Étudier une situation historique au moment où elle se déroule représente un défi de taille. Il devient encore plus pertinent d’analyser la mission des fonds d’investissement publics québécois et norvégiens avec, en toile de fond, l’effondrement actuel du prix du baril de pétrole. Le Québec, l’Islande et la Norvège présentent des similitudes considérables à l’égard de leur richesse et du bonheur de leur population, un phénomène qui s’explique en partie par la place qu’occupe l’État dans leur société respective. Il est intéressant d’analyser les efforts déployés par l’État pour que sa communauté vive mieux et s’enrichisse, mais ce l’est encore plus en période de crise. En 2020, la pandémie de la COVID-19 vient redéfinir les politiques économiques à travers le monde. Les plans d’intervention économique des régions se ressemblent, mais leurs résultats diffèrent et bien que des leçons de gestion de crise aient été retenues de la Grande Récession, la nature sanitaire de la présente apporte son lot de difficultés.
L’édition 2020 du World Happiness Report suggère que dans les dix dernières années, environ 50 % des pays ont vu bonheur et croissance économique évoluer en corrélation positive (Sustainable Development Solutions Network, 2020). Cependant, pour bon nombre d’autres pays, comme les États-Unis et l’Inde, la situation est contraire. La croissance économique est plutôt associée à une diminution du bonheur au sein de la population (The Economist, 2019).
En termes de produit intérieur brut (PIB) par habitant, en 2019, la Norvège se place au 4e rang parmi les 36 membres de l’OCDE, l’Islande au 9e et le Canada, au 15e (OCDE, 2019a). D’ailleurs, une corrélation émerge lorsque la satisfaction des citoyens à l’égard de la vie, qui pourrait être perçue comme une mesure du bonheur, est comparée au PIB par habitant. D’après Richard A. Easterlin et ses collaborateurs, il n’y a aucune relation significative entre le bonheur et une augmentation du revenu (Easterlin et al., 2010). La comparaison entre divers pays permet néanmoins d’établir une corrélation entre la satisfaction à l’égard de la vie et le revenu moyen par habitant (Proto & Rustichini, 2013).
Le graphique 3.1 compare les trois pays à l’étude selon leur PIB et l’indice de satisfaction à l’égard de la vie de leur population. Il indique que, bien que le Canada ait un PIB par habitant inférieur à celui de l’Islande et de la Norvège, les résultats sont semblables en termes de satisfaction à l’égard de la vie. Par ailleurs, l’étude de Daniel Kahneman et Angus Deaton, respectivement lauréats du prix Nobel d’économie en 2002 et 2015, démontre une corrélation entre le bien-être émotionnel et le revenu jusqu’à un plateau d’environ 75 000 $. Après ce point, les ménages qui gagnent plus ne démontrent pas de niveaux de bien-être plus élevés que les autres. En contrepartie, les individus à bas revenu sont plus à risque de vivre des problèmes de santé, de solitude ou de couple (Kahneman & Deaton, 2010). La différence de revenu entre les trois pays à l’étude n’engendre donc pas de différence majeure quant à la perception du bonheur de leur population.
Une certaine richesse semble être nécessaire pour atteindre le bonheur, mais elle ne le garantit pas (Kahneman & Deaton, 2010). L’indice « Vivre mieux » de l’OCDE vise à mesurer le bien-être global; pour ce faire, il s’appuie sur onze facteurs différents, incluant l’éducation, la santé, l’engagement social et les programmes sociaux. Le Canada, la Norvège et l’Islande sont caractérisés par un indicateur de revenu élevé. Selon cet indicateur, l’indice « Vivre mieux » de l’OCDE classe l’Islande au 5e rang; le Canada au 7e et la Norvège au 11e (OCDE, 2019b). De nombreux facteurs, comme le mariage et le divorce, influencent la perception du bonheur et bien qu’un certain niveau de richesse semble tout de même nécessaire pour atteindre le bonheur, il est erroné de réduire la question à une seule richesse pécuniaire (Ortiz-Ospina & Roser, 2017).
