Un barrage hydroélectrique au nord du Québec, une éolienne en pleine mer norvégienne ou une maison chauffée par la chaleur du sol en Islande ont tous un point commun : ils fournissent l’énergie nécessaire au mode de vie occidental tel que nous le connaissons. L’énergie peut être décrite selon la célèbre phrase d’Antoine Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Que ce soit pour offrir un éclairage résidentiel ou alimenter une communauté isolée, l’énergie prend différentes formes, aussi bien à travers un fil électrique que dans un baril de pétrole. Le charbon a alimenté le moteur à vapeur, permettant l’avènement d’une ère industrielle qui entraîne aujourd’hui son lot de défis, autant pour le Québec que pour la Norvège et l’Islande.
Les gouvernements norvégiens et islandais imposent à leurs distributeurs et à leur unique transporteur d’électricité une limite de revenu calculée annuellement par un organisme indépendant. Cette limite s’appuie entre autres sur la prévision des coûts reliés à l’opération et à la maintenance du réseau, tout en s’assurant de donner un rendement raisonnable basé sur le fonctionnement, l’utilisation et le développement efficace de ce réseau (NVE, 2019; National Energy Authority, 2016). Le même principe est appliqué au Québec où la Régie de l’énergie agit à titre de régulateur indépendant (Régie de l’énergie, 2017).
Lors de leur visite, les membres de l’équipe ont appris que la Régie de l’énergie est un tribunal administratif de régulation économique qui encadre et surveille le secteur énergétique. Elle fixe notamment les tarifs et les conditions de service destinés aux consommateurs québécois d’électricité et de gaz naturel. Elle traite aussi les plaintes des consommateurs et surveille le prix des produits pétroliers. De plus, la Régie adopte et surveille l’application des normes de fiabilité du réseau de transport d’électricité (Régie de l’énergie, 2017).
La limite de revenu se base sur des prévisions; des surplus ou des déficits peuvent donc survenir. Dans le cas d’un surplus, la Norvège remet l’argent directement aux consommateurs, tandis que l’Islande réduit la limite de revenu pour l’année suivante. À l’inverse, un déficit entraîne une hausse de la limite de revenu imposée aux transporteurs et aux distributeurs des deux pays (National Energy Authority, 2016; NVE, 2019).
Le producteur produit l’électricité à l’aide d’énergie hydraulique, fossile, solaire, etc. Le transporteur achemine l’électricité sur de grandes distances à un haut niveau de tension – jusqu’à 765 kV – pour éviter les pertes d’énergie. À l’échelle régionale, cette tension est abaissée et c’est le distributeur qui s’occupe de la connexion à la résidence ou aux industries (Hydro-Québec, 2020a).
Au Québec, le déficit est entièrement assumé par Hydro-Québec alors que le surplus, avant le projet de loi 34, était partagé entre Hydro-Québec et les clients. La part du surplus que conserve Hydro-Québec est intégrée aux dividendes versés au gouvernement du Québec. La valeur de ces derniers s’élevait à 2,2 G$ en 2019 (Hydro-Québec, 2020b). En 2017 et 2018, Hydro-Québec a réalisé des surplus de 43,4 M$ et 120 M$. Le surplus de 2017 a servi à réduire les tarifs d’électricité pour l’année 2019, tandis que le surplus de 2018, sans le projet de loi, aurait permis de réduire les tarifs d’électricité pour l’année 2020 (Régie de l’énergie, 2019).
Le projet de loi 34 adopté en décembre 2019 gèle les tarifs pour l’année 2020, ajuste le tarif selon l’inflation entre 2021 et 2025 et promet une remise de 500 M$ aux clients (Assemblée nationale du Québec, 2019). Hydro-Québec n’aura donc plus à se soumettre à l’exercice annuel de fixation des tarifs d’électricité en fonction des coûts, ce qui sépare les tarifs d’électricité des coûts qu’ils devraient refléter (AQCIE, 2019). Le [graphique 5.1] démontre que les hausses de tarifs des trois dernières années se situent sous l’inflation. D’ailleurs, certains économistes estiment que la pandémie de la COVID-19 entraînera des taux d’inflation plus élevés (The Economist, 2020). Ainsi, le projet de loi 34 pourrait mener à des hausses du prix de l’électricité à partir de 2021, favorisant l’actionnaire principal d’Hydro-Québec : le gouvernement du Québec.
