Véritable garde-manger pour certains, vecteur marchand pour d’autres, le secteur maritime couvre un vaste éventail d’activités économiques. Les navires empruntent les routes maritimes d’hier et transportent la marchandise nécessaire à la société d’aujourd’hui. Ils sont guidés par des marins professionnels disposant d’outils performants. Ces navires connectent des ports de plus en plus optimisés et deviennent eux-mêmes moins énergivores. L’impact du secteur maritime sur les écosystèmes, mieux connu aujourd’hui, est surveillé et réduit par différents programmes. D’autre part, l’industrie de la pêche, dont dépendent plusieurs communautés des trois pays à l’étude, est grandement réglementée. Par différents chemins, le secteur maritime connecte le Québec, l’Islande et la Norvège.
Juin 1783 à février 1784 : l’Islande est frappée par une longue éruption du volcan Laki. Connue sous le nom de Skaftáreldar, cette catastrophe élimine près de 80 % du bétail et entraîne une période de famine qui tue le quart de la population islandaise (Chapman, 2018). Cet épisode témoigne de la fragilité de ce pays induite par son isolement. Toutefois, l’eau qui entoure l’Islande et la Norvège est aujourd’hui vue comme le lien névralgique qui lie ces pays au reste du monde; un moyen de vaincre l’isolement.
Il est vital pour l’Islande et la Norvège de pouvoir échanger par les eaux afin de pallier leur isolement. L’indice de connectivité des transports maritimes réguliers développé par les Nations Unies vise à mesurer l’intégration des pays dans les réseaux de commerce international à travers six composantes (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, 2018), soit :
1. le nombre hebdomadaire de navires prévu;
2. le débit portuaire de conteneurs;
3. le nombre de services de transport maritime disponible;
4. le nombre de compagnies offrant ces services de transport maritime;
5. le volume de transport du plus gros porte-conteneurs moyen effectuant un service régulier;
6. le nombre de pays connectés par ligne directe.
Les indices ainsi que leur rang par rapport aux 167 pays comparés en 2018 sont présentés au tableau 6.1.
L’indice de connectivité du Canada qui atteint 47 s’explique par le fait que le pays est bordé de part et d’autre par les océans Atlantique et Pacifique, ce qui lui permet de multiplier les ports stratégiques, d’accéder aux côtes est et ouest de l’Amérique et de tirer ainsi profit de l’énorme marché que sont les États-Unis. L’indice de la Norvège, qui s’élève à 11, s’explique par sa plus petite population, sa position géographique à une des extrémités enclavées de l’Europe continentale et sa faible utilisation de conteneurs. L’indice de l’Islande est le plus faible, à 6, puisque ses échanges internationaux sont essentiellement destinés à fournir son propre commerce. À titre d’exemple, si l’indice est divisé par la taille démographique de l’Islande [tableau 6.1], son rang mondial reflète mieux l’importance du commerce maritime pour ce petit pays (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, 2018).
source: Norwegian Mapping Authority, s.d.
Les navigateurs d’aujourd’hui comme ceux d’hier demeurent au centre des opérations maritimes. Au Québec le savoir-faire des pilotes du Saint-Laurent est essentiel pour contourner les multiples hauts-fonds et composer avec les courants et marées du fleuve. La zone de pilotage obligatoire pour les navires marchands étrangers s’étend des Escoumins jusqu’à Montréal. Alors que l’Islande n’impose l’intervention des pilotes que dans les ports, la Norvège oblige les grands bateaux à disposer de tels pilotes à l’intérieur de sa Grunnlinje, sa ligne de base territoriale [figure 6.1] (Faxaflóahafnir, 2009; Gard, 1998). Ce n’est pas sans raison; le relief irrégulier et particulièrement abrupt de la Norvège, notamment vers le nord, rend la navigation ardue (Great Britain Hydrographic Dept, 1880).