Officiellement qualifiée de pandémie par l’Organisation mondiale de la Santé le 11 mars 2020, la COVID-19 a des impacts majeurs sur l’économie mondiale. McKinsey & Company a identifié plusieurs scénarios probables quant à l’impact de la COVID-19 sur le monde des affaires; le plus probable selon des centaines de cadres à travers le monde suppose une réponse efficace du système de santé, mais une résurgence du virus ainsi qu’une efficacité modérée des politiques de soutien économique résultant en une relance lente et modérée. En fait, selon ce scénario, le PIB mondial diminuerait de 6,5 % et celui de la zone euro de 11,1 % en 2020 [graphique 3.2] (McKinsey & Company, 2020). À titre de référence, le PIB mondial avait connu, en 2009, une chute d’environ 1,68 % à la suite de la crise de 2008 (Groupe Banque mondiale, 2019a). L’économie planétaire est dans sa pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale et, selon le scénario décrit précédemment, le PIB mondial ne reviendrait à son niveau précrise qu’au troisième trimestre de 2022 (Groupe Banque mondiale, 2020; McKinsey & Company, 2020).
Avec l’ouverture, ces dernières années, de nouvelles routes aériennes et l’arrivée de transporteurs aériens à très bas prix, l’Islande est rapidement devenue une destination touristique prisée, à un point tel qu’en 2019, près de 40 % de ses revenus d’exportation, soit ceux liés à la consommation de biens et services par des non-résidents localement et à l’étranger, provenaient de l’industrie du tourisme (Iceland Chamber of Commerce, 2019). À titre de référence, en 2018, les revenus d’exportations de l’Islande s’élevaient à 47 % de son PIB, un pourcentage bien plus élevé que celui du Canada qui s’établit à 32 % (Groupe Banque mondiale, 2019b). En d’autres termes, la fermeture de nombreuses frontières internationales dès le début de la crise a donc un impact majeur sur les exportations islandaises liées au tourisme.
Afin de se protéger des potentielles répercussions du coronavirus sur son économie, la Banque centrale d’Islande a réduit son taux directeur de 2,75 % à 1,75 % (Fonds monétaire international, 2020). Le gouvernement islandais prévoit également d’autres mesures pallier la crise, dont le gel des taxes pour les entreprises et un soutien financier destiné à l’industrie touristique qui compose une grande partie des revenus d’exportations du pays (Government of Iceland, 2020).
Le taux cible du financement à un jour d’une Banque centrale, communément appelé son taux directeur, correspond au « taux d’intérêt auquel les institutions financières se prêtent des fonds pour une durée d’un jour » (Banque du Canada, 2020). Il arrive régulièrement que ce taux soit abaissé pour stimuler l’économie.
À la lumière des données pour le Québec, la Norvège et l’Islande, il semble bien que cette dernière ait rapidement dépassé le pic de contamination [graphique 3.3]. Ainsi, l’Islande pourrait figurer parmi les premiers pays à relancer son économie. Cela dit, sans touriste étranger, il sera difficile de relancer son industrie touristique.
Le 20 avril 2020, la Norvège commence à assouplir progressivement les restrictions imposées en termes de distanciation sociale; la première ministre de la Norvège, Erna Solberg, considère en effet avoir le contrôle sur la situation. Les garderies, les établissements d’enseignement et les commerces commencent peu à peu à ouvrir de nouveau leurs portes (Fouche & Klesty, 2020).
La Norvège a rapidement mis en place différentes mesures de soutien. Dès le mois de mars, elle a réduit son taux directeur de 1,5 % à 0,25 %. Elle a également autorisé ses banques à ne pas respecter les ratios de liquidité à court terme, c’est-à-dire la proportion de liquidités qu’elles doivent conserver afin de répondre à leurs propres obligations, et elle a assoupli sa réglementation hypothécaire (Fonds monétaire international, 2020; Murphy, 2020).
Par ailleurs, bien qu’une partie importante de ses revenus d’exportation proviennent de l’industrie pétrolière, la Norvège affirme que son économie et l’industrie locale sont moins sensibles à la variation du prix du baril de pétrole qu’elles l’étaient il y a quelques années (Ministry of Finance, 2020). En fait, elle explique que depuis la chute de prix, en 2014, les pétrolières norvégiennes ont réduit leurs coûts et ont amélioré leur efficacité afin d’augmenter leur marge de profit, réduisant leur dépendance au marché (Ministry of Finance, 2020).