La facture d’électricité des consommateurs résidentiels des trois pays à l’étude tient compte de la limite de revenu. Elle comprend un prix fixe couvrant le coût des réseaux de transmission et de distribution d’électricité et une composante énergétique, calculée en kilowattheure, qui dépend de la quantité d’énergie consommée (Beaufils & Pineau, 2018; NVE, 2019).
Le graphique 5.2 compare les factures d’électricité du Québec, de la Norvège et de l’Islande pour une consommation équivalente. Il démontre que la facture de la Norvège est presque deux fois plus élevée que celle du Québec, notamment en raison du taux de taxation plus élevé et de la présence d’une taxe supplémentaire sur la consommation d’énergie.
Les Islandais consomment moins d’énergie par habitant, pour le secteur résidentiel, que le Québec et la Norvège [graphique 5.3]. La principale raison repose en fait sur l’abondance de l’énergie géothermique utilisée pour le chauffage, comparativement au Québec et à la Norvège où le chauffage électrique domine [graphique 5.4] (Iceland Magazine, 2018). À titre comparatif, le chauffage est responsable de 54 % de la consommation d’électricité d’une habitation québécoise (Hydro-Québec, 2020d). Or, en ajoutant à la consommation résidentielle les secteurs commerciaux et industriels [graphique 5.3], l’Islande devient, avec ses 340 000 habitants, le pays le plus énergivore par habitant parmi les 38 pays membres de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA). À titre de comparaison, la Norvège arrive au deuxième rang parmi ces pays, le Canada septième (IEA, 2019c) et si le Québec était membre de l’IEA, il surclasserait la Norvège pour occuper la deuxième position.
Depuis 2003, l’Acte sur l’électricité islandaise autorise les compagnies consommant annuellement plus de 80 GWh à établir un contrat d’achat d’électricité à long terme, à prix fixe. Cette loi, jumelée à l’énergie renouvelable, qui atteint 99,9 %, a eu pour effet d’attirer plusieurs industries. Le secteur industriel qui profite le plus de ces avantages est celui de l’aluminium qui représente à lui seul 80 % de toute l’électricité consommée en Islande (Market & Money Advisory, 2016).
C’est d’ailleurs ce qui explique la forte augmentation de la consommation énergétique des secteurs industriel et commercial peu après l’officialisation de la loi sur l’électricité islandaise en question [graphique 5.3]. Pareillement, l’électricité faible en carbone et à bas prix du Québec attire les industries. Les alumineries y jouent aussi un rôle important; la production québécoise d’aluminium primaire correspond à 60 % du marché nord-américain (AluQuébec, 2020). Malgré qu’il soit supérieur à celui du Québec et de l’Islande, le prix de l’électricité de la Norvège demeure compétitif par rapport au reste de l’Europe, ce qui contribue également à attirer des entreprises (Karagiannopoulos, 2018).
Bien que la « spirale de la mort » illustrée à la figure 5.1 ne se soit pas concrétisée depuis son apparition dans la littérature, le contexte actuel réactualise cette possibilité (Beaufils & Pineau, 2018). En effet, comme il a été mentionné lors de la visite chez WSP, le prix des énergies renouvelables est en constante diminution, ce qui encourage l’autoproduction. Ainsi, pour éviter cette spirale, le gouvernement norvégien étudie la possibilité de calculer la facture du client résidentiel sur sa puissance (kW) et de facturer ses dépassements de puissance, ainsi que sa consommation d’énergie (kWh). Toutefois, les frais fixes seraient éliminés (NVE, 2019). L’Islande, où le coût de l’énergie est l’un des plus faibles des pays nordiques, est moins vulnérable au phénomène (Iceland Magazine, 2018).
source: Beaufils & Pineau, 2018
Le Québec n’est pas à l’abri de cette spirale; à l’horizon 2025, le prix de l’énergie solaire pourrait concurrencer celui de l’hydroélectricité (Hydro-Québec, 2020c). Or, les faibles tarifs d’électricité au Québec rendent l’énergie solaire moins attrayante par rapport au marché de l’Ontario, de New York ou de la Nouvelle-Angleterre. Effectivement, ces régions paient l’électricité plus cher, jusqu’à quatre fois plus dans les régions de New York et Boston, et bénéficient d’un ensoleillement supérieur. Ainsi, les conséquences de la « spirale de la mort » affecteront plus rapidement les marchés énergétiques voisins, diminuant ainsi les revenus d’exportation d’Hydro-Québec (Godin, 2019).
