Une province saupoudrée de forêts vierges et de lacs ; un pays de montagnes et de fjords sculpté par les glaciers; une île qui s’est bâtie au rythme des geysers et des soubresauts volcaniques. Trois territoires qui semblent différents à première vue. Pourtant, les conditions de nordicité et de faible densité de population du Québec, de l’Islande et de la Norvège ont mené au développement de technologies et de stratégies de gestion similaires en matière d’infrastructures. Les infrastructures nordiques réfèrent à toute structure, service public et écosystème développé pour l’habitation, l’institution, l’entreprise ou le transport dans les grands centres urbains et les communautés isolées. Aujourd’hui, les efforts d’investissement et la culture d’excellence de ces pays culminent dans des constructions et des systèmes sur lesquels il est possible de s’appuyer en période de crise. Avec les engagements de durabilité pris par ces sociétés vis-à-vis de l’urgence climatique, comment se dessine l’avenir des normes et des projets du secteur de la construction?
Les variations de température ont un impact important sur les infrastructures, particulièrement sur les infrastructures de transport, piliers du développement économique et social d’un pays.
Comme l’illustre la figure 7.1, la variation de température est particulièrement élevée à Montréal. Cela explique en partie pourquoi les routes du sud du Québec requièrent un entretien quasi annuel. Les cycles de gel-dégel, fréquents au printemps et en automne, contribuent en effet à fatiguer les infrastructures routières. C’est d’ailleurs pendant ces périodes de l’année que les nids-de-poule et les fissures se multiplient sur les routes. Les épisodes de chaleur intense, en été, occasionnent également des déformations permanentes sur les revêtements routiers (Drolet et al., 2013). Les infrastructures routières sont sensibles aux conditions météorologiques et sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques anticipés (Drolet et al., 2013). Dans un contexte nordique, l’entretien des réseaux routiers doit occuper une place prépondérante dans les stratégies d’intervention et les budgets gouvernementaux.
source: Transport Québec, 2020; The Local Norway, 2018; Ski Info, 2020
En 2006, l’effondrement du viaduc de la Concorde fait cinq victimes et pousse le gouvernement québécois à mettre en place un programme d’investissement de plusieurs milliards de dollars pour l’entretien des infrastructures désuètes au Québec (Taillefer, 2020). Lorsque la récession de 2008 frappe, la province se voit sauvée par ces investissements ambitieux qui assurent des emplois et par le fait que l’État prend le relai du secteur privé (Desrosiers, 2018). À la suite de cette crise, d’autres initiatives majeures, dont la création de la Banque de l’infrastructure du Canada, en 2018, ont été prises à la suite de cette crise afin d’assurer le développement économique à travers l’industrie de la construction. (Gouvernement du Canada, 2018).
La Banque de l’infrastructure du Canada, qui dispose d’un fonds de 35 G$, a pour mission de collaborer avec les investisseurs fédéraux, provinciaux et municipaux, afin de permettre la réalisation de projets d’infrastructures audacieux et innovateurs partout à travers le Canada (Banque de l’infrastructure du Canada, 2020). Son but est d’investir dans des secteurs prioritaires, comme les infrastructures vertes ou l’accessibilité aux régions éloignées, projets qui sont plus risqués pour les investisseurs privés.
Aujourd’hui, alors qu’une récession ébranle à nouveau le monde, plusieurs envisagent la possibilité d’exploiter le secteur de la construction comme mécanisme de relance économique durable. En effet, 15 organismes québécois, dont la Fondation David Suzuki et l’Ordre des urbanistes du Québec, ont mis en place un plan d’investissement qui touche entre autres l’entretien des infrastructures et le déploiement d’installations vertes, comme des parcs d’autobus électriques (Cardinal, 2020).