La bouée Viking inventée par des chercheurs de l’Institut Maurice-Lamontagne, situé à Rimouski, a été aperçue lors de la visite de Poly-Monde. Elle permet d’obtenir des renseignements en temps réel sur les conditions océanographiques locales. Bardée de capteurs, elle peut autant fournir des données atmosphériques qu’informer sur les courants marins ou servir à la détection des baleines noires. Une fois recueillies, ces informations peuvent être utilisées par les océanographes ou intégrées dans les couches d’informations des cartes électroniques de navigation (OGSL, 2017).
Que ce soit au Canada ou en Norvège, la navigation côtière demeure peu aisée. En période hivernale, alors que la glace recouvre l’océan, les cargaisons doivent continuer à être acheminées. Les changements climatiques ne facilitent pas non plus la navigation nordique. De plus en plus de blocs de glace pluriannuelle – qui a résisté à au moins un été de fonte – en provenance de l’océan Arctique flottent dans l’Atlantique Nord (Université du Manitoba, 2018). Plus durs que la glace plus jeune, ces blocs posent des risques accrus pour les coques des navires (Garde côtière canadienne, 2019).
Lors de la visite à la Garde côtière canadienne, il a été question des moyens utilisés pour faciliter la navigation hivernale dans l’est du Canada. Parmi ceux-ci, le Service canadien des glaces (SCG) fournit quotidiennement des cartes précisant le type de glace et sa concentration pour aider les pilotes. La glace peut en effet occuper une importante partie du Saint-Laurent en période hivernale [figure 6.2].
source: Service Canadien des Glaces, 2020
Le déglaçage est un autre moyen pour aider les navires à arriver à bon port. Pour mener à bien sa mission, la Garde côtière possède quatorze brise-glaces de différentes classes et deux aéroglisseurs. Les aéroglisseurs peuvent atteindre des endroits difficilement accessibles par les brise-glaces conventionnels et aider à la débâcle des rivières lors des crues printanières (Gouvernement du Canada, 2012).
Réchauffées par la dérive nord-atlantique, les côtes de la Norvège et de l’Islande sont exemptes de glace à longueur d’année, sauf en de rares exceptions (Buckley, 2018). C’est pourquoi l’Islande n’a aucun brise-glace et que la Norvège n’en possède qu’un seul, le KV Svalbard, qui navigue principalement autour de l’île éponyme qui est fréquemment aux prises avec les glaces (Forsvaret, 2019; The Great White Con, s. d.).
L’entreprise Fednav, le plus grand transporteur océanique de vrac au Canada, est devenue en 1998 la première entreprise à assurer des expéditions à l’année dans l’Arctique canadien (Fednav, 2020). En effet, l’armateur Fednav possède parmi sa flotte de plus d’une centaine de navires trois vraquiers brise-glaces qui opèrent indépendamment dans l’environnement polaire difficile et qui fournissent des solutions de transport complètes aux mines du Nord canadien (Fednav, 2020).
Les changements climatiques et la fonte des glaces en Arctique soulèvent la question à savoir si l’ouverture de nouvelles routes maritimes pourrait avantager les trois pays nordiques en matière de commerce international. C’est ce que s’est demandé le gouvernement islandais lors de la conférence Breaking The Ice – Arctic Development and Maritime Transportation. Les conclusions économiques de cette conférence sont mitigées : malgré une diminution importante des distances de transport, les routes transarctiques ne viendront pas remplacer les routes existantes, mais les complémenter. En effet, trop d’obstacles et d’investissements sont encore nécessaires pour que ces routes soient économiquement viables (Icelandic Government, 2007).
Même son de cloche dans le rapport Maritime Activity In The High North – Current And Estimated Level Up to 2025; le seul trafic actuel et réaliste pour les prochaines années est motivé par les ressources qui se trouvent dans le cercle polaire. Parmi celles-ci, on retrouve les énergies fossiles et les produits de la pêche, et ce, pour la Russie, le Groenland, l’Islande et la Norvège. L’imprévisibilité des glaces, le manque de navires spécialisés et le coût élevé des assurances ne permettent pas encore de positionner la Norvège et l’Islande comme pôle intéressant pour des traversées transarctiques profitables (Borch, et al., 2018).