En somme, la popularité grandissante de l’autoproduction d’électricité actualise l’importance de définir de nouvelles méthodes de tarification qui représentent mieux les coûts du réseau électrique et qui envoient au consommateur un signal de prix qui encourage une utilisation efficace du service.
Le peuple sami possède une identité culturelle forte, vivante et célébrée qui est en outre représentée depuis 1989 par son propre parlement, à Karasjok. Cette population autochtone de 80 000 habitants, dont la moitié se trouve sur le territoire norvégien, habitent le nord de la Scandinavie (Visit Northern Norway, 2020). Les Samis ont un mode de vie qui, semblable aux autres Européens, est soutenu par l’accès à l’électricité du réseau public [figure 5.2]. Le réseau qui bifurque notamment vers Karasjok et Kautokeino, deux villes habitées par les Samis, témoigne de la volonté des Norvégiens d’assurer l’uniformité des services dans les municipalités nordiques.
source: Ministry of Foreign Affairs, 2011
Bien qu’aucun peuple autochtone n’habite le territoire de l’Islande, la situation géographique entraîne l’isolement du pays face au reste de l’Espace économique européen où l’énergie est partagée. Pour assurer leur autonomie énergétique, les Islandais ont développé un réseau électrique parmi les plus fiables au monde (Orkustofnun, 2020). La société d’État Landsnet est présente sur l’ensemble du territoire pour soutenir le développement économique [figure 5.3]. Un accès fiable est crucial pour les entreprises qui sont les principaux clients du réseau (Askja Energy, 2013).
source: Orkustofnun, 2020
De l’autre côté de l’Atlantique, la situation est différente chez les Inuits, les Cris et les Jamésiens. Isolées du réseau de distribution public, les communautés du Nord-du-Québec produisent leur électricité à partir de diesel [figure 5.4]. Les coûts de production par habitant sont élevés, mais les services requis sont modiques puisque la population de cette région ne représente que 0,54 % des Québécois (Institut de la statistique du Québec, 2015a). Le coût total est alors soutenable pour Hydro-Québec.
source: Hydro-Québec, 2014; Ministère de la Culture et des Communications, 2012; Nichtbesserwisser, 2008
Les clients résidentiels du Nord-du-Québec paient 6,08 ¢/kWh pour la première tranche d’énergie, le même prix que tous les particuliers du Québec. Par contre, le coût de production peut dépasser 1 $/kWh (Hydro-Québec, 2020b). L’interfinancement permet de subventionner le service aux réseaux autonomes du Nord-du-Québec avec les profits réalisés sur d’autres tarifs (Institut Canadien des Comptables Agréés, 2006).
Au Nunavik, la faible demande énergétique ainsi que la distance séparant les communautés des centrales hydroélectriques ne permettent pas de dégager une rentabilité intéressante pour un projet de raccordement au réseau intégré (Boisseau-Bouvier, 2019). Les réseaux autonomes demeurent donc l’alternative privilégiée pour cette région dont la superficie est plus vaste que la Norvège (Institut de la statistique du Québec, 2015b; PopulationData, 2020). S’affranchir partiellement du diesel, coûteux et polluant, serait toutefois possible grâce à l’intégration d’énergies renouvelables.
Un microréseau intelligent combine une ou plusieurs sources d’énergie renouvelable disponibles près du consommateur à une source de production continue. Un système informatique central gère en temps réel la quantité d’énergie fournie par chaque source pour optimiser l’apport des énergies renouvelables (Éner Guide, 2020). Un microréseau peut être isolé ou enore implanté en complémentarité au réseau public, comme celui développé à Lac-Mégantic, par exemple (Hydro-Québec, 2020a). Les Norvégiens développent leur expertise des microréseaux principalement pour augmenter le nombre de bâtiments carboneutres, promouvoir l’électrification ou encore exporter les surplus (The Norwegian Smartgrid Centre, 2015). Comme SG2B le soulignait lors de la visite, les microréseaux demeurent marginaux dans un contexte d’abondance énergétique.
Innergex participe au développement des énergies renouvelables en région isolées au Québec. Par exemple, la centrale au fil de l’eau à Inukjuak permettra de substituer à la production d’électricité au diesel une part d’hydroélectricité, diminuant ainsi les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 700 000 tonnes sur 40 ans. Cette centrale permettra également de réduire de 20 % les coûts d’exploitation d’Hydro-Québec. L’inauguration est prévue en 2022 (Innergex, 2019).
