu suffisant pour se permettre quelques luxes et l’importance de l’entrepreneuriat.

CE N'EST PAS TOUT LE MONDE QUI PEUT SE PERMETTRE DE RÊVER

Quoique le concept en question soit décrit comme un rêve, la réalité de ce dernier est de plus en plus compromise par les menaces qui affligent la société américaine. Comme l’a prononcé le célèbre humoriste George Carlin, « il s’appelle le rêve américain – parce qu’il faut être endormi pour y croire » (George Carlin : Life Is Worth Losing, 2005). Le rêve américain a connu de nombreuses atteintes depuis sa première définition, en 1931 : la Grande Dépression des années 1930, l’embargo pétrolier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1973, la guerre du Golfe en 1990, la bulle Internet en 2000 et la crise immobilière de 2008 (Huddleston Jr., 2020). La ténacité des États-Unis face à ces crises a permis de garder le rêve américain en vie dans l’imaginaire de plusieurs.

Les États-Unis font cependant face à une crise prépondérante qui naît indépendamment d’un phénomène spécifique : la disparité des richesses. Cet enjeu crée un clivage   important entre le premier et le dernier quintile de revenu de la société. Cette disparité des revenus est une menace directe à la mobilité intergénérationnelle caractéristique du rêve américain : les personnes nées dans la classe inférieure ou la classe moyenne inférieure auront beaucoup plus de difficultés à se sortir de leur classe d’origine. La création de ce gouffre affaiblit la classe moyenne, elle perd de son influence dans les décisions nationales économiques et une position dans la classe moyenne n’est plus synonyme de sécurité financière comme c’était le cas il y a quarante ou même vingt ans (Gornick, 2020).

La répartition des revenus par quintile à la figure 1.1.4 illustre clairement le problème d’inégalité aux États-Unis : le cinquième de la population possède près de 50 % des revenus totaux nationaux.

Figure 1.1.4 - Distribution des revenus par quintile aux États-Unis

Source : Income shares by quintile, s.d.

Cependant, l’évolution de la répartition des revenus démontre le problème de distribution. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États-Unis redistribuent seulement 22 % environ des revenus nationaux vers les quintiles inférieurs. Quoique la différence ne soit pas marquante, le Canada redistribue tout de même une plus grande part des revenus nationaux, soit 28 % qui sont remis aux quintiles inférieurs. La différence repose plutôt dans l’influence du gouvernement sur la mobilité économique.

Dans une étude de 2019 menée par des chercheurs à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et The Graduate Center City University of New York, un groupe est sondé sur la bienveillance des gouvernements en ce qui a trait à la mobilité économique. Parmi les répondants, 46 % des Canadiens estiment que le gouvernement fait plus pour aider que pour nuire, comparativement à 36 % chez les Américains. À l’opposé, 46 % des Américains estiment que le gouvernement fait plus de mal que de bien, comparé à 39 % chez les Canadiens.

Consulat général des États-Unis à Montréal

Malgré la croissance des inégalités, comme l'indique le deuxième objectif de la Feuille de route pour un partenariat renouvelé Canada États-Unis, l'expression rebâtir en mieux signifie qu'il y a une volonté des gouvernements à renforcer la classe moyenne canado-américaine pour la sortir de la stagnation qui la menace actuellement.

Figure 1.1.5 - Part des revenus américains par classe

Source : Horowitz, et al., 2020

La mauvaise gestion de la redistribution des richesses contribue grandement au problème de l’appauvrissement de la classe moyenne (Causa et Hermansen, 2019).

Une recherche menée par The Pew Research Center et publiée en 2020 révèle que la croissance des revenus au cours des dernières décennies a penché en faveur des ménages à revenu élevé. Par le fait même, la classe moyenne américaine, qui regroupait autrefois la grande majorité des Américains, se réduit. Ainsi, une plus grande part du revenu global de la nation va maintenant aux ménages à revenus supérieurs et la part allant aux ménages à revenus moyens et inférieurs est en baisse (Horowitz, et al., 2020).

En somme, la stagnation des revenus, l’augmentation des coûts de l’éducation et de l’immobilier et la disparité des richesses assombrissent l’atteinte du fameux rêve américain. Cependant, des efforts gouvernementaux suggèrent que la chance des Américains pourrait tourner et que la classe moyenne serait en mesure de regagner le pouvoir qu’elle possédait auparavant.

R. Nickson

Public versus privé : un accès pour tous?

Noémie Key

Les systèmes de santé au Canada et aux États-Unis se distinguent à plusieurs égards. Le Canada offre des soins de santé de base à tous ses citoyens à travers un système public d’assurance maladie. De son côté, le système de santé des États-Unis est largement privatisé. Le pays est d’ailleurs celui qui dépense le plus par habitant en matière de santé au monde (Roosa Tikkanen, et al., 2020).