Le 16 avril 2020, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, affirmait en entrevue à RDI économie, qu’en s’appuyant sur les hypothèses du moment quant à la relance de l’économie et l’évolution de la pandémie, il était possible d’estimer que le PIB du Québec chuterait de 5 % en 2020 (Fillion, 2020). En fait, il s’appuie à ce moment son hypothèse sur une « fermeture de l’économie » d’une durée de huit semaines.
Cela dit, alors que le Québec amorce dès le mois de mai une relance graduelle de l’économie, le Grand Montréal, épicentre canadien de la pandémie, demeure à l’arrêt pour quelques semaines additionnelles. Dans ces conditions, l’économie québécoise pourrait être impactée plus sévèrement que prévu.
À l’échelle nationale, à la propagation de la pandémie s’ajoute la dégringolade du prix du baril de pétrole canadien, ce qui entraîne des conséquences économiques importantes. En effet, l’augmentation de l’offre pétrolière due à la compétition tarifaire entre la Russie et l’Arabie saoudite, combinée à la diminution de la demande en temps de pandémie, fait en sorte que l’Alberta est momentanément incapable de vendre son pétrole (Radio-Canada, 2020).
Le Canada a adopté différentes mesures pour soutenir l’économie et ses citoyens. D’une part, comme l’a fait la Norvège à la fin du mois de mars, la Banque du Canada a abaissé son taux directeur à 0,25 %, une valeur jamais vue depuis 2010 (Banque du Canada, 2020). D’autre part, le gouvernement a mis en place un plan d’intervention économique pour soutenir directement les particuliers, les entreprises et les secteurs essentiels [tableau 3.1].
Bien qu’il représente un appui appréciable pour les entreprises, celles-ci devront pousser plus loin pour assurer leur pérennité; plusieurs devront réviser leur modèle d’affaires et revisiter leur façon de travailler.
Une des mesures clés adoptées un peu partout à travers le monde pour aplanir la courbe de nouveaux cas quotidiens de COVID-19 est la distanciation sociale. En réponse, plusieurs entreprises ont opté pour le télétravail qui permet de respecter cette consigne et d’outrepasser les frontières. Poly-Monde a ainsi eu la chance de rencontrer virtuellement des représentants de Renovasjonsetaten, Oslo S Utvikling et Mannvit, trois entreprises de la Norvège et de l’Islande. Au Québec, Montréal International, DNV-GL et la Régie de l’énergie se sont rapidement ajustés pour nous rencontrer sur différentes plateformes de discussion en ligne.
En date du 2 juin, le Québec et le Canada semblent lentement mais sûrement reprendre le contrôle de la situation, alors que la Norvège et l’Islande ont déjà largement dépassé le pic de nouveaux cas par jour [graphique 3.3]. L’origine de cette crise étant sanitaire, plutôt que financière comme en 2008, il faut se pencher sur la gestion du système de santé des pays à l’étude pour comprendre comment résoudre la problématique actuelle. Enfin, comme tentative d’amortissement des impacts économiques de la crise, le Canada, la Norvège et l’Islande ont mis en place de nombreuses mesures de stimulation économique semblables. Toutefois, leur efficacité pourra être évaluée seulement au cours des prochains mois, voire des prochaines années.
Malgré plusieurs débats sur les causes sous-jacentes, il est largement reconnu que la Grande Récession a été déclenchée par l’éclatement, fin 2006, de la bulle immobilière qui était en rapide ascension depuis le début des années 2000, notamment aux États-Unis. Devant la perte de revenus que connaissent de nombreux travailleurs et un marché immobilier dont la demande chute, les banques se voient obligées de saisir de nombreuses propriétés, ce qui provoque une perte de valeur (The Economist, 2013).
Les défauts de paiement s’accumulent alors partout dans le secteur financier qui a investi des milliards dans le marché de l’immobilier, ce qui entraîne l’effondrement de plusieurs banques d’investissement reconnues, comme Bear Stearns et Lehman Brothers (Amadeo, 2020a).