Les Québécois ne sont pas les seuls à voir l’industrie de la construction comme un outil important pour la croissance économique. Dans son plan budgétaire en réponse à la crise de la COVID-19, l’Islande prévoit un investissement additionnel de plus de 218 M$ pour la construction et l’entretien de ses bâtiments (Gouvernement de l’Islande, 2020). La Norvège, quant à elle, prévoit un ajout au budget 2020 de près de 1,36 G$ pour le renforcement de ses infrastructures (Ministère des Finances de la Norvège, 2020).
Le secteur de la construction permet non seulement d’atteindre des objectifs d’emplois, mais également des cibles environnementales. Alors que le monde planifie sa relance économique à la suite de la pandémie, le développement durable doit être mis de l’avant. Malheureusement, deux ans après la crise de 2008, les émissions de gaz à effet de serre (GES) se voyaient croître de 5 % dans le monde (Cardinal, 2020). Des plans budgétaires ambitieux, réfléchis et verts doivent émerger afin de rebâtir une économie stable et durable (Beaudouin, 2020). Les sociétés similaires telles que l’Islande, la Norvège et le Québec gagneraient à partager leurs connaissances et à prendre exemple les unes sur les autres pour mener à bien ce travail colossal qui les attend.
Pour bien saisir les importants défis auxquels font face les constructions écoresponsables dans les pays à l’étude, il convient de se pencher sur les différentes normes qui y régissent la construction des bâtiments de demain ainsi que sur les approches technologiques et sociales qui permettent le développement de ces projets d’envergure.
De nos jours, le développement durable est mis de l’avant et parfois même exigé par les autorités qui régissent la construction ; des guides pour bâtiments durables doivent donc être accessibles. Les certifications Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) et Building Research Establishment Environmental Assessment Method (BREEAM) figurent parmi les standards les plus utilisés au monde. Bien que la certification LEED soit la plus reconnue avec ses quelques 80 000 bâtiments éparpillés à travers le globe (Tufts, 2016), BREEAM se démarque à travers les 570 000 édifices qui satisfont ses critères rigoureux (BREEAM, 2020).
La nouvelle jetée internationale de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, certifiée LEED Argent, permet une économie d’eau annuelle équivalente à 50 piscines olympiques. Bien que l’eau soit une ressource abondante au Québec, le traitement de cette dernière entraîne l’émission de gaz à effet de serre ainsi que l’utilisation de bon nombre de produits chimiques (ADM, s. d.).
Toutes deux basées sur des principes de points cumulés selon différents critères, ces certifications couvrent un large éventail d’aspects, tels que la provenance des matériaux utilisés, l’accès au bâtiment en transport en commun et l’efficacité énergétique qui demeure d’ailleurs l’aspect le plus influent.
Alors que ces approches semblent complètes et faciles d’accès pour quiconque désire ériger un bâtiment durable, certains reprochent à ces modèles de type liste à cocher, d’ailleurs très axés sur la performance énergétique, d’agir comme œillères limitant la vue d’ensemble d’un projet vert (Reed et al., 2010). Pour pallier la diversité des besoins, de nouvelles certifications gagnent en popularité au Québec ; la Norme du bâtiment à carbone zéro considère principalement les émissions de carbone alors que la Living Building Challenge vise les bâtiments à impact positif sur l’environnement (International Living Future Institute, 2019).
Bien que les certifications mentionnées précédemment soient répandues tant au Canada qu’en Islande et en Norvège, les Norvégiens utilisent, depuis 2014, un tout nouveau standard : la Powerhouse. Contrairement aux autres normes, ce modèle n’est pas établi par une organisation tierce, mais plutôt par un regroupement d’entreprises vouées au développement durable. La firme d’architecture Snøhetta, les entrepreneurs de SKANSKA, la compagnie immobilière Entra, la firme de consultation Asplan Viak et l’organisation environnementale Zero collaborent effectivement à l’édification de bâtiments à l’efficacité énergétique sans précédent. L’objectif de ces constructions est simple: générer plus d’énergie que ce que la production des matériaux, la construction, les opérations et la déconstruction auront exigé.On compte aujourd’hui quatre Powerhouses à travers la Norvège qui produisent toutes des surplus d’énergie renouvelable alimentant des installations avoisinantes (Powerhouse, 2020). Ce processus écologique a toutefois des impacts à la hausse sur les tarifs d’électricité.