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain » (OMS, 2017). Il en découle que toute personne, peu importe son lieu de résidence, devrait avoir la chance d’accéder à des soins de santé de qualité. Les différences entre les systèmes de santé au Canada et aux États-Unis font toutefois ressortir d’intéressants constats, notamment en ce qui a trait à l’accès de la population aux soins de santé. Plusieurs aspects y sont directement liés, tels que les dépenses consacrées aux systèmes de santé, l’accès aux services de santé et les impacts que ceux-ci ont sur la population.

DEUX SYSTÈMES SIMILAIRES, MAIS À LA FOIS DIFFÉRENTS

Les dépenses gouvernementales en matière de santé varient considérablement entre le Canada et les États-Unis. Ce dernier dépense en effet presque deux fois plus d’argent par habitant que ne le fait le Canada.

Comme le démontre le tableau 1.2.1, les dépenses par habitant des États de Washington, de la Californie et de l’Oregon sont nettement inférieures à celles des États-Unis, comparativement au Québec où elles sont presque équivalentes à celles du Canada. De plus, les dépenses par habitant du Québec sont plus de deux fois supérieures à celles des États américains.

Tableau 1.2.1 - Dépenses en santé (public et privé) au Canada (2021) et aux États-Unis (2018)

Sources : Byrnes, s.d.; Census Bureau, s.d.; CMS, 2021; Country Economy, s.d.; Department of numbers, s.d.; Gouvernement du Canada, 2012; ICIS, 2021; Institut de la statistique du Québec, 2021; Statistica, 2021; Square, 2021; U.S. Census Bureau, s.d.; The World Bank, s.d.

La nature des assurances

Une autre différence intéressante entre les deux pays est la distribution de la nature des assurances des citoyens. En 2020, 8,6 % des Américains n’avaient pas accès à des assurances en matière de santé, alors que 91,4 % des gens en détenaient. Parmi ces derniers, 66,5 % détenaient des assurances privées contre 43,8 % publiques (Keisler-Starkey & Bunch, s.d.).

Le système public d’assurance maladie du Canada offre gratuitement les services prodigués à l’hôpital, les chirurgies et les consultations médicales. En effet, 100 % de la population est couverte par l’assurance publique. Toutefois, 67 % se dotent  également d’une assurance privée pour bénéficier de plus de soins (Roosa Tikkanen et al., 2020). En 2018, le Canada avait une répartition des dépenses de santé entre le public et le privé à des taux respectifs de 70 % et 30 % (Lee et al., 2021).

Aux États-Unis, les services couverts    diffèrent selon le type d’assurance. Les prestations des régimes de santé privés varient et l’Affordable Care Act (ACA) exige que les plans du marché couvrent dix catégories de « prestations de santé essentielles ». En ce qui concerne les assurances publiques, trois types sont offerts : Medicaid (pour les personnes économiquement défavorisées), Medicare (pour les personnes âgées et handicapées) et VA (pour les vétérans et l’armée).

La satisfaction

Les Américains ont en général une satisfaction à l'égard des assurances inférieure à celle d’autres pays à revenus élevés. Une étude menée entre 2011 et 2013 démontre que la satisfaction à l’égard du système de santé était beaucoup plus élevée chez les adultes plus âgés que chez les personnes de moins de 65 ans. La même tendance prévalait chez les personnes ayant des revenus plus élevés par rapport à celles ayant des revenus plus faibles. Le taux de satisfaction pour les moins de 65 ans, assurés à 79 %, atteint 48 % alors qu’il est de 74 % pour les plus de 65 ans qui sont, eux, assurés à 99 %. Le taux d’assurance est élevé pour les personnes âgées, car il est garanti par Medicare. Ce taux élevé est également lié à la garantie d’obtenir le meilleur traitement disponible et les médecins de leur choix (Hero, et al., 2016). Il a aussi été démontré que les déterminants liés à la satisfaction des Américains sont intimement liés à l’accès aux soins de santé et que les différents types d’assurances creusent des écarts en matière d’accès et de qualité des soins (Hero, et al., 2016).


Le temps d'attente

Le temps d’attente à l’hôpital est souvent présenté comme un indice de la qualité des soins reçus. Bien que les temps d’attente de moins d’un jour soient similaires dans les deux pays, ils sont très élevés comparativement à d’autres pays riches. Par contre, l’attente de plus de 30 jours, par exemple pour recevoir une consultation d’un médecin spécialiste, est deux fois plus élevée au Canada qu’aux États-Unis (OECD, 2022). Ce temps d’attente est également lié à la satisfaction globale des services; 66 % des Canadiens affirment qu’ils sont satisfaits de leur système de santé. Toutefois, 71 % sont d’accord pour dire que le système est trop bureaucratique (Dallaire, et al., 2021).