Bear Stearns et Lehman Brothers ne sont pas les seules banques à avoir investi dans le marché immobilier américain; les trois principales banques islandaises, Kaupthing, Landsbanki et Glitnir, y ont également fait d’importants investissements. C’est ainsi que l’Islande devient un des symboles importants de la Grande Récession. L’effondrement de ces banques majeures possédant des actifs valant dix fois le PIB du pays ébranle l’économie islandaise (Milette, 2010). L’écroulement du marché américain n’est cependant pas la seule cause de ce malheur. De nombreuses études pointent le manque de régulation et de résilience des systèmes bancaires islandais comme le principal problème (Giglia, 2011; Wade & Sigurgeirsdottir, 2011).
L’indice Dow Jones Industrial, le plus vieil indice des bourses de New York qui regroupe une liste de 30 actions (Brialy, 2020), enregistre en 2008 la plus forte baisse de son point de fermeture depuis sa création, en 1885, avec une chute de 6,98 % à 777,68 points (Temple-Raston, 2008). En comparaison, en mars 2020, la crise de la COVID-19 entraîne une perte de 12,93 % à 2 997 points (Amadeo, 2020b).
Le système en place avant la crise de 2008 est retraçable au programme de privatisation lancé en 1992. Par cette dérégulation, l’Islande souhaite augmenter l’efficacité des entreprises et favoriser l’entrepreneuriat (Sigurjonsson, 2011). Toutefois, en accordant davantage de liberté, cette méthode engendre forcément des défis de contrôle (Wade & Sigurgeirsdottir, 2011).
Les banques islandaises commencent à croître et le pays s’enrichit, attirant de nombreux investisseurs. Au début des années 2000, sa stabilité politique permet aux investisseurs d’emprunter de l’argent dans les pays occidentaux pour ensuite investir en Islande (Romei & Murphy, 2017). En fait, ces investissements font exploser le marché boursier islandais de 900 % entre 2003 et 2004. En conséquence, la valeur de la couronne islandaise augmente aussi d’environ 230 % entre 2005 et 2008 (Trading Economics, 2020). Le taux d’intérêt qui a grimpé à 17,75 % en décembre 2008 dans les banques en Islande attire des dépôts des pays plus riches, comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni (The Central Bank of Iceland, 2008; Amadeo, 2019). À la lumière de l’indice Big Mac publié par The Economist qui compare le prix du fameux burger à travers le globe, la couronne apparaît, en 2007, comme la monnaie la plus surévaluée au monde. (The Economist, 2007). Pour s’enrichir, les principales banques du pays saisissent l’occasion d’investir à l’international en achetant des propriétés, des entreprises et même des équipes de soccer; des investissements totalisant 100 G$, une énorme somme comparée au PIB islandais qui s’élevait, en 2008, à 14 G$ (Amadeo, 2019).
Lorsque la crise économique de 2008 atteint les trois banques islandaises citées précédemment, celles-ci tombent en faillite en une semaine, car le gouvernement n’a pas suffisamment d’argent pour les soutenir. L’effondrement de ces banques fait aussi chuter l’économie du pays (Amadeo, 2019). Pour gérer cette situation de crise, le gouvernement islandais adopte comme une solution temporaire le contrôle des capitaux. Ainsi, il applique des mesures de régulation limitant les flux de capital étranger dans l’économie locale (Barone, 2020). Cela ne fait cependant qu’empirer la situation à court terme, car la confiance des investisseurs internationaux est affaiblie. Soudainement, les importations deviennent très coûteuses, poussant à la hausse l’inflation du pays (Romei & Murphy, 2017).
Comme tous les pays dans le monde, le Canada et la Norvège ressentent l’effet de la crise. L’économie du Canada tombe en récession en octobre 2008. La baisse du prix du pétrole et d’autres produits exportés du Canada amplifie les effets de la crise financière. Cependant, les impacts économiques au Canada ne sont pas aussi importants que ceux que connaît son voisin du sud et bien moindres qu’en Islande où il y a un réel effondrement. L’avantage des banques canadiennes réside dans les leçons apprises par le passé (Gordon, 2017).
Plus précisément, après l’effondrement en 1985 de la Northland Bank et de la Canadian Commercial Bank, le rapport de la Commission Estey – enquête sur l’effondrement de ces banques – met le blâme sur la direction, les administrateurs et les vérificateurs qui manquent de rigueur dans leurs fonctions (Granger, 2013). En conséquence, la réglementation empêche les six grandes banques canadiennes d’adopter le comportement très risqué observé ailleurs au cours des années précédant la crise financière de 2008. Ces dernières sont obligées de maintenir des ratios d’endettement inférieurs à ceux des banques à l’étranger. Par conséquent, l’effondrement du marché financier en 2008 n’affecte pas autant le système bancaire canadien que celui des autres pays (Gordon, 2017).