En matière d’environnement bâti, plusieurs techniques d’aménagement intégré sont utilisées pour assurer le développement urbain durable. Concevoir des voies partagées pour assurer une accessibilité multimodale ou planter des arbres en abondance pour contrôler la température figure parmi les pratiques les plus répandues, tant ici qu’ailleurs. Alors que plusieurs autres procédés comme la valorisation des eaux de pluie ou encore l’intégration de systèmes de ventilation intelligents sont communs aux pays étudiés, d’autres sont propres à chacun.
Les nouveaux bâtiments de la Norvège se distinguent notamment par la conception stratégique de la volumétrie et par leur forme. Des toitures inclinées faisant directement face au sud sont tapissées de cellules photovoltaïques qui bénéficient d’une longue exposition au soleil. Cette technique utilisée sur la majorité des bâtiments Powerhouse permet une génération substantielle d’énergie renouvelable. La Powerhouse Brattørkaia, à Trondheim, prend également la forme d’un anneau afin d’augmenter la surface de fenêtres couvrant les parois de l’édifice. Cette silhouette admettant la pénétration de plus de lumière naturelle permet d’économiser l’énergie vouée à l’éclairage (Powerhouse, 2018).
Comme le Québec est principalement alimenté par de l’électricité de source renouvelable, les efforts technologiques qui y sont déployés se concentrent souvent sur d’autres secteurs que celui des énergies alternatives. La performance thermique des bâtiments reste le plus grand défi, dans une province qui enregistre au cours d’une année d’aussi importantes variations de température. Le préchauffage de l’air neuf à l’entrée du bâtiment par l’air vicié et le partage de chaleur résiduelle entre les bâtiments sont des techniques répandues (Garon, 2019).
Globalement, en 2017, les bâtiments et leur construction représentaient 39 % des émissions de CO2 liées à l’énergie (World Green Building Council, 2017). Alors que le Québec poursuit d’ambitieux objectifs, comme réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 37,5 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030, les incitatifs financiers pour les constructions durables ne représentent que 0,7 % du budget du plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (Gouvernement du Québec, 2020). Les subventions pour constructions vertes allouées par le gouvernement et les distributeurs d’énergie sont de plus en plus communes, mais généralement insuffisantes. Les entrepreneurs sont alors contraints de recourir à des investisseurs privés. Il incombe aux architectes et aux ingénieurs de se responsabiliser pour proposer à leurs clients des solutions innovantes et rentables afin qu’ils choisissent un design durable.
La Norvège, qui vise des émissions nulles d’ici 2050, mise particulièrement sur le développement rapide de solutions vertes (World Green Building Council, 2017). En 2016, la première ministre a instauré un comité pour la compétitivité verte afin d’orienter le secteur de la construction et de l’immobilier. Parmi les principes développés par ce comité se retrouvent le financement public et la contribution de l’État pour le développement de nouvelles technologies écoresponsables (Ministry of Climate and Environment, 2017). Ce type d’initiative fournit non seulement une aide financière à l’industrie, mais également un cadre de travail et d’information pour les entreprises et les investisseurs. La participation active du gouvernement constitue donc un tremplin pour le développement de projets durables et nourrit la volonté de verdir les villes.
Mener par l’exemple est au cœur de l’approche du gouvernement norvégien. Les investissements compétitifs et l’implication acharnée des dirigeants se reflètent dans les constructions avant-gardistes. L’éducation des professionnels est également un des plus grands facteurs de contribution aux solutions durables. Au Québec, le manque de main-d’œuvre qualifiée et la règle du plus bas soumissionnaire pour les constructions publiques sont souvent un frein à l’implantation de nouvelles technologies (Groupe de travail sur la main-d’œuvre, 2018). Les standards et les certifications sont des outils pertinents, mais le changement de mentalité passe par le partage de connaissances et de savoir-faire. C’est un travail acharné dont la responsabilité repose non seulement sur les gouvernements, mais également sur tous les acteurs impliqués dans la construction de nouvelles infrastructures.