L'espérance de vie

L’espérance de vie est aussi un indicateur pertinent pour mesurer la santé générale de la population. En effet, la figure 1.2.1 démontre que l’espérance de vie des Canadiens est en moyenne supérieure de 3,5 années à celle des Américains.

Figure 1.2.1 - Espérance de vie des Canadiens et des Américains en 2020

Source : Satista, 2020

Une étude publiée dans l’American Journal of Public Health sur l’efficacité des systèmes de soins de santé a démontré que la politique de santé canadienne est efficace, puisqu’elle réussit à réduire les maladies chroniques et aiguës en investissant dans les conditions sociales, les mesures de prévention et la promotion de la santé. Aussi, le taux de pauvreté inférieur à celui des États-Unis permet au Canada de se démarquer avec une meilleure santé globale, considérant que ce facteur contribue à alimenter les inégalités et les problèmes de santé (Heymann & Barthold, 2014).

Comme soulevé plus tôt, les États-Unis sont l’un des pays qui dépensent le plus d’argent par personne en matière de santé (Roosa Tikkanen, et al., 2020). Par contre, ses habitants ne jouissent pas une espérance de vie supérieure à celle du Canada, ni même à celle de la plupart des pays riches (Figure 1.2.2). Il est donc intéressant de souligner que la quantité d’argent investie ne semble pas être le seul élément déterminant, et que la question est plutôt de voir comment il est dépensé (Max Roser, 2020).


La figure 1.2.2 illustre l’écart important en matière de dépense de santé des États-Unis versus les autres pays présentés. Entre 1960 et 2019, l’espérance de vie a augmenté dans les pays observés,  et ce,  pour plusieurs raisons, notamment l’amélioration des connaissances en médecine, le développement des technologies, l’éradication de certaines maladies, la meilleure hygiène personnelle, etc. Toutefois, les dépenses des États-Unis grimpent significativement, sans pour autant assurer une espérance de vie supérieure à celle des autres pays.

Figure 1.2.2 - Espérance de vie versus dépenses de santé de 1960 à 2019

Sources : OECD, 2022 ; Fxtop, 2022

L’espérance de vie est un indicateur complexe faisant intervenir différents facteurs. Plusieurs raisons peuvent également expliquer pourquoi l’espérance de vie aux États-Unis est moins élevée. Par exemple, le pays compte le plus haut taux de fumeurs au monde (92,49/100 000 habitants en 2019), un nombre important de cas de maladies chroniques (70 % de surpoids et 30 % d’obésité en 2019), les accidents de la route (avec un taux de décès de 11,14/100 000 habitants vs 5,93 au Canada), la surdose d’opioïdes, avec le plus haut taux de décès au monde (13,69/100 000 habitants vs 4,67 au Canada), les homicides, le suicide, la pauvreté et les inégalités économiques, etc. (Roser, 2020).

UN ACCÈS RESTREINT AUX ÉTATS-UNIS

Comme mentionné précédemment, tous les résidents canadiens ont accès à une assurance maladie qui leur garantit l’accès à des soins de santé de base. Les nouveaux arrivants peuvent aussi accéder à ce service, après trois mois de résidence au pays (Ella Bergquist, 2019). Aux États-Unis, en 2020, 28 millions d’Américains (citoyens ou immigrés) n’avaient pas accès à des assurances en matière de santé. La figure 1.2.4 présente la distribution de ces personnes non assurées.

Figure 1.2.3 - Indicateurs de la faible espérance de vie aux États-Unis

Source : Roser, 2020

Figure 1.2.4 - Distribution des Américains non assurés, 2020

Source : Keisler-Starkey & Bunch, s.d.

Il est possible d’observer que l’accès à des soins de santé est plus ardu aux États-Unis pour certains groupes de personnes. En effet, la plupart des Américains non assurés se trouvent dans l’ouest et le sud du pays, la majorité sont immigrés et n’ont toujours pas obtenu leur citoyenneté américaine. Le Canada quant à lui offre à ses citoyens et aux nouveaux arrivants une certaine tranquillité d’esprit et la sécurité d’avoir accès à des soins de santé fiables (Santhanam, 2020). En effet, l’accessibilité est l’un des cinq principes fondamentaux décrits dans la Loi canadienne sur la santé.