Du fait de leur position géographique particulière, de leur taille et des spécificités de leur population, l’économie de l’Islande et de la Norvège repose en partie sur le commerce maritime qui devient dès lors un secteur important de leur industrie. Il est donc primordial pour ces pays de s’équiper de ports de mer de classe mondiale pouvant accueillir avec efficacité les navires de marchandise.
Les ports se sont donc naturellement bâtis à proximité des foyers économiques. C’est ce qui explique la présence des ports intérieurs, comme ceux de Montréal, de Québec ou d’Oslo (Fischer André, 1963).
Depuis plusieurs années, le transport maritime connaît une forte croissance, particulièrement pour les marchandises conteneurisées (CNUCED, 2012). Limités dans l’espace en raison de la proximité urbaine, les ports intérieurs doivent amorcer des projets d’agrandissement en périphérie du port principal ou encore innover à l’interne afin d’optimiser l’espace actuellement occupé.
Les projets d’agrandissement portuaire de Montréal et d’Oslo rencontrent des défis similaires associés à la densification urbaine. Dans le cas de Montréal, deux outils développés spécifiquement pour améliorer la productivité des opérations ont été présentés durant la visite au port de Montréal.
Le premier outil, mis en œuvre en 2013, permet d’optimiser le chargement des bateaux grâce aux mesures de la colonne d’eau de la voie maritime du Saint-Laurent récoltées en temps réel (Port de Montréal, 2019a). Ces données qui font état de la profondeur de la voie navigable à un moment donné permettent de calculer le chargement maximal d’un navire tout en assurant sa navigabilité. Dans ce cas-ci, le port de Montréal s’assure que le tirant d’eau du navire, soit la profondeur de la coque submergée, soit inférieur à la colonne d’eau de la voie navigable.
Le second outil est une application mise en service en 2016 qui fournit aux camionneurs en attente de leur cargaison des données en temps réel sur la congestion au port. L’accès à ces données par le PORTail du camionnage permet à l’industrie du transport routier de mieux planifier ses déplacements, permettant de réduire le temps d’attente et de faciliter le flux de camions au port (Port de Montréal, 2018).
La Corporation de Gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent est la première entité au monde à utiliser l’amarrage mains libres lors du passage des navires dans une écluse; technologie que l’équipe de Poly-Monde a pu voir lors de sa visite. Cette innovation, qui permet de stabiliser plus rapidement les navires dans les écluses par succion aux parois des navires, augmente la productivité de celles-ci tout en limitant les impacts environnementaux du passage des navires (Alliance verte, 2015).
Malgré l’augmentation de la productivité des activités du port de Montréal, ces innovations ne permettent pas de répondre entièrement à la demande croissante. Le port de Montréal doit se doter de quais plus longs, d’une capacité de stockage plus importante, ainsi que d’une capacité d’accostage plus élevée. Le terminal de Contrecœur situé à environ 30 km du port principal est un site propice pour répondre à ces objectifs (SNC-Lavalin, 2017). Il sera doté de deux postes à quai, soit des aires réservées à l’accueil de navires permettant d’amarrer deux bateaux à la fois, ainsi que d’une capacité de manutention annuelle de plus de 1,15 million EVP (équivalent vingt pieds ). La mise en activité de ce terminal, prévue en 2023, permettra au port de Montréal d’augmenter de 82 % sa capacité de manutention de conteneurs, passant d’environ 1,40 à 2,55 millions EVP (Port de Montréal, 2019b).