Élue Capitale verte de l’Europe en 2019, Oslo s’est engagée à couper ses émissions de GES de 50 % d’ici 2022 et de 95 % d’ici 2030 (Bjørnethun, 2020). L’amélioration des infrastructures cyclables et du transport public, l’introduction de zones sans voiture et la promotion des véhicules électriques sont des aspects centraux du design urbain d’Oslo (Commission européenne, 2020).
Depuis 2008, le quartier Bjørvika à Oslo s’est vu entièrement transformé. Anciennement un secteur industriel portuaire et ferroviaire, la construction de l’Opéra d’Oslo a permis de redonner aux citoyens l’accès au fjord. L’équipe a eu la chance de rencontrer l’entreprise OSU qui s’occupe du développement du projet Barcode déployé le long de la côte. Ce projet est rapidement devenu un chef de file en matière de valorisation des anciens quartiers industriels à Oslo. Plus d’une dizaine de bâtiments ont été construits afin de fusionner la vie communautaire et le développement des entreprises pour ainsi créer un espace multifonctionnel (MVRDV, 2020).
La vocation d’un écoquartier est de réduire l’utilisation des ressources naturelles, énergétiques et financières. Le développement d’un écoquartier permet de relier les quatre échelles suivantes : l’agglomération, le quartier, la rue et le bâtiment [figure 7.2]. Il établit l’interconnexion entre une communauté située dans un espace géographiquement délimité qui partage la voie publique avec l’ensemble des usagers de la route et qui cohabite ou travaille dans les infrastructures immobilières présentes (Vivre en ville, 2020).
source: Savard, 2014
À Montréal, le Technopôle Angus est le premier écoquartier du Québec. Situé à l’origine sur une ancienne friche industrielle de l’est de Montréal détenue par le Canadien Pacifique, ce site est maintenant administré par un OBNL, la Société de développement Angus. Depuis 1995, la vision à long terme et la compréhension des besoins réels de la communauté ont permis le développement d’un écosystème qui rassemble à la fois les résidents et les commerces. L’ensemble résidentiel du quartier permet un accès à des habitations abordables au cœur de Montréal. Certifié LEED ND Platine, ce village urbain permet de réunir commerces, résidents et espaces publics en incorporant les meilleures technologies en matière de design écologique (Technopôle Angus, 2020).
Le développement urbain consomme et rejette une importante quantité d’énergie qui peut être recyclée dans le but de chauffer et de climatiser les commerces et les immeubles. Ainsi, les réseaux de chaleur permettent le partage de la chaleur et du froid entre les bâtiments résidentiels et commerciaux d’un même quartier [figure 7.3] (Fortier, 2015).
source: Fortier, 2015; Énergère, 2019
Inspiré de projets pionniers en Suède et au Japon, l’aéroport d’Oslo s’est doté en 2016 d’un système de refroidissement ultramoderne qui utilise la neige pour climatiser ses espaces. En effet, l’agrandissement du terminal, en 2013, a généré de nouveaux besoins de chauffage et de climatisation. Ainsi, la neige et la glace ramassées sur les pistes pendant l’hiver sont stockées et un refroidisseur utilise en été l’eau de fonte pour climatiser une partie de l’aéroport (Moe, 2018).
La vision d’Oslo est simple : réutiliser l’ensemble des sources de chaleur afin de diminuer les besoins énergétiques de la ville. Le réseau de chaleur en cours de développement à Oslo valorise donc l’ensemble des rejets énergétiques industriels. La plus grande source de chaleur provient de l’incinération des déchets domestiques non recyclables (Kildesortering i Oslo, 2019). La diversification des sources d’énergie permet d’augmenter la résilience du système de chauffage et de climatisation et, ainsi, de le rendre plus efficace en période de forte demande (Euroheat & Power, 2019).