En Norvège, malgré l’ouverture et la petite taille de l’économie, l’impact de la crise économique de 2008 n’est pas aussi important. Alors que ses voisins, les Pays-Bas, la Finlande et la Suède subissent une baisse respective de 5,5 %, 6,4 % et 9,4 % de leur production au deuxième trimestre de 2009, la baisse en Norvège se limite à seulement 2,2 %. Le premier ministre, Jens Stoltenberg, explique que cela est dû à la santé de leur secteur bancaire. Comme le Canada, la Norvège a aussi vécu une crise financière dans les années 1990 à la suite de laquelle plusieurs nouvelles réglementations ont été instaurées (Guo, 2010).
Contrairement à la crise de 2008, les banques font potentiellement partie de la solution à la crise engendrée par la COVID-19 (The Economist, 2020). La hausse du taux de chômage ainsi que l’incertitude du marché boursier indiquent une récession plus significative que la Grande Récession. Au début du mois d’avril, la distanciation sociale pousse le taux de chômage jusqu’à 13 % au Canada, 15,4 % en Norvège et 13 % en Islande (Subramantam, 2020; Reuters, 2020; Ministry of Social Affairs, 2020). À titre d’exemple, en 2009, le taux de chômage en Islande a atteint 7,0 % [graphique 3.4]. Au Canada, plus de trois ans de gains d’emplois ont été anéantis uniquement au mois de mars (La Presse canadienne, 2020).
Une leçon importante durement apprise par les gouvernements en 2008 est l’importance de faire beaucoup, le plus rapidement possible. Attendre de voir l’évolution de la situation en temps de crise est une erreur (Wessel, 2020). La reprise économique est incertaine, car elle dépend énormément du moment où la propagation du virus sera ralentie et où les entreprises pourront à nouveau ouvrir leurs portes. En conséquence, les gouvernements prennent déjà plusieurs mesures concrètes pour atténuer l’impact de cette crise. Les trois pays à l’étude ont réduit le taux directeur déjà incontestablement bas. En fait, comme le démontre le graphique 3.5, la marge de manœuvre des banques centrales avant la crise actuelle était beaucoup plus mince que celle de 2008. Les gouvernements doivent donc se tourner vers d’autres alternatives. Les mesures de relance économique mises de l’avant dans les trois pays et représentant des milliards de dollars canadiens peuvent aussi aider à réduire la durée de cette récession (Hopkins, 2013). Cependant, il est difficile, pour le moment, de déterminer si les actions entreprises par les gouvernements suffiront pour assurer la reprise de l’économie.
Le fonds pétrolier investit l’ensemble de ses actifs à l’international dans des devises étrangères, ce qui en fait un fonds souverain au sens strict. Ce fonds n’a ni d’obligation de rendement, ni de plan précis pour une éventuelle utilisation. Son objectif est d’offrir aux générations futures les dividendes de la richesse pétrolière norvégienne actuelle. L’exploration, le développement et l’exploitation du pétrole doivent se traduire par une maximisation de la valeur pour la société et les profits doivent être versés à l’État afin que l’ensemble de la société puisse en profiter. Ce fonds contribue grandement au symbole de la vitalité économique de la Norvège et à son statut d’État-providence (Ministry of Finance, 2018a).
Seuls les intérêts générés par le fonds peuvent être utilisés dans le budget de fonctionnement du gouvernement. Il est toutefois permis, en périodes difficiles, de tirer plus de revenus du fonds (Norges Bank, 2020a), ce que l’État a fait à quelques reprises depuis 2016, lors de chutes importantes du prix du baril de pétrole (Holter & Sleire, 2019). Afin de maximiser les retombées du fonds sur la société, l’État s’assure de récupérer une large part des revenus pétroliers par les taxes et par une implication directe dans les intérêts financiers (State’s Direct Financial Interest, abrégé SDFI). Avec l’équivalent de 20 G$ estimés en 2020, les taxes sur les exploitations représentent la plus grande part des flux de trésorerie provenant de l’industrie pétrolière. Les SDFI représentent quant à eux l’équivalent de 13 G$, pour un total annuel de 37 G$. Il existe une corrélation directe entre ces revenus et le cours du baril de pétrole norvégien qui se transige, en 2019, à plus de 80 $.
