microéconomie

dossier 04

Caroline Bazinet
Béatrice Girardin
Florence Ravary-Berger

Le principe d’égalité des chances et le droit à un accès universel aux services sont au cœur de la social-démocratie et prennent toute leur importance en temps de crise. Que ce soit par des soins de santé abordables, par une éducation de qualité pour tous, ou encore par des programmes familiaux permettant une plus grande équité entre les genres sur le marché du travail, les nations nordiques sont reconnues pour la satisfaction de leur population à l’égard de la qualité de vie et le Québec ne fait pas exception. Si la Norvège et l’Islande occupent actuellement la 3e et 10e position de l’indice « Vivre mieux » de l’OCDE, le Québec se classait en 2014 au 6e rang d’après une adaptation parue dans Le Québec économique (Joanis et Godbout, 2014). Une analyse microéconomique permet de se plonger dans les politiques publiques et les secteurs placés au centre de l’économie de ces trois nations.

DES SOCIAL-DÉMOCRATIES  BIEN VIVANTES

À l’aube de 2020, peu de gens auraient pu prédire que le début de l’année placerait l’ensemble des pays du monde face à un défi commun, soit celui de limiter les dommages causés par la propagation de la COVID-19. Plus que jamais, les inégalités sont mises en évidence et le soutien que les gouvernements offrent à leur population est critique. Les pays ayant déjà en place des services publics forts semblent donc les mieux positionnés pour faire face à la crise.

LA SOCIAL-DÉMOCRATIE COMME AVANTAGE

L’étude des politiques publiques des gouvernements de la Norvège et de l’Islande, mais aussi du Québec, laisse clairement entrevoir une philosophie sociale-démocrate. La présence d’un filet de sécurité sociale est l’une des caractéristiques clés de ces trois nations qui a toutefois atteint des stades de maturité différents. Ces dernières ont un historique d’État-providence et, comme on peut l’observer au graphique 4.1, leurs dépenses publiques sont nettement supérieures aux moyennes de l’OCDE, avec des taux allant jusqu’au double. Au sein du Canada, le Québec fait figure de chef de file avec des dépenses de programmes qui demeurent, depuis les années 1990, les plus élevées au pays en pourcentage du PIB (Le Québec économique, 2017).  

graphique 4.1 Évolution des dépenses publiques des gouvernements en pourcentage du PIB de 1993 à 2019

Les résultats éloquents que le modèle social-démocrate nordique de la Norvège et de l’Islande atteignent dans les classements mondiaux sont souvent utilisés au Québec comme point de référence, voire comme idéal à atteindre. Plus généralement, et comme l’expliquait Daniel Chartier, professeur titulaire de la Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique à l’UQAM, lors de sa conférence à l’équipe, les pays scandinaves sont souvent cités à titre de référence mondiale, que ce soit pour leur satisfaction à l’égard de la vie, leur participation sociale ou leur compétitivité. Cette réputation n’est pas étrangère aux politiques publiques fortes instaurées depuis plusieurs décennies et maintenues par les gouvernements à