UN PLAN D'ACTION POUR LES SOCIÉTÉS CANADIENNES ET AMÉRICAINES

La pandémie de la COVID-19 a affecté le monde entier et l’Amérique du Nord n’y a pas échappé. Les inefficacités dans les systèmes de santé ont été exacerbées et ont fait ressortir plusieurs problématiques entourant l’accès aux soins et la pénurie de ressources. La consommation de drogues et d’opioïdes a également augmenté depuis le début de la pandémie (Centers for Disease Control and Prevention, 2022). À ce titre, un plan d’action canado-américain sur les opioïdes a été mis sur pied afin de travailler en collaboration pour trouver des solutions. Depuis plusieurs années, les gouvernements ont établi la santé comme un thème prioritaire où il est impératif d’agir.

La crise des opioïdes

La crise a débuté dans les années 1990 où la prescription d'opioïdes a connu une montée fulgurante. En effet, plusieurs compagnies pharmaceutiques promettaient à leurs clients des résultats miracles sans effets secondaires. Cependant, ces fausses promesses se sont rapidement transformées en l’une des pires crises de santé publique. Les opioïdes sont des médicaments utilisés pour traiter la douleur, mais ils causent plusieurs effets secondaires comme l’altération des processus mentaux, le sentiment d’euphorie, les changements d’humeur et la dépendance (Santé Canada, 2018).

En 2019, les États-Unis ont connu le plus haut taux de décès par surdose d’opioïdes, soit 13,69 décès par 100 000 habitants (versus 4,67/100 000 au Canada). En 2020, 6 306 Canadiens sont décédés en lien avec une consommation liée aux opioïdes, soit une moyenne de 17 décès par jour (Hatt, 2022).

En somme, le système de santé du Canada est beaucoup moins coûteux que celui des États-Unis, et il offre davantage de services de base à tous ses citoyens. Cet accès aux soins pour tous se traduit en partie par une espérance de vie supérieure et une meilleure satisfaction globale à l’égard du système de santé. Chaque système possède alors ses propres avantages et inconvénients. Un inconvénient flagrant du système des États-Unis est la discrimination envers certains groupes comme les immigrants et les personnes défavorisées qui se trouvent ainsi dans une position difficile pour accéder à des soins de base. L’assurance Medicare octroyée aux personnes de 65 ans est par contre un avantage important qui leur offre la certitude d’avoir facilement accès à des soins de qualité. En dépit des longs temps d’attente dans les hôpitaux, un avantage majeur du système de santé canadien est l’accessibilité pour tous et l’offre d’une certaine sécurité quant à la prise en charge médicale.

S. Moses

Soupe ou salade :
les modèles d'intégration

Khelil Joudane

Les débats sur l’immigration et l’inclusion sociale sont au centre des discours politiques. Au Québec, les lois sur l’immigration changent et aux États-Unis, les luttes contre les discriminations sociales sont à leur apogée. Ces problématiques ne sont pas nouvelles et chaque pays adopte différents modèles de société pluriculturelle.

La mondialisation et les mouvements de population qui s’intensifient créent des sociétés de plus en plus mixtes et ethniquement diversifiées. Ce constat amène des questionnements légitimes sur la façon de créer des sociétés fonctionnelles où s’équilibrent l’unité sociale et le respect des cultures des personnes immigrées. Le Canada et les États-Unis font partie des pays qui accueillent le plus d’immigrants (OECD, 2022). Par exemple, au Canada, 75 % de la croissance de la population est due à l’immigration (Proulx-Chénard, 2021). Ce genre de statistique justifie le fait de s’intéresser à l’organisation sociale de ce phénomène qui prend de l’ampleur. Trois stratégies différentes d’intégration existent, soit le multiculturalisme canadien, l’interculturalisme québécois et l’assimilation étasunienne.

Le multiculturalisme est défini comme « la coexistence de plusieurs cultures dans un même pays » (Le Robert, 2021). Ce terme et son utilisation apparaissent en 1938 dans le livre Canadian Mosaic: The Making of a Northern Nation, écrit par John Murray Gibbon. Il vise à donner de la visibilité et un accès à l’espace public à toutes les ethnies qui constituent la mosaïque sociale.

L’interculturalisme québécois est une philosophie qui permet la coexistence de plusieurs ethnies et cultures sous un contrat social qui place la laïcité et la langue française comme socle commun (Proulx-Chénard, 2021). On a donc une culture principalement francophone où d’autres cultures peuvent coexister.


L’assimilation, contrairement aux deux philosophies précédentes, estime qu’une culture minoritaire va évoluer et s’imprégner des valeurs de la culture dominante jusqu’à former un tout homogène. Cette pensée a longtemps prévalu aux États-Unis où elle était surnommée le melting-pot (Office québécois de la langue française, 2016).

Ces trois visions s’affrontent dans les régions étudiées, et cela est d’autant plus intéressant, car ces philosophies sont géographiquement voisines. La suite de l’article met en exergue ce qui oppose les différentes politiques adoptées et tente de décrire les raisons d’une telle disparité.