L’intégration d’énergies renouvelables au sein de microréseaux intelligents est une option privilégiée par Hydro-Québec pour diminuer la quantité de diesel utilisé dans le Nord-du-Québec. Quelques projets sont d’ailleurs en cours au Nunavik. Par exemple, le village de Quaqtaq possède des panneaux solaires jumelés à des batteries pour complémenter la centrale thermique au diesel (Transition énergétique Québec, 2018). Le potentiel environnemental est notable : le facteur d’émission du diesel étant similaire à celui du mazout, les filières renouvelables sont de 10 à 100 fois moins polluantes que celles utilisant des combustibles fossiles [graphique 5.5] (Transition énergétique Québec, 2019).
Toutes les filières énergétiques sont envisagées pour mener à bien la transition énergétique. La visite de l’entreprise Ocean Renewable Power Company a permis d’en apprendre davantage sur la conception des hydroliennes, technologie hydroélectrique au fil de l’eau, ainsi que sur son implantation conçue pour les régions isolées. Le gouvernement fédéral a récemment octroyé 11 M$ à Hydro-Québec pour accélérer l’implantation de sources d’énergie propre en région isolée d’ici 2030 (Hydro-Québec, 2019).
En Scandinavie, la présence des installations électriques sur le territoire des Samis soulève des défis pour cette communauté. Le marché de l’énergie entre la Norvège, la Suède et la Finlande au nord du cercle polaire arctique stimule le déploiement du réseau sur ce territoire (Statnett, Fingrid, Energinet et Svenska Krafnat, 2019). L’engouement des entreprises minières à s’installer au nord de la Norvège contribue à accélérer l’échéancier, toutefois, ces projets empiètent sur le territoire d’élevage des rennes, une activité exclusive aux Samis (Visit Northern Norway, 2020). Les impacts à long terme sur les activités économiques et le territoire des Samis demeurent incertains (Fouche et Solsvik, 2019).
Les Premières Nations vivent des réalités bien distinctes au Québec et en Norvège, et ce, malgré la taille similaire des deux réseaux [tableau 5.1].
La disponibilité de l’énergie est limitée dans le Nord québécois, statu quo que le gouvernement provincial souhaite modifier d’ici 2035. Le gaz naturel, la biomasse et l’énergie éolienne sont envisagés pour promouvoir le développement industriel et touristique de la région (Gouvernement du Québec, 2015). Depuis le début de la crise de la COVID-19, une mobilisation prend forme en faveur d’une relance économique permettant d’atteindre les cibles environnementales du Québec (Denis, 2020). En parallèle, le gouvernemwent fédéral se penche sur un plan de relance durable permettant de lutter contre les changements climatiques (Bellavance, 2020). La relance économique par le développement de microréseaux et l’intégration d’énergie renouvelable représente une occasion unique de mettre en œuvre la transition énergétique des régions isolées.
L’Acte sur l’énergie norvégienne stipule que le transport et la distribution d’électricité sont régulés par l’État, tandis que la production et le marché énergétique sont ouverts à la concurrence. Ainsi, dès 1991, la Norvège devient le premier pays d’Europe à offrir un accès universel à son marché de l’énergie. En 1996, la Suisse, le Danemark et la Suède l’ont rejoint pour former la première institution d’échange d’énergie internationale. Aujourd’hui, plus de 24 pays, dont la Norvège, sont reliés par le marché européen de l’énergie associé à 90 % de la consommation d’énergie d’Europe (Norwegian Ministry of Petroleum and Energy, 2019).
Le marché européen de l’énergie fonctionne sur un système de soumissions. Ainsi, les participants, soit les producteurs d’électricité, soumettent une quantité d’énergie qu’ils sont prêts à produire à un certain prix. Une fois la période de soumission terminée, ce sont les offres aux coûts marginaux les plus bas qui sont retenues en assurant l’équilibre énergétique (Norwegian Ministry of Petroleum and Energy, 2019). La différence majeure avec le Québec est que la production et l’échange d’énergie sont soumis à la concurrence, ce qui entraîne une variation journalière des prix de l’électricité (Nord Pool, 2020a).