L’Islande est aussi un modèle en termes d’utilisation de l’énergie renouvelable pour chauffer le milieu urbain. C’est en 1930 que le développement de la géothermie s’est amorcé dans ce pays insulaire. Aujourd’hui, ce sont 95 % des bâtiments de la capitale qui sont chauffés grâce à cette technologie. Les sources thermales sont tellement abondantes que la ville de Reykjavik a opté pour une circulation d’eau chaude dans des tuyaux placés sous les routes et les trottoirs de Reykjavik, notamment pour empêcher l’accumulation de glace et de neige en hiver (Green City Times, 2014).
Le développement urbain vert se caractérise particulièrement par une cohabitation accrue entre les usagers de la route et le transport public. La figure 7.7 compare les approches de conception des rues conventionnelles et conviviales. Sur ces dernières, les voies publiques peuvent être repensées afin de donner la rue aux citoyens, de promouvoir le transport en commun et de favoriser les déplacements actifs (Murphy & Dassylva, 2018).
source: Murphy & Dassylva, 2018
Oslo est chef de file en matière de partage de la rue. L’engagement avant-gardiste de la ville face à l’instauration de mesures progressives afin de limiter l’utilisation de la voiture au centre-ville a contribué à réduire le trafic. La vision de la mairie est de redonner la voie publique aux citoyens en réadaptant la configuration des ouvrages routiers. Plusieurs routes du centre-ville ont été aménagées afin de décourager l’usage des voitures (Shemkus, 2019).
En 2018, le gouvernement québécois a publié la Politique de mobilité durable afin permettre l’intégration d’une approche de conception des rues conviviales dans les projets de construction routière (Gouvernement du Québec, 2018). Depuis, les projets de rues conviviales se multiplient à Montréal
La conception des écoquartiers relève de plusieurs sphères multidisciplinaires étroitement liées. Une vision à long terme est nécessaire afin de comprendre les besoins réels des citoyens et les impacts environnementaux des infrastructures mises en place.
Entre Reykjavik, Oslo et Montréal, la comparaison des cibles de gestion des déchets doit être faite avec prudence. En effet, les distinctions dans la catégorisation des flux de matières et des taux de recyclage, ainsi que les choix technologiques régionaux (comme l’incinération au profit de l’enfouissement en Europe versus l’inverse au Québec) ne permettent pas de désigner aisément le grand leader de la gestion des déchets (Parlement Européen, 2018 ; Recyc-Québec, 2020).
Contrairement au Québec qui établit ses propres objectifs de valorisation des déchets (Gouvernement du Canada, 2017), l’Islande et la Norvège peuvent compter sur leurs alliés du Conseil nordique des ministres. Celui-ci permet le partage de connaissances et entretient le projet de faire de la région nordique la plus durable et intégrée du monde d’ici 2030 (Nordic co-operation, 2019). Comme l’illustre le graphique 7.2, tous suivent les objectifs de l’Union européenne (Parlement Européen, 2018 ; Eurostat, 2020), puisque c’est là une des conditions pour avoir accès à l’Espace économique européen (Gouvernement du Royaume-Uni, 2020; Umhverfis Stofnun, 2013).
Historiquement, l’Islande a privilégié l’incinération à ciel ouvert pour l’élimination des déchets, et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, l’abondance et le faible coût de l’électricité géothermale n’encouragent pas la valorisation énergétique de l’incinération ; d’autre part, la faible densité de population et les municipalités éloignées rendent difficile l’implantation d’usines de recyclage économiquement viables. Aujourd’hui, l’enfouissement est devenu la pratique dominante, mais cette tendance doit être revue à la baisse afin de satisfaire les exigences de l’EEE. L’exportation d’une grande partie des matériaux triés vers la Suède et les Pays-Bas explique le faible taux de recyclage du pays (Papineschi et al., 2019). Dans la grande région de Reykjavik, là où près de 60 % de la population habite, de nombreux objectifs ont été mis en place [figure 7.5].