Oslo entretient également d’importants projets d’infrastructures portuaires. En 2004, un plan stratégique pour le transport national a été adopté, avec l’objectif de relocaliser les activités portuaires de cargaison hors du centre de la ville afin que les citoyens se réapproprient la rive du Oslofjord (Nordregio, 2018) . Cette relocalisation, bénéfique tant aux citoyens qu’au port d’Oslo, a permis de libérer la zone portuaire des contraintes urbaines [figure 6.3].
source: Oslo Port Authority, 2016
Le nouveau terminal de cargaison conteneurisée s’est établi sur la péninsule de Sjursøya, au sud du centre-ville. Initialement construit avec une capacité annuelle de 210 000 EVP, le terminal de conteneurs a établi un partenariat avec la compagnie Kalmar. L’entreprise fait partie du groupe Cargotec spécialisé dans le domaine de l’automatisation de terminaux de manutention de conteneurs écoénergétiques (Kalmar, 2020). Le projet pilote d’automatisation partielle des grues RTG (Rubber-Tyred Gantry) avec l’outil d’aide à la décision Compass, de Navis, une autre sous-branche de Cargotec, permettra au port d’effectuer une meilleure gestion en temps réel du flux de conteneurs et d’augmenter ainsi sa capacité annuelle de manutention à 450 000 EVP (Yilport, 2015).
Un autre aspect intéressant du port d’Oslo est le plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’objectif est une diminution de 85 % des émissions des activités portuaires d’ici 2030 par rapport à 2017 et un potentiel de carboneutralité à long terme (Oslo Department of Business Development and Public Ownership, 2018). Dans cette optique, la grande majorité des équipements actuellement utilisés par le port d’Oslo, comme les grues et les véhicules, sont électriques. Moins bruyantes, ces technologies sont idéales pour les ports situés à proximité des villes, puisqu’elles favorisent l’acceptabilité sociale de leurs activités.
Cependant, bien que l’engouement pour le transport de marchandises conteneurisées se soit traduit par la construction d’énormes porte-conteneurs, ce type de transport maritime est actuellement le plus affecté par la pandémie de la Covid-19 (Williams, 2020). En effet, le volume du commerce mondial de conteneurs a chuté, en février 2020, de 8,6 % par rapport à février 2019 (Forum international des transports, 2020). Bien qu’il soit encore difficile d’obtenir toutes les informations nécessaires pour dresser un portrait éclairé du secteur du transport maritime, il se pourrait que la priorité de certains projets d’agrandissement portuaire soit révisée.
La Norvège est devenue avec le temps un leader mondial en transport maritime. Ce pays qui se situe au 119e rang en termes de population possède la 6e plus importante flotte nationale au monde (OCDE, 2017). La comparaison avec le Canada est impressionnante et celle avec l’Islande, dont la flotte est négligeable, l’est plus encore [graphique 6.1].
Comme discuté lors de la visite au chantier Davie, à Lévis, le marché de la construction navale est reconnu pour ses vagues de mises à pied lors de creux et ses fortes embauches lors de la multiplication des contrats. Ce phénomène est d’autant plus vrai pour la Norvège, le Canada et l’Islande qui doivent se soumettre à des salaires élevés qui les désavantagent par rapport aux constructeurs asiatiques (Chantier Davie Canada, 2020 lors d'une visite de Poly-Monde). La période de crise et de récession reliée à la pandémie de la Covid-19 rend l’avenir de l’industrie incertain. Les différents chantiers navals mondiaux doivent s’ajuster et respecter les nouvelles mesures de santé publique (Jordan, 2020). Certains chantiers qui construisent des navires pour les forces armées nationales, comme le chantier Davie, à Lévis, sont considérés comme un service essentiel et peuvent poursuivre leurs activités (Chantier Davie Canada, 2020b).
La Norvège tente de se tailler une place dans le marché en se concentrant sur les produits à haute valeur ajoutée. En mettant à profit l’innovation et la compétence du pays en matière de construction navale, elle se spécialise dans les embarcations uniques aux besoins particuliers, comme des navires de recherche scientifique ou des traversiers à propulsion électrique qui diminuent l’empreinte carbone dans les fjords (OCDE, 2017).