LE CANADA ET LE QUÉBEC

Le Canada est le premier pays au monde à avoir adopté une politique d’intégration multiculturelle, et cela est grandement dû au bilinguisme canadien. En effet, cette politique a pris tout son sens après que la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1969) a produit un rapport décrivant le malaise grandissant de la communauté francophone du Québec. Ce rapport déclenche une suite de lois et de mesures qui affirme consécutivement le bilinguisme au sein du Canada, notamment avec La loi de 1969 sur les langues officielles. Enfin, la Loi sur le multiculturalisme est adoptée, en 1971, sous le premier ministre Pierre Elliott Trudeau qui déclare qu’il n’y a pas de culture officielle au Canada malgré l’existence de deux langues officielles.

Cette période est aussi marquée par des changements politiques importants pour le Québec qui revendique une place dans les prises de décision politiques et l’affirmation de son identité culturelle française. La promulgation du multiculturalisme canadien n’est pas accueillie avec enthousiasme au Québec. Il semble y avoir une volonté  d’effacer l’existence de deux cultures fondatrices du Canada; l’anglaise et la française. L’idée de l’interculturalité commence à apparaître avec le projet de loi 101 et de la Charte de la langue française, en 1977. Ce concept devient officiel en 2008 avec la commission Bouchard-Taylor qui emploie le mot Interculturalité et le définit comme une volonté d’offrir l’épanouissement aux différentes ethnies tout en gardant « un noyau francophone ».

Une particularité se dégage des études récentes qui comparent l’évolution des langues parlées par les Canadiens : entre 2011 et 2016, le français perd de son importance.

Cela démontre que malgré le protectionnisme au Québec, la popularité de la langue française continue à diminuer au Canada.

Figure 1.3.1 - Amenuisement de la communauté francophone

Source : Statistique Canada, 2017

LE MODÈLE D'ASSIMILATION ÉTASUNIEN

L’interaction entre les différentes cultures présentes aux États-Unis a quant à elle été théorisée pour la première fois par les universitaires de Chicago (Rea & Tripier, 2008). La théorie principale considérée durant la majeure partie du XXe siècle est l’assimilation. Cette vision de la mixité sociale s’appuie sur l’idée que les différences entre les cultures immigrées s’effacent petit à petit en faveur d’une culture commune qui représente une société uniforme. Plusieurs chercheurs travaillent à affiner cette théorie. La plus connue reste celle de Gordon qui décrit les étapes qu’une personne franchit pour s’assimiler à la culture dominante (Gordon, 1964).

En 1979, puis en 1992, Gans émet respectivement les théories de l’assimilation en ligne droite et de l’assimilation chaotique (Rea & Tripier, 2008). La première insiste sur la composante générationnelle de l’assimilation et remet en question le côté individuel de ce phénomène. La deuxième approfondit le rapport entre les ethnies et les embûches que la société leur impose. Cette politique crée une culture unique surnommée le melting-pot. Elle représente une philosophie contraire à la mosaïque canadienne, car elle cherche à effacer les différentes appartenances en faveur d’une certaine unicité.

Cependant, depuis l'émergence du mouvement des droits civiques, la théorie de l’assimilation est de plus en plus critiquée : plusieurs considèrent que les immigrants d’origine européenne réussissent à entrer dans le melting-pot alors que les Afro-Américains en sont exclus. En prenant en compte la théorie critique de la race, qui prend de plus en plus d’importance dans la sphère des recherches sociales, la vision d’une société unifiée devient difficile à défendre, car elle ne considère pas les inégalités raciales. À l’époque où le concept d’assimilation était brandi comme une norme, les lois sur la ségrégation raciale étaient encore d’actualité et empêchaient les Afro-Américains de faire partie intégrante de la société américaine. Des études ont depuis appuyé l’existence de différences de traitement entre les ethnies représentées aux États-Unis (Rea & Tripier, 2008). L’assimilation perd de plus en plus de terrain pour faire place à un modèle qui se préoccupe de la pluralité ethnique de la société étasunienne.

Une étude sur les immigrants de deuxième génération (Glazer & Moynihan, 1963) démontre une volonté d’avancer vers un pluralisme culturel et une affirmation de certains traits culturels. Pour les immigrants européens, c’est une affirmation de leurs différences et de leurs traditions. Pour les communautés racisées, c’est une affirmation de la fierté de faire partie de leur communauté. Les événements récents qui ont conduit au mouvement Black Lives Matter continuent d’affirmer le besoin d’un modèle qui prend en compte la diversité ethnique. Tout cela démontre bien qu’un modèle sociétal, quel qu’il soit, est voué à évoluer avec les avancées sociales.