source: City of Reykjavik, 2020a; City of Reykjavik, 2014
Le tri se fait à la source par les citoyens qui assument les coûts de la collecte qui se tient aux 14 jours. Comme alternative moins dispendieuse, le citoyen peut également déposer ses ordures triées à des points de chute, pour un bénéfice environnemental en termes de GES. (City of Reykjavik, 2020b)
Depuis l’explosion du tourisme, en 2008, les efforts des Islandais en matière de tri des déchets ont été ternis par le manque de conscientisation des voyageurs face au tri et à la contamination des bacs de déchets. (Endurvinnslan hf., 2020)
C’est en 2006 qu’Oslo a amorcé l’élaboration d’une stratégie ayant comme objectif le changement d’habitudes des citoyens face au tri des matières résiduelles domestiques. En 2012, cette stratégie s’est modernisée lorsque la ville a entamé une démarche de valorisation des déchets organiques. En 2016, la capitale norvégienne a adopté un plan stratégique pour le climat et l’énergie. La ville souhaite réduire de 50 % ses émissions de GES d’ici 2022 et de 95 % d’ici 2030. Ces objectifs de réduction ont pour référence l’an 2009 (Bjørnethun, 2020; City of Oslo, 2016).
Comme appris à travers la visite virtuelle avec Renovasjonsetaten, le département municipal qui s’occupe de la collecte, du tri et de la valorisation des matières résiduelles, à Oslo, c’est chez le citoyen que le tri des déchets commence. La [figure 7.12] illustre le système de couleur mis en place par la ville afin de guider les citoyens à travers le processus de tri des ordures.
source: Bjørnethun, 2020
L’ensemble des sacs sont collectés par le même camion afin de réduire le trafic urbain et de diminuer les GES (City of Oslo, 2020). La [figure 7.12] illustre la valorisation des matières résiduelles en fonction des types de déchets. Les matières organiques sont transformées en biofertilisant utilisé dans l’agriculture et en biogaz pour l’alimentation des véhicules lourds municipaux et des autobus (Bjørnethun, 2020). Les déchets non recyclables sont incinérés et convertis en chauffage urbain respectueux de l’environnement pour les ménages d’Oslo (City of Oslo, 2020; Kildesortering i Oslo, 2019).
C’est en 2017 que la ville de Montréal a adhéré à l’organisation C40 Cities à travers la déclaration Advancing Towards Zero Waste (Radio-Canada, 2017). La métropole québécoise vise un objectif qui tend vers le zéro déchet d’ici 2030. Les objectifs en matière de traitement des matières recyclables consistent à atteindre un taux de récupération de 85 % d’ici 2030, avec comme année de référence 2015 qui comptait un taux de récupération de 40 % (Ville de Montréal, 2019).
Fondée en 2015, la CRVMR est un centre d’expertise de Polytechnique qui a pour objectif de déceler et de développer les techniques et les stratégies les plus prometteuses pour valoriser les déchets. L’ensemble des outils développés par la Chaire visent à épauler différentes municipalités québécoises dans leur développement durable (CRVMR, 2017 ; Polytechnique Montréal, 2020).
La collecte des matières résiduelles exige un déploiement logistique complexe. En effet, cinq collectes sont effectuées à la porte des résidents : l’ensemble des matières recyclables mélangées, les déchets alimentaires, les résidus verts (feuillage et feuilles mortes), les déchets de construction et les ordures non recyclables. Ces différentes matières résiduelles sont ramassées par différents camions qui, ensemble, franchissent chaque année 7,5 M de kilomètres (Ville de Montréal, 2019). La ville prévoit, dans l’agglomération de Montréal, de nouvelles infrastructures qui permettront de réduire les distances parcourues par les camions.
Le centre de tri des matières recyclables de Montréal (CTMR) a ouvert ses portes en 2019 et permet, depuis, le traitement et la valorisation de 58 % des matières recyclables (Ville de Montréal , 2019). Afin d’atteindre ses objectifs et d’assurer la valorisation des rejets énergétiques, la ville s’est engagée à construire un nouveau centre de compostage en 2021, ainsi qu’un centre de biométhanisation qui entrera en fonction en 2022 (Ville de Montréal, 2019).