Une chute du prix du baril pourrait forcer la Norvège à revoir ses estimations pour l’année 2020. Dans la foulée de la pandémie de la COVID-19, le cours du baril s’effondre, en février 2020, perdant la moitié de sa valeur en moins d’un mois. Le pétrole canadien atteint pour sa part un creux historique le 21 avril en clôturant sous la barre des 5,06 $ (Bell Media, 2020).
Au Canada, l’équivalent le plus proche du fonds pétrolier norvégien serait le Fonds d’épargne du patrimoine de l’Alberta (Alberta Heritage Savings Trust Fund, abrégé HSTF). Fondé en 1976 avec l’objectif de « sauver le futur [et] d’améliorer la qualité de vie des Albertains », les revenus tirés de l’exploitation des ressources non renouvelables y sont investis dans divers actifs à long terme (Gouvernement de l’Alberta, 2014). Bien plus maigre que le Fonds norvégien, son capital s’élève à moins de 16 G$, soit un montant équivalent à 4 200 $ par Albertain, les revenus d’exploitation n’y sont plus ajoutés depuis 1987 (Gomes, 2008).
Avec ses 309 G$ d’actifs nets en 2018, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) gère le « bas de laine » des Québécois. À travers la CDPQ, ils détiennent le 13e plus gros fonds de pension au monde. Les Québécois figurent au 10e rang mondial des citoyens possédant le plus d’actifs par habitant à travers les fonds d’investissement publics (Vallières, 2014). Quoique les fonds de la CDPQ et du GPFG soient différents dans leur structure, ils possèdent de nombreuses similitudes. Leur mission est de réaliser des investissements dans le but de générer des rendements à long terme pour leurs épargnants et pour la société dans son ensemble.
En 1983, le gouvernement albertain du progressiste conservateur Peter Lougheed lance la construction du célèbre club de golf « Kananaskis Country Golf ». Son financement qui représenterait aujourd’hui 25,5 M$ a été entièrement tiré du HSTF (McClure, 2015). Au Québec, en 2016, le ministre des Ressources naturelles, le libéral Pierre Arcand, évoque la possibilité que la cimenterie McInnis, le plus important émetteur de gaz à effet de serre du Québec, accède au financement du Fonds vert (La Presse canadienne, 2016), un financement qui ne se concrétisera pas (Arsenault, 2016).
La CDPQ cherche, comme son équivalent norvégien, à accroître ses investissements sur les marchés mondiaux. La part d’investissements internationaux dans le portefeuille de la CDPQ atteint 64 % en 2018. Parmi les fonds en gestion à la CDPQ, le Fonds des générations, entièrement consacré au remboursement de la dette du Québec, détient des actifs de 11,3 G$ (Caisse de dépôt et placement du Québec, 2019a).
Bien qu’impensable il y a une décennie, l’Islande songe aujourd’hui à imiter les Norvégiens et à établir son propre fonds souverain. Le capital du Fonds national islandais (National Fund of Iceland) représenterait une somme équivalente à 5,5 G$ (Sigurdardottir, 2019). La mise sur pied de ce fonds découle entre autres des cicatrices laissées par la crise financière de 2008, dont les Islandais se souviennent trop bien. En plus de la récession, les catastrophes naturelles qui ont touché le pays par le passé, comme l’éruption de l’Eldfell dans les îles Vestmann, en 1973, ou les pandémies comme la grippe espagnole sont également des facteurs de motivation en faveur de la création de ce fonds. Ce dernier serait alimenté par les revenus publics tirés des redevances des entreprises de production énergétique, principalement la National Power Company of Iceland (Government of Iceland, 2018).