La diversité culturelle est une question cruciale pour les sociétés plurielles. Cette question suscite de grands débats sur la scène publique, surtout quand elle touche à la religion et à la langue. Le débat au Québec tourne sur la laïcité et la langue française, alors qu’aux États-Unis, le débat se concentre sur la création d’une culture unique et le nivellement des différences. Chaque pays adopte une vision qui reflète son histoire et les conditions dans lesquelles les débats ont eu lieu. Il faut noter aussi que cette philosophie est vouée à évoluer dans le temps avec les avancées réalisées dans les études sociales.

Kelly

Les armes à feu, une culture de violence

Noémie Key

Aux États-Unis, les armes à feu sont à l’origine d’environ 40 000 décès annuellement. Au cours de la dernière décennie, les homicides, les suicides par arme à feu et les fusillades de masse ont tous augmenté. Malgré les lois plus strictes, la violence par arme à feu a également augmenté au Canada de 81 % depuis 2009.

Au cours de la dernière décennie, les homicides par arme à feu, les suicides par arme à feu et les fusillades de masse publique ont augmenté en Amérique du Nord (BBC News, 2021). Ce phénomène grandissant impose un fardeau important aux sociétés. Plusieurs coûts y sont associés et de nombreux efforts doivent être mis de l’avant pour gérer ces incidents. Les effets négatifs de l’exposition à la violence sont documentés et il y a consensus sur la nécessité d’agir.

LES LOIS POUR LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

Au Canada, le contrôle des armes à feu est régi par la Loi sur les armes à feu et le Code criminel (Gouvernement du Canada, 2019). Certaines lois et des règlements provinciaux viennent toutefois renforcer ce contrôle. Sécurité publique Canada est responsable des exigences législatives, politiques et réglementaires touchant l’utilisation des armes à feu (Sécurité publique Canada, 2018). En fait, la possession d’armes à feu par des civils se limite aux personnes pratiquant la chasse et le tir sportif. Pour répondre à l’augmentation de 81 % de la violence armée depuis 2009, le gouvernement du Canada a entrepris différentes actions comme le renforcement des lois, l’affermissement de la sécurité à la frontière afin de réduire le trafic d’armes et une prévention pour lutter contre la violence et les activités des gangs.

Le 6 décembre 1989

L’année 2022 marque le 32e anniversaire de la tuerie antiféministe qui a emporté 14 femmes et blessé 13 autres personnes à Polytechnique Montréal. L’homme responsable avait en sa possession une carabine semi-automatique qu’il s’était procurée, prétextant une utilisation pour la chasse. Cette date restera à jamais gravée dans la mémoire des Québécois.

Cet événement a donné suite à de nombreux débats sur la violence à l’égard des femmes et sur les lois plus strictes en matière de contrôle des armes à feu au Canada. La Coalition pour le contrôle des armes à feu a ensuite été créée et en 1995, le projet de la loi C-68 sur la législation fédérale du contrôle des armes a été adopté. En 1991, le Parlement du Canada a déclaré le 6 décembre Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes (Lanthier & Cooper, 2021).

Aux États-Unis, le droit de posséder une arme à feu est garanti par le deuxième amendement de la Constitution écrite en 1791 par les pères fondateurs. Ces derniers ont rédigé cet amendement dans la crainte qu’un gouvernement tyran désarme la population, et ils ont ainsi voulu lui donner un droit de révolte. Aussi, des représentants du sud étaient en faveur de l’inclusion de cet amendement afin d’organiser des milices pour contrôler leurs esclaves. Ce deuxième amendement est décrit comme suit : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé. » Depuis 2008, la Cour suprême des États-Unis reconnaît l’autodéfense comme un élément central du droit, et l’amendement se transforme ainsi en droit individuel (Lubeck, 2022). Cet amendement fait ressortir la prévalence des valeurs de liberté chez les Américains et l'importance de celles-ci dans leur identité. Il est aussi important de souligner le rôle du puissant lobby des armes à feu aux États-Unis où des milliards de dollars sont en jeu. En effet, l’industrie des armes s’élevait à plus de 6 milliards de dollars en 2019 et plus de 20 millions d’armes se sont vendues en 2020 (Lubeck, 2022). Au fil des années, l’opinion du public a fluctué concernant les lois reliées aux armes. En 2020, environ 56 % de la population était en faveur de lois plus strictes, 35 % des personnes souhaitaient le statu quo et 9 % préféraient des lois moins strictes (BBC News, 2021).