La valorisation des matières résiduelles constitue un défi de taille pour les agglomérations urbaines. Cependant, les technologies actuelles permettent de réutiliser l’ensemble des déchets domestiques produits par les citoyens. Les objectifs d’Oslo, de Reykjavik et de Montréal sont ambitieux, mais réalisables dans la prochaine décennie dans la mesure où ces villes continueront d’investir dans des projets d’envergure innovants.
Le Nunavik abrite les quatorze communautés inuites du Québec dispersées sur les côtes de la Baie d’Hudson jusqu’à la Baie d’Ungava, à la limite du Labrador. Depuis leur sédentarisation, dans les années 1950, les différents gouvernements canadien et québécois ont signé des ententes prévoyant l’investissement dans les infrastructures de ces communautés, notamment en développant des logements sociaux et des aéroports. Ceci c’est déployé autour de grands projets d’exploitation du territoire, comme ceux de la Baie James (1971) et du Plan Nord (2011), (SHQ, 2014 ; Société de développement de la Baie-James, 2009).
source: Secrétariat aux affaires autochtones, 2016
Or, de nombreuses problématiques sanitaires et sociales affligent encore aujourd’hui les villages inuits du Québec, notamment en termes de surpeuplement des habitations et de détérioration des bâtiments (SHQ, 2014). Un frein important au développement et au maintien des infrastructures de ces régions réside dans les contraintes technologiques et logistiques avec lesquelles doivent composer les projets de construction. L’absence de route reliant les communautés aux centres urbains du sud de la province vient complexifier la chaîne d’approvisionnement des matériaux et des équipements lourds [figure 7.7]. La grande distance à parcourir et l’obligation d’opérer par voie aérienne, ou encore navigable entre juin et octobre entraînent des coûts de construction extrêmement élevés (SHQ, 2014). Sur place, le pergélisol empêche l’excavation et donc la mise en place de réseaux d’égouts et d’aqueducs dans presque toutes les localités (SHQ, 2014).
Le pergélisol est un sol dont la température demeure inférieure ou égale à 0 °C. Selon les conditions climatiques dans lesquelles il se forme, le pergélisol peut adopter sur sa superficie un motif continu, discontinu, ou sporadique, ou encore former des îlots isolés (Association internationale du pergélisol, 2015)
L’Islande compte peu de zones de pergélisol, contrairement à la Norvège qui en est parsemée, notamment aux abords de la chaîne de montagnes qui la traverse du sud au nord. Ces zones demeurent peu habitées, ce qui n’est pas le cas de l’archipel du Svalbard, situé à 900 km au nord de la côte continentale (Brown et al., 1997 ; Gisnås et al., 2015). Là-bas, la fonte du pergélisol due aux changements climatiques oblige à monter les constructions sur pieux, et la hausse de la température a même causé, en 2016, l’infiltration d’eau dans la réserve mondiale de semences, la Svalbard Global Seed Vault (Netto & Simon, 2017 ; Skanska Group, 2019). Alors que des avalanches détruisent parfois des logements et forcent leur relocalisation, des maisons préconstruites sont envoyées par voie maritime depuis le continent afin de faciliter leur construction (Skanska Group, 2019; The Editors of Encyclopaedia Britannica, 2020).
Les localités côtières du sud comme du nord rencontrent des défis en matière d’infrastructures. Les enjeux sont cependant de nature différente. Au nord, il en tient, au sens propre, de la survie des habitants. Au sud, c’est de la survie économique qu’il est question, et les infrastructures névralgiques sont les routes ; qu’elles soient terrestres, maritimes, ou aériennes. Afin de développer un environnement économique fructueux, il incombe de favoriser la mobilité des travailleurs, des touristes et des biens.