Le chantier naval norvégien Brødrene Aa a livré, en 2018, sa première embarcation à propulsion entièrement électrique : Future of the Fjords. Il s’agit d’un catamaran en fibre de carbone de 42 m. Le bateau assure environ 700 allers-retours annuels le long de la spectaculaire Route des fjords entre Flåm et Gudvangen (Brødrene AA, 2018).
La Norvège doit donc garder un bon niveau d’expertise et s’assurer que ses talents trouveront, en période creuse, un emploi connexe dans l’industrie maritime. C’est d’ailleurs sa capacité de relocalisation des ressources humaines qui a bâti sa performance dans le marché. Le gouvernement soutient également ces grappes dynamiques à l’aide de fonds, comme l’Innovation Norway. L’appareil politique joue par ailleurs sur la demande à l’aide de commandes publiques, comme les fonds pour la mise à niveau et la maintenance de la flotte gouvernementale alloués en 2016. Les décideurs ont intérêt à soutenir cette industrie qui représentait, en 2014, 10 400 emplois par rapport à 4 290 emplois au Canada (OCDE, 2017; Gouvernement du Canada, 2014).
Au Canada, le plus grand chantier au pays, le chantier Davie, à Lévis, cible stratégiquement des parts de marchés lui permettant de surmonter le changement qui s’opère dans l’industrie. En effet, l’administration mise sur les contrats avec la défense et le gouvernement, notamment la Garde côtière canadienne. Ces contrats sont hautement spécialisés et obligatoirement accordés à des entreprises au Canada (Gouvernement du Canada, 2014).
De plus, le chantier vise le marché du transport local de passagers, comme les lignes de traversier. Les navires spécialisés qui assurent ces traverses exigent une connaissance pointue et une conception unique pour s’adapter aux quais des petites municipalités qu’ils relient. Finalement, le chantier Davie reste actif dans le marché des navires commerciaux pour réaliser des travaux de maintenance ponctuels (Chantier Davie Canada, 2020 lors d'une visite de Poly-Monde). Les orientations stratégiques de ce chantier naval reflètent bien la réalité de cette industrie au Canada et le positionnement du gouvernement canadien par rapport à cette dernière.
L’industrie navale en Islande est largement dominée par la construction de bateaux de pêche, dont des bateaux-usines hautement spécialisés munis d’énormes congélateurs et d’équipements destinés à traiter le poisson en mer (Slippurinn Akureyri, 2020). Mis à part la petite grappe de construction maritime destinée aux pêcheries, l’Islande ne possède pas de grand chantier naval comme le Canada et la Norvège.
Le chantier naval Davie a marqué l’histoire en finançant entièrement le projet du MV Astérix. C’est dans le cadre de la construction de son unique ravitailleur que l’approvisionnement des Forces armées canadiennes a pour la première fois transféré au chantier l’ensemble des risques techniques et financiers. Les contribuables canadiens n’ont donc rien déboursé avant que le navire entre en service (Chantier Davie Canada, 2017).
Incapables de compétitionner la construction à la chaîne de navires sans spécificités particulières réalisée dans certains pays d’Asie, les trois pays nordiques se voient contraints de se concentrer sur les marchés locaux (Chantier Davie Canada, 2020 lors d'une visite de Poly-Monde). Ils doivent maintenir une expertise de pointe dans la réalisation d’embarcations particulières, comme des navires de guerre, des navires de pêches et des navires de recherche scientifique. Les gouvernements restent des donneurs d’ouvrage vitaux pour cette fragile industrie qui fait vivre, en Norvège comme au Canada, des milliers de familles (McKay, 2018).