Le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et explosifs (ATF) établit les lois et attribue des licences aux vendeurs d’armes. En plus des lois fédérales sur les armes à feu, les États américains imposent leurs propres restrictions. La plupart des États exigent un permis pour acheter ou posséder une arme, alors que d’autres sont beaucoup moins restrictifs. À la suite de nombreux événements violents, de nouvelles lois fédérales ont vu le jour. Par exemple, le Gun Control Act of 1968 (GCA) interdit la vente d’armes aux moins de 18 ans et aux criminels condamnés et le Brady Handgun Violence Prevention Act (1993) rend maintenant obligatoire la vérification des antécédents de toute personne n’ayant pas de permis d’achat. Avec la récente augmentation de la violence et des fusillades de masse comme à Las Vegas et à Orlando (Masters, 2021), le président Biden a dit vouloir mettre en place une stratégie globale de réduction de la criminalité liée aux armes à feu. Celle-ci prévoit la formation d’équipes d’intervention contre le trafic d’armes et une aide pour permettre aux communautés de développer des programmes de prévention et d’intervention en matière de criminalité.

La possession d’armes à feu aux États-Unis est préoccupante, surtout en considérant que le pays regroupe moins de 5 % de la population mondiale et compte pour 46 % des propriétaires d’armes au monde (Tableau 1.4.1). C’est aussi le pays industrialisé qui détient le plus haut ratio d’homicide par arme à feu (Masters, 2021).

Tableau 1.4.1 - Nombre de propriétaires d’armes et taux d’homicide aux États-Unis et au Canada

Source : BBC News, 2021

Parmi les Américains, il semblerait que les gens en zone rurale, les hommes et les républicains sont plus susceptibles de posséder une arme à feu (Figure 1.4.1). En effet, le Parti républicain soutient entre autres le capitalisme, les restrictions à l’immigration, l’augmentation des dépenses militaires, le droit au port d’armes et les restrictions à l’avortement. Les démocrates, de leur côté, sont presque unanimes pour soutenir l’adoption de lois plus strictes envers le contrôle des armes (91 % sont en accord, alors que seulement 24 % des républicains le sont) (BBC News, 2021). Dans une étude réalisée en 2019, les raisons évoquées en faveur du port d’arme      étaient : la protection personnelle (63 %), la chasse (40 %), les sports récréatifs (11 %), l’héritage familial (6 %) et le travail (5 %) (Schaeffer, 2021).

Figure 1.4.1 - Taux de possession d’armes à feu selon certaines caractéristiques

Source : Schaeffer, 2021

En 2020, 44 % des personnes possédaient une arme à feu. Les armes peuvent être achetées dans des centaines d’endroits allant d’un commerce spécialisé au magasin à grande surface comme Walmart (Smith, 2015). La prévalence de la possession d’armes varie selon les États et semble plus importante dans les États du centre et du sud du pays (Figure 1.4.2). Ce sont majoritairement des États républicains.

Figure 1.4.2 - Possession d’armes à feu par État aux États-Unis en 2022

Source : World Population Review, 2022

Un autre fait intéressant est la fabrication d’armes à feu aux États-Unis qui a atteint son plus haut niveau en 2016, avec 11,5 millions d’armes fabriquées. La production a chuté depuis (chute de 28 % en 2018 et de 25 % en 2019), mais elle reste sensiblement élevée (Chelsea Parsons, et al., 2020). Aussi, l’industrie des armes à feu génère des milliards de dollars chaque année, ce qui contribue à sa pérennité. En plus des problèmes liés à l’absence de réglementation entourant la fabrication d’armes à feu, il existe aussi une grande communauté en ligne de fabricants amateurs qui offrent des conseils et qui vendent des kits permettant aux gens de fabriquer eux-mêmes leurs armes, ce qui renforce la possession illégale (Chelsea Parsons, et al., 2020).

DES IMPACTS RAVAGEURS

Les armes à feu sont la source de nombreuses violences comme le suicide, les homicides et les fusillades de masse. Les impacts, qu’ils soient sociaux ou économiques, ont des conséquences dévastatrices. Au cours des 25 dernières années, 1 300 décès reliés aux armes à feu ont été observés en moyenne par année au Canada, dont des suicides (80,1 %) et des homicides (12,4 %) (Gouvernement du Canada, 2015). Parmi les provinces et les territoires, ce sont le Manitoba, le Nunavut et la Saskatchewan qui comptent le plus haut taux d’homicide (Figure 1.4.3). Bien que les peuples autochtones représentaient seulement 5 % de la population en 2018, ils comptaient 22 % de toutes les victimes (Kellner & Marshall, 2022).

Figure 1.4.3 - Homicides au Canada par province en 2018

Source : Roy & Marcellus, 2019

En 2019, aux États-Unis, 54 % des décès liés à une arme à feu étaient des suicides et 43 % des homicides. Au total, 79 % des décès aux États-Unis sont liés à une arme à feu (Gramlich, 2022). Les homicides de masse sont largement médiatisés, alors qu’ils ne correspondent pas à la majorité des violences impliquant des armes. Les États-Unis possèdent le plus haut taux de suicide des pays industrialisés (Tableau 1.4.2).