En Islande, la majorité des villes se sont développées en périphérie de l’île. Des routes terrestres ont été construites le long des côtes pour les relier et, à quelques endroits, des traverses connectent des embranchements plus éloignés. Un système de ponts et de tunnels montagneux qui sillonne le territoire en passant par l’intérieur des terres améliore la connexion entre les différentes régions du pays [figure 7.8] (Jóhannesson & Sigurbjarnarson, 2012).
source: Icelandic Road Assocation, s.d.
Au Québec, les régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine sont séparées de la Côte-Nord par le fleuve Saint-Laurent. L’alternance des saisons et les conditions navigables mettent à l’épreuve la flotte de traversiers administrés par la Société des traversiers du Québec (STQ) [figure 7.9] (STQ, 2020). Le maintien du service de certaines traverses, comme celle de Matane — Côte-Nord est essentielle au quotidien des résidents. Des problèmes techniques ayant forcé l’interruption de la traverse durant de nombreux mois à partir de 2018 ont placé les usagers face à peu d’alternatives. En effet, lorsqu’en hiver aucune autre traverse n’était disponible, les gens pouvaient soit utiliser le transport aérien, soit atteindre l’autre rive en conduisant jusqu’à Lévis, puis jusqu’à la ville en vis-à-vis… un périple de près de 800 km (De Lancer & Tremblay, 2020 ; Habel-Thurton, 2020).
source: STQ, 2020
En Norvège, le littoral ouest est morcelé en une multitude de villes côtières et insulaires. L’autoroute E39 en relie une partie, en complémentarité avec des traversiers qui assurent les intermittences causées par les fjords. Afin de réduire de 21 heures à 11 heures le temps de trajet d’un bout à l’autre de l’autoroute, la Norvège a décidé de remplacer les traverses par des accès permanents [figure 7.10]. Cette solution permettra de franchir les fjords à l’aide de ponts et de tunnels sous-marins qui en préserveront le charme et qui permettront le passage des bateaux de croisière (Statens vegvesen, 2019a, 2019b).
source: Statens vegvesen, 2019b
L’isolement naturel des communautés isolées du Québec, de l’Islande et de la Norvège peut à la fois les protéger dans un contexte pandémique et les placer en situation de vulnérabilité. Un isolement des régions peut, au besoin, être déployé plus facilement qu’en zone métropolitaine ; cependant, une précarité préexistante des conditions de vie ou de l’accès à des services essentiels peut se voir amplifiée. Au Nunavik, par exemple, la déclaration d’une épidémie serait incendiaire là où le surpeuplement des logements empêche toute forme de distanciation sociale (Société Makivik, 2020).
La crise sanitaire de la COVID-19 a pris d’assaut tous les secteurs de la société et a mis à l’épreuve la résilience des structures en place. Des secteurs plus vulnérables, comme le réseau hospitalier et les quartiers et villages défavorisés, ont été plongés dans l’incertitude. Il convient maintenant de s’interroger sur la création, l’entretien et la gestion de ces infrastructures essentielles qui se trouvent bien souvent en seconde priorité durant les périodes de prospérité.
Les infrastructures du Québec, de la Norvège et de l’Islande se sont développées dans un contexte climatique unique. L’alternance des saisons et l’accumulation de neige et de glace ont mené à des investissements massifs afin de soutenir l’entretien et le développement d’infrastructures sécuritaires.
À cet ambitieux cahier de charges se sont ajoutées des valeurs de durabilité et de responsabilité sociale, qui ont donné lieu à la construction de super-bâtiments normés BREEAM, LEED, carbone zéro ou Powerhouse. Cette mentalité d’optimisation des ressources et de l’énergie propulse aujourd’hui les plus grands projets de développement urbain responsable. Revisiter des quartiers existants pour en valoriser l’espace, les ressources et les déchets est au cœur du défi.
Loin des centres urbains, la réalité des villages les plus au nord du monde doit encore aujourd’hui redéfinir le développement d’infrastructures en conditions nordiques dans un contexte de changements climatiques. Quant aux communautés isolées peuplant les côtes plus au sud, les défis d’interconnexion continuent de donner lieu à d’importants projets d’ingénierie civile.