Pour arriver à diminuer les effets négatifs des activités maritimes, l’Organisation maritime internationale (OMI) s’est engagée en 2018 à réduire les GES provenant du transport maritime. La stratégie initiale, signée par plus de 100 pays, a comme objectif « de réduire le volume total d’émissions de GES annuelles d’au moins 50 % d’ici 2050, par rapport à 2008, tout en poursuivant l’action menée en vue de leur élimination complète » (OMI, 2018).
source: Research and Traffic Group, 2013
Le Québec, l’Islande et la Norvège ont tous instauré des initiatives et des normes visant la diminution des GES associés au transport maritime dans leurs eaux territoriales. Au Québec, un excellent moyen de contribuer à la diminution des GES est d’être membre de l’Alliance verte. Cette initiative regroupant des ports, des armateurs, des terminaux, la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent et des chantiers maritimes basés au Canada et aux États-Unis permet à ses membres de comparer leurs efforts en développement durable (Alliance verte, 2020).
L’Islande, pour sa part, a tout récemment décidé de diminuer à 0,1 % le seuil de soufre des carburants utilisés dans ses eaux territoriales (Iceland Ministry of Environment and Natural Ressources, 2019). Le seuil de soufre mondial est de 0,5 %, alors qu’au Canada, le seuil de soufre dans le carburant est à 0,1 % depuis 2015.
Les absorbeurs-neutralisateurs, communément appelés « scrubbers », sont des équipements destinés à absorber et à neutraliser les particules de gaz toxiques, comme les oxydes de soufre. Les oxydes de soufre émis par les navires contribuent à l’acidification des océans, ce qui génère des effets néfastes pour l’agriculture, les forêts et les espèces aquatiques (Clear Seas, 2020a).
La Norvège a quant à elle établi une obligation de réduire à zéro les émissions de GES dans ses fjords d’ici 2026 (UNESCO, 2018). Les navires qui ne respectent pas les règlements entourant la réduction des rejets de soufre dans l’eau ont deux possibilités : ils doivent soit acheter un carburant à plus faible concentration de soufre, soit munir leurs navires d’absorbeur-neutralisateurs (SODES, 2020).
En 2020, les armateurs et les chantiers navals disposent de plusieurs solutions de propulsion marine, certaines étant plus faciles à implanter que d’autres. Depuis quelques années, le gaz naturel liquéfié (GNL) que plusieurs considèrent comme un carburant alternatif au mazout lourd connaît un succès particulier dans le domaine maritime. Produisant moins d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote, de matière en suspension ainsi que de dioxyde de carbone, il est perçu comme étant moins nocif pour l’environnement (Clear Seas, 2020a). Plusieurs études évaluent que la propulsion au gaz naturel diminue d’environ 10 % les GES comparativement à la propulsion au mazout (Stettler et al, 2019).
Il est toutefois important de considérer les émissions sur l’ensemble du cycle de vie du GNL ainsi que les fuites de méthane occasionnées par la combustion imparfaite des moteurs. En fait, les émissions de méthane ont un impact sur les changements climatiques 25 fois plus élevé qu’une quantité équivalente de CO2. L’impact du GNL sur le réchauffement climatique est donc proportionnel aux fuites considérées sur son cycle de vie entier [graphique 6.2].
Afin de préserver son patrimoine, la Norvège prévoit interdire à partir de 2026 l’accès aux deux fjords de l’ouest de la Norvège inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO pour les navires émettant des GES (UNESCO, 2018). Cette interdiction est possible grâce aux nouvelles technologies novatrices éprouvées pour les navires de plus petit format, tels que les traversiers et les bateaux de croisière. Ce type d’embarcation qui parcourt de courtes distances pour revenir le plus souvent à un même terminal est le candidat idéal pour l’utilisation de batteries électriques.
La Société des traversiers du Québec (STQ) s’est munie en 2013 du NM Peter-Fraser, le premier traversier en Amérique du Nord à être propulsé avec une technologie hybride diesel-électrique. La STQ a de nouveau innové en 2015 avec la mise en service du NM F.-A.-Gauthier. Malgré des problèmes techniques qui ont forcé l’arrêt du navire, le NM F.-A.-Gauthier est maintenant en fonction au diesel marin et le retour de la propulsion au gaz naturel est prévue après l’arrêt technique du printemps (Radio-Canada, 2020).