Tableau 1.4.2 - Statistiques liées à la possession d’armes aux États-Unis et au Canada en 2022

Source : BBC News, 2021

Le taux moyen de suicide au Canada atteignait, en 2018, 14,8 par 100 000 habitants, alors qu’il était de 10,4 au Québec et de 72,1 au Nunavut, qui possède sans contredit le plus haut taux au pays. Le suicide fait partie des dix causes les plus communes de décès au Canada. Une étude réalisée en 2016 ne démontre aucune corrélation entre le taux de prévalence des armes à feu et le taux de suicide. Par contre, une forte association a été détectée avec les faibles revenus, l’augmentation du chômage et le pourcentage d’Autochtones dans la population (Langmann, 2020).

Un autre fait intéressant concerne les dépenses liées à la défense du droit du port d’armes qui sont largement supérieures à celles liées au contrôle des armes. En effet, les dépenses pour la défense du droit du port d’armes s’élevaient, en 2020, à plus de 30 M$. Cela démontre la très forte présence de groupes militants protégeant les droits du port d’armes et le manque de ressources en matière de contrôle. Ce droit est fortement protégé par la National Rifle Association (NRA), un des groupes lobbyistes les plus puissants pour la défense du droit du port d’armes. Avec son budget considérable, la NRA a le pouvoir d’influencer les membres du Congrès en ce qui a trait à la politique des armes à feu.

Ce manque de contrôle et l’absence de lois fédérales solides entraînent aux États-Unis des problèmes majeurs comme le trafic d’armes. Chaque année, des milliers d’armes font l’objet de trafic à travers le pays (Everytown For Gun Safety, 2022).

Une culture de la violence

Les Nord-Américains sont exposés à la violence dès l’enfance. En effet, la société actuelle est immergée dans une culture qui valorise et glorifie la violence. Dès un très jeune âge, les enfants sont rapidement confrontés à des scénarios violents à la télévision, dans les médias et dans les jeux vidéo. Cette exposition précoce à des scènes à caractère violent tend à légitimer la violence comme outil de résolution de problème. Il est estimé qu’à l’âge de 18 ans, une personne aura vu à la télévision au moins 16 000 assassinats et 200 000 actes de violence (Chelala, 2019). Des études présentées par Dorothy et Jérôme Singer, professeurs à l’Université Yale, ont démontré que la force de l’association entre la consommation de médias violents et des comportements agressifs était presque aussi forte que l’association entre le tabagisme et le cancer du poumon (AAFP, 2004).

En somme, la violence armée est un problème urgent, complexe et multiforme. L’industrie des armes à feu est l’un des principaux acteurs dans cette problématique, mais les lois fédérales américaines laxistes et la prévalence élevée de la possession d’armes à feu ont également leur part d’impacts néfastes. Les décideurs devront prendre des mesures sérieuses pour améliorer considérablement la surveillance de cette industrie afin de mieux protéger les communautés. Compte tenu des répercussions qu'implique la possession d'armes à feu, il peut être pertinent de se questionner sur le prix de cette liberté tant convoitée.

F. Olivo

Synthèse

À première vue, les sociétés nord-américaines semblent très similaires, mais elles se distinguent chacune à sa façon. Depuis les années 1930, le rêve américain influence et alimente les aspirations et les ambitions du monde entier en affichant des valeurs de liberté et de succès. Par contre, tout le monde n’a pas la chance d’adhérer aux doctrines de ce rêve si convoité. En effet, les inégalités observées au sein de la communauté reflètent de grandes différences et creusent des écarts dans la société. Par exemple, l’accès à des soins de santé n’est pas garanti pour tous aux États-Unis et il est particulièrement plus difficile pour certains groupes, notamment les immigrés. La mondialisation et l’immigration qui s’intensifient créent des sociétés de plus en plus mixtes et ethniquement diversifiées. Il y a alors des questionnements sur la façon de créer des sociétés fonctionnelles qui équilibrent l’unité sociale et le respect des cultures. Plusieurs modèles existent comme le multiculturalisme, l’interculturalisme et l’assimilation, mais ils entraînent de grands débats sur la scène publique, surtout quand ils touchent à la religion et la langue. Un autre enjeu  d'actualité qui est très important est le droit du port d’armes. Très contrôlé au Canada et au contraire fortement défendu aux États-Unis, les impacts de l’application de ces règlements affectent directement la population qui se questionne sur le prix à payer pour cette liberté de posséder une arme à feu ou The Price of Freedom.