Les échanges d’électricité en Norvège dépendent du niveau d’eau de ses centrales hydroélectriques. En 2018, le printemps froid et l’été chaud ont entraîné une hausse de la consommation d’énergie associée au chauffage et à la climatisation. Cette période énergivore a drainé les réservoirs hydroélectriques, obligeant la Norvège à importer de l’électricité. La moyenne annuelle du prix courant est passée de 4,49 ¢/kWh en 2017 à 6,71 ¢/kWh en 2018. Cette hausse de prix est principalement causée par une plus forte sollicitation des centrales thermiques des pays voisins durant une période de coût élevé des énergies fossiles (NVE, 2019). Le graphique 5.6 montre que l’effet inverse s’est produit en début d’année 2020, lorsque les fortes précipitations de neige ont eu pour effet de remplir les réservoirs et de faire chuter le coût de l’électricité à un prix record depuis 2017 (Paulsson, 2020). D’ailleurs, la crise de la COVID-19 a récemment entraîné une baisse de la demande d’électricité, provoquant le même effet sur le prix courant (AleaSoft, 2020).
L’échange d’énergie par l’entremise d’interconnexions permet de renforcer la fiabilité et la résilience du réseau, d’approvisionner le marché en énergie sûre et efficiente en plus de diminuer le gaspillage des ressources renouvelables et les émissions de GES. En effet, un réseau électrique fiable doit garder une certaine réserve tournante, c’est-à-dire des centrales qui pourront prendre le relais dans le cas de défaillances et de hausses soudaines de la demande énergétique. Les interconnexions permettent donc de diminuer ce nombre de centrales, ce qui est bénéfique si le fonctionnement de ces dernières utilise les énergies fossiles. Comme le démontre le marché de l’énergie européen, les interconnexions permettent aussi de tirer avantage des différences de coûts de production d’électricité en fonction des conditions saisonnières (Glover, Oberye et Sarma, 2015).
De 2008 à 2018, Hydro-Québec a exporté annuellement 30 TWh en moyenne, soit environ 15 % de ses ventes totales annuelles. Pour cette même période, les revenus provenant de ces exportations représentaient 28 % des bénéfices nets de la société d’État, soit près du double en proportion (Godin, 2019).
Une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT) stipule qu’une interconnexion avec le Québec permettrait d’équilibrer les énergies renouvelables intermittentes de la Nouvelle-Angleterre, comme l’énergie solaire et éolienne, en utilisant les réservoirs québécois comme batterie lors de faibles périodes de vent et d’ensoleillement. En plus de réduire la dépendance de la Nouvelle-Angleterre aux énergies fossiles, l’interconnexion avec le Québec offrirait des réductions de coûts de 17 % à 28 % (Dimanchev, Joshua et John, 2020). Considérant que le prix de l’électricité est quatre fois plus élevé dans les régions de New York et Boston qu’au Québec, cette interconnexion serait bénéfique pour les résidents de la Nouvelle-Angleterre (Hydro-Québec, 2019).
Cependant, la construction de lignes électriques soulève des défis sociaux, politiques et environnementaux. Par exemple, le projet New England Clean Energy Connect reliant le Québec et le Massachusetts suscite de vives oppositions de la part des résidents de l’État du Maine, où ces derniers avancent que le corridor énergétique aura un impact négatif sur la nature et les paysages, notamment dans le Sentier International des Appalaches (Desjardins, 2020).
Le développement de l’énergie éolienne est en forte croissance dans plusieurs marchés mondiaux, autant sur la terre ferme qu’au large. DNV GL est une firme d’assurance qualité de certification et d’évaluation des risques qui possède une expertise de pointe dans le domaine. Celle-ci prévoit que l’énergie éolienne produira 30 % de la demande en électricité en 2050, puisque la technologie a atteint le stade de la maturité commerciale (DNV GL, 2019).
La complémentarité de l’énergie hydraulique et éolienne entre la Norvège et le Danemark est éprouvée. En effet, lorsque les parcs éoliens du Danemark produisent à plein régime, le prix courant de l’électricité sur le marché nordique diminue. Cela permet à la Norvège d’importer cette énergie pour combler une grande partie de sa demande et de conserver le niveau d’eau dans les réservoirs. À l’inverse, la Norvège peut exporter son énergie hydraulique lorsque la vitesse du vent est faible et le prix courant de l’électricité est élevé (Norwegian Ministry of Petroleum and Energy, 2019).