L’avance notable de la Norvège par rapport au Québec et à l’Islande en matière de technologies de propulsion vertes s’explique par une importante activité de recherche et de développement. Elle est poussée par le financement gouvernemental en technologies vertes qui atteint annuellement plus de 270 M$. Cette somme est investie par Enova, une entreprise appartenant au ministère du Climat et de l’Environnement. Elle permet la création de régimes de financement, comme le PILOT-E, qui fournit des ressources nécessaires pour effectuer des tests sur des technologies de propulsion vertes afin d’accélérer leur commercialisation (Norwegian Ministry of Trade, Industry and Fisheries, 2019).
Bien qu’il y ait des traversiers électriques en Norvège, le Québec, lui, n’en possède pas encore. Différents facteurs peuvent expliquer cela, soit le coût important des centres de recharge qui rendent actuellement ce type de projet non rentable, ainsi que le manque de main-d’œuvre locale qualifiée au Québec.
Bien que plusieurs solutions technologiques de propulsions propres soient disponibles pour de courts trajets, la réduction de l’impact environnemental des trajets plus longs demeure un défi non résolu. Le régime de financement PILOT-E finance actuellement des technologies hybrides qui utilisent des batteries électriques combinées à des batteries d’hydrogène ou du GNL afin de pouvoir potentiellement diminuer l’impact environnemental des longs trajets (Fuel Cells Bulletin, 2019). Ce type de projet, essentiel à la diminution de l’impact environnemental du transport maritime, pourrait ne pas être suffisant pour répondre à l’objectif de diminution d’au moins 50 % des GES du transport maritime d’ici 2050, par rapport à 2008. En effet, si les navires ont une durée de vie d’environ 25 ans, les technologies novatrices nécessaires pour diminuer les GES du transport maritime d’au moins 50 % d’ici 2050 devront commencer à être déployées dans les cinq prochaines années (Le Pensec & Pinon, 2007).
Au Québec, environ 7 000 travailleurs œuvrent dans les secteurs reliés à la pêche, soit la capture, la transformation et l’aquaculture (Pêches et Océans Canada, 2020). En Islande, ce sont 7 800 personnes qui y prennent part et en Norvège, 31 000. Ce nombre de travailleurs pourrait toutefois s’élever jusqu’à 58 000 si toute la chaîne de valeur des pêcheries norvégiennes était considérée (OCDE, 2020; Johansen et al., 2019).
Dans les années 1960, les captures annuelles de hareng passent d’un sommet de 2 Mt à moins de 100 000 t, portant ainsi un dur coup à plusieurs communautés islandaises et norvégiennes (Hamilton et al., 2004). D’autres crises similaires, comme celle de la morue au Canada, dans les années 1990, forcent les gouvernements à réfléchir quant à la problématique de la surpêche et de la surcapacité des flottes. Différents régimes de quotas sont alors implantés selon les espèces. La régulation des pêcheries est une problématique aux multiples facettes : la sauvegarde de la pêche locale contre la concentration des quotas entre quelques entreprises, les incitatifs à la modernisation des flottes et la protection des espèces, de concert avec la réduction de la surcapacité existante (Hoshino et al., 2020).
Alors que la Norvège choisit le quota individuel de bateau (QIB) pour ses pêcheries, l’Islande et le Canada optent pour le quota individuel transférable (QIT). Le tableau 6.2 présente les caractéristiques des deux systèmes de quotas.
Centre de recherche de Pêches et Océans Canada situé à Mont-Joli, l’Institut Maurice-Lamontagne (IML) compte plus de 400 employés; la visite de l’équipe a permis d’en rencontrer plusieurs. De la cartographie marine aux études sur les espèces envahissantes en passant par l’entretien de plus de 250 navires, dont ceux de la Garde côtière canadienne, les activités de l’IML sont variées et placent l’Institut parmi les principaux centres francophones en sciences de la mer au monde.