Propriétaire et président de la Landsbanki, l’une des plus grandes banques d’Islande, Björgólfur Gudmundsson soutient l’initiative gouvernementale. Il recommande également que les revenus du fonds soient tirés des ressources naturelles et humaines du pays. Ce nouvel outil, selon lui, permettra à l’Islande de conserver son indépendance économique et sa propre monnaie face au commerce international et à la pression provenant de l’euro (Financial Times, 2008). La question de savoir qui sera responsable de la gestion du fonds est toujours débattue. Le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale partagent des points de vue divergents sur la question : le premier propose qu’un fonds étranger pourrait en assurer la gestion puisque les investissements se feront tous à l’international; le second rétorque que la gestion du fonds national par la Banque centrale, qui gère déjà un fonds de réserve monétaire de 700 milliards de couronnes, serait en parfaite synergie avec ses tâches actuelles (Sigurdardottir, 2019).
Le Government Pension Fund Global se veut un fonds à long terme sans responsabilité particulière, sans besoin de liquidités à court terme et donc prêt à assumer un certain risque au niveau de ses investissements. Ses objectifs restent avant tout financiers. Un seul élément de la stratégie d’investissement du fonds fait référence à « une gestion responsable » sans pour autant préciser cette définition (Ministry of Finance, 2018b). Dans une perspective de profitabilité à long terme, le fonds reconnaît l’intérêt de considérer l’environnement et les enjeux sociaux quand vient le temps de réaliser des investissements.
Depuis 2014, le fonds est encadré par un conseil d’éthique qui se charge de fournir des recommandations sur les investissements et les entreprises à exclure. Le fonds lui-même peut également décider d’exclure des entreprises qui nuisent à d’autres organisations ou à la société en général puisque ces entreprises ne représentent pas des investissements durables (Norges Bank, 2020a). La production d’armes, le tabac, le charbon ou toute entreprise qui viole les droits de la personne figurent au nombre des secteurs dans lesquels le fonds ne peut pas investir (Ministry of Finance, 2019b). Malgré ces contraintes, le GPFG possède pour 54 milliards de dollars d’investissements dans l’industrie pétrolière répartis parmi 311 entreprises, ce qui représente environ 4 % de son portefeuille. Parmi ce nombre, 34 sont canadiennes (Norges Bank, 2019). En octobre 2019, le ministère des Finances norvégien confirme que le fonds retire de façon progressive ses investissements dans 95 des entreprises de production pétrolière; les entreprises de raffinage et de distribution sont exclues de cette mesure (Ministry of Finance, 2019c).
Pour la jeune génération norvégienne, ces mesures sont tout simplement insuffisantes. Financées par des subventions gouvernementales, de nombreuses startups d’Oslo se plaignent de la lenteur de leur gouvernement à effectuer le virage post-pétrole. Le ministre du Climat et de l’Environnement, Sveinung Rotevatn, admet le paradoxe évident entre les investissements massifs en technologies et en énergies renouvelables tout en étant un géant pétrolier. Dans un pays où il est maintenant interdit de chauffer au gaz et où la majorité des nouvelles ventes de véhicules sont électriques, le pétrole reste toujours la clé des revenus de l’État et de la santé du fonds souverain. Si ce n’était des revenus pétroliers, nombreuses sont les initiatives vertes qui n’auraient su trouver leur financement (The Economist, 2020).
Au cours des prochaines années, les cicatrices laissées par la pandémie de la COVID-19 mettront encore une fois la résilience de l’économie mondiale à l’épreuve. Bien que la crise actuelle rappelle par son intensité et son synchronisme la crise de 2008, ses impacts différeront en raison de son origine virale plutôt que financière. Malgré leur richesse et leurs dépenses sociales élevées, le Canada, la Norvège et l’Islande n’y échapperont pas, mais en verront peut-être les conséquences atténuées. Avec une industrie touristique et pétrolière dans la tourmente, les prochains mois seront déterminants; ils permettront d’évaluer si les politiques économiques mises de l’avant placent effectivement ces pays dans une situation économique favorable pour relancer l’économie. Certaines de ces mesures au Canada incluent la réduction du taux directeur à 0,25 % et l’implantation de la Prestation canadienne d’urgence qui soutient les travailleurs qui ont perdu leur emploi en raison de la distanciation sociale imposée par la COVID-19. Le Government Pension Fund Global de la Norvège et son équivalent québécois, la Caisse de dépôt et placement du Québec, peuvent également prêter main-forte à leur communauté pour minimiser l’impact de la crise. Enfin, bien que les effets macroéconomiques de la crise soient facilement identifiables, ils sont actuellement difficilement quantifiables.