Concernant l’Islande, il a été mentionné, durant la visioconférence avec la compagnie islandaise Mannvit, qu’un projet d’interconnexion avec l’Angleterre est à l’étude. Au même titre que la connexion Norvège-Danemark, cette ligne électrique de 1 000 km permettrait, entre autres, de combler la dépendance au vent des parcs éoliens de l’Angleterre en exportant l’énergie à 99,9 % renouvelable de l’Islande lors de faibles périodes de production d’énergie éolienne (The Economist, 2014).
Les ressources naturelles représentent un potentiel économique important à l’échelle d’un pays, soit pour s’affranchir d’importations ou tirer profit des revenus d’exportations (Investopedia, 2020). Comme toute ressource naturelle non renouvelable, la quantité de pétrole sur Terre demeure limitée. Le rythme d’exploitation actuel épuise les ressources facilement accessibles et la vitesse à laquelle cette ressource se régénère en fait une énergie non renouvelable. Au Canada, la production d’hydrocarbures a commencé au XIXe siècle pour atteindre rapidement une cadence actuellement plus élevée que celle de la Norvège [graphique 5.7] (ACPP, 2019a). Alors que la Norvège possède encore des ressources pétrolières et gazières conventionnelles, le Canada est forcé de se tourner de plus en plus vers des gisements non conventionnels, comme les sables bitumineux (Ressources naturelles Canada, 2017).
En Norvège, l’extraction se fait essentiellement en mer, sur des plateformes pétrolières situées dans les eaux territoriales. Au Canada, il existe quelques exploitations de ce type dans l’océan Atlantique sur les côtes de Terre-Neuve-et-Labrador, la plus connue d’entre elles est Hibernia (Gouvernement du Canada, 2020a). Un forage permet d’atteindre le gisement situé à quelques kilomètres sous terre. Le pétrole peut ensuite être directement pompé et acheminé à la raffinerie (ACPP, 2019b). Les sables bitumineux représentent 67 % de l’exploitation canadienne. Ce type de pétrole est composé d’argile, de sable, d’eau et de bitume. Des unités de traitement supplémentaires sont alors nécessaires afin d’en extraire le bitume et d’en diminuer la viscosité avant même le raffinement. Comme le démontre le graphique 5.8, ces opérations supplémentaires se traduisent directement par un coût accru du baril de pétrole brut, mais aussi par une intensité supérieure d’émissions de GES (Davidsen, 2015).
En 2015, le pétrole le plus polluant au Canada générait 736 kg de CO2 équivalent par baril de pétrole brut, alors qu’en Norvège, il générait plutôt 527 kg de CO2 équivalent par baril de pétrole brut (Carnegie, 2015). La capacité d’un gaz à absorber la chaleur durant une période donnée représente son potentiel de réchauffement global. Par exemple, sur une période de 100 ans, le méthane (CH4) représente un potentiel 25 fois supérieur au dioxyde de carbone (CO2), 1 kg de CH4 émis devient alors 25 kg CO2 équivalent (Brander, 2012). Un simple vol d’avion de Toronto à Oslo émet 1 000 kg de CO2 équivalent (Kommenda, 2019).
Malgré les étapes supplémentaires de traitement, le pétrole brut canadien demeure majoritairement de qualité inférieure à celui de la Norvège. La grande viscosité et la haute concentration en soufre du pétrole canadien augmentent les traitements nécessaires en raffinerie, ce qui se traduit par une marge de profit réduite due, entre autres, à la valeur inférieure du prix du baril dont l’historique depuis février 2010 est présenté au graphique 5.9 (Treasury Board and Finance of Alberta, 2019).
Le gaz naturel renouvelable (GNR) peut être produit à partir des résidus organiques ou des eaux usées. La biométhanisation génère du méthane, l’élément principal du gaz naturel. Énergir, anciennement Gaz Métro, prévoit que 5 % de son réseau de gaz naturel sera composé de GNR d’ici 2025 et que ce chiffre doublera à 10 % en 2030 (Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, 2019).
Le Canada et la Norvège, respectivement aux 4e et 15e rangs de la production mondiale de pétrole, ont tous deux une production largement supérieure à leur consommation (Statista, 2020). Le tableau 5.2 souligne que pour la Norvège, cela mène à une autosuffisance quasi complète de sa consommation d’hydrocarbures. Au Canada, les raffineries ne sont pas conçues pour être alimentées seulement en pétrole lourd et fortement concentré en soufre. Le pays est donc contraint d’importer du pétrole brut de meilleure qualité et d’exporter la majorité de sa production (Office national de l’énergie, 2018). L’Islande, quant à elle, ne fait qu’importer des produits raffinés. Elle a abandonné ses seuls projets d’exploration et ne possède aucune installation de raffinage (The National Energy Authority of Iceland, 2018).
Le premier semestre de l’année 2020 a été le théâtre d’une double crise dans l’industrie pétrolière, à commencer par l’échec d’une entente entre l’Arabie saoudite et la Russie sur une nouvelle diminution de leur production. Ce désaccord les amène à augmenter leur production au début du mois d’avril, ce qui entraîne une première chute des prix du baril (The Economist, 2020). Par la suite, les mesures de confinement en réaction à la pandémie de la COVID-19 font à nouveau plonger les prix. Un rapport de l’IEA (2020a) annonce une diminution de la demande de 20 % pour le deuxième quart de 2020 (Hodari, 2020). Le baril canadien (WCS) atteint, en date du 21 avril, la valeur la plus basse de son histoire, soit 5,06 $/baril (Bloomberg, 2020).
Pour réduire les mises à pied et maintenir une activité économique dans le secteur pétrolier durant la pandémie, Ottawa a mis en place un fond pour le nettoyage des puits de pétrole et de gaz inactifs ou orphelins. Cette initiative s’appuie sur un fonds de 1,74 G$ visant les 5 650 puits orphelins et près de 139 000 puits inactifs répartis en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique (Ministère des Finances Canada, 2020).
La production norvégienne devrait malgré tout couvrir ses coûts d’exploitation et d’investissement en dépit du faible prix du baril de pétrole Brent qui, à son plus bas, a atteint 28,45 $/baril (Business Insider, 2020). Le baril Brent réfère à la production d’un ensemble de puits pétroliers de la mer du Nord, aussi appelé « The Brent Complex ». Il regroupe plusieurs puits norvégiens, dont Oseberg, Ekofisk et Troll (S&P Global, 2020). Les répercussions de la chute des prix se traduisent essentiellement par des revenus affaiblis pour l’État, des projets d’exploration et d’amélioration repoussés, ainsi que des opérations à personnel réduit (Westwood Global Energy Group, 2020). La situation est beaucoup plus alarmante au Canada, alors que le prix du baril WCS ne permet même pas de couvrir le coût du transport. L’industrie se retrouve dans l’incapacité de survivre sans l’intervention financière de l’État à court terme. Plusieurs chefs de la direction de pétrolières canadiennes ont d’ailleurs adressé une lettre ouverte à Ottawa dénonçant l’urgence d’une aide financière (Financial Post, 2020).
La performance des opérations pétrolières norvégiennes ne repose pas uniquement sur un coup de chance. Elle est le résultat d’une structure dont les bases se sont construites avant même la découverte de la première goutte d’or noir. Le modèle norvégien serait difficile à reproduire dans l’industrie canadienne. La diminution des gisements conventionnels augmente les incertitudes sur la rentabilité qui sont accentuées par les tensions géopolitiques, la crise climatique et la double crise du début de l’année 2020. L’État se retrouve dans une situation délicate où il cherche à satisfaire une croissance ou une relance économique parfois incohérente avec ses autres objectifs (Stockholm Environment Institute, 2017). La situation crée une occasion sans précédent d’accélérer pour de bon la transition énergétique. Comme l’a annoncé l’Agence internationale de l’énergie, les énergies renouvelables doivent se retrouver au cœur du plan de relance économique post-pandémie (IEA, 2020).
La baisse du prix des énergies renouvelables augmente l’autoproduction d’électricité, diminuant potentiellement les revenus des distributeurs. Ces réseaux de distribution étant bien établis au Québec et de l’autre côté de l’Atlantique, il est désormais l’heure de les optimiser grâce à l’émergence de microréseaux intelligents. Ces derniers facilitent l’intégration de sources d’énergie renouvelable, assurent une gestion optimale de l’électricité consommée et diminuent ainsi la dépendance aux combustibles fossiles des régions isolées. Par contre, la plupart des énergies renouvelables sont intermittentes. Les interconnexions entre les régions permettent donc de compenser les fluctuations météorologiques, en plus de contribuer positivement à l’économie. D’ailleurs, considérant que les carburants fossiles demeurent l’une des principales sources d’émission mondiale de gaz à effet de serre, le contexte économique et environnemental rend inévitable une révolution des habitudes de consommation d’énergie ainsi que l’implantation à grande échelle des technologies énergétiques renouvelables.