En choisissant les QIB, la Norvège veut limiter les transferts et éviter ainsi la concentration des quotas entre les mains de quelques privilégiés, conséquence courante des QIT. Malgré ses intentions louables, le système des QIB échoue sur le plan économique (Standal & Aarset, 2008). Ses principales failles concernent le manque de flexibilité, la faible efficacité de la flotte, le maintien de la surcapacité et la concentration inévitable des quotas dans l’industrie. Soucieuse de libéraliser les QIB, la Norvège autorise graduellement, à partir de 2000, les transferts de quotas individuels de bateau qui tendent ainsi à ressembler de plus en plus à des QIT (Standal & Asche, 2018).
source: Kokorsch & Benediktsson, 2018
Au Canada comme en l’Islande, les QIT ont permis une meilleure adéquation des navires avec les stocks disponibles (Hoshino et al., 2020). Cependant, la concentration des quotas auprès de quelques compagnies a mené au déclin de communautés, comme Skagaströnd.
Autrefois une plaque tournante de la pêche du nord-ouest de l’Islande, la compagnie principale du village a été vendue en 2005 à FISK Seafood, la quatrième plus grande compagnie de pêche et de transformation du pays. L’usine de transformation de Skagaströnd est maintenant fermée et la population est en déclin (Browne, 2018). Ce cas n’est pas isolé : en comparant l’évolution des pêcheries avec des facteurs socio-économiques, démographiques et halieutiques, plusieurs petites communautés islandaises ont été identifiées comme vulnérables [figure 6.5] (Kokorsch & Benediktsson, 2018).
Introduit artificiellement par des scientifiques de l’URSS, le crabe royal est apparu à Mourmansk dans les années 1960. Sans prédateur, il pullule maintenant les côtes de la Norvège et la mer de Barents. Véritable bénédiction pour les communautés norvégiennes, sa valeur d’exportation s’élevait à environ 58 M$ en 2015, une somme qui représente aujourd’hui 62 M$. Malheureusement, cette espèce détruit l’écosystème d’autres espèces, réduisant la biodiversité et posant un dilemme à l’État norvégien (Sundet & Hoel, 2016).
Si les QIT ont augmenté l’efficacité économique de la pêche commerciale, ils ont aussi mené à la dévalorisation de petites communautés islandaises. Le constat est aussi visible ailleurs. Au Québec, la population côtière des secteurs maritimes a chuté de 15 % entre 1986 et 2015 (Pêches et Océans Canada, 2018). En ayant recours aux QIB, la Norvège a voulu éviter cette situation, sans succès. Le pays s’est retrouvé avec un système moins efficace qui a mené à une concentration de quotas similaire à celle de l’Islande (Standal & Aarset, 2008).
À l’heure où des débats sur les quotas émergent en Norvège (Bye, 2020), les trois nations doivent soutenir les communautés dévalorisées. Si la diversification des économies s’avère une approche intuitive, elle doit être implantée à l’échelle locale et de manière durable. La crise associée à la pandémie de la COVID-19 qui a causé une baisse des prix et des délais dans la saison a aussi des impacts sur la pêche, comme pour celle du homard, dans le golfe du Saint-Laurent (Withers, 2020). La suite dira si les mesures gouvernementales seront suffisantes pour soutenir des communautés déjà en eaux troubles.
Industrie millénaire, le secteur maritime est en transformation, et ce, au Québec, en Islande et en Norvège. De Montréal à Oslo, les ports s’agrandissent et se modernisent pour rester compétitifs dans un marché où se livre une féroce compétition. Face à la concurrence asiatique, les chantiers navals norvégiens misent sur l’innovation et le développement de technologies écoénergétiques. Le Québec vise plutôt les contrats nationaux spécialisés et commence tout juste à inclure des moyens de propulsion novateurs dans certains traversiers. L’Islande se spécialise de son côté dans les bateaux de pêche et accroît l’efficacité de sa flotte. Le Québec, l’Islande et la Norvège doivent trouver des solutions pour soutenir le développement économique régional et la dévalorisation des petites communautés dépendantes de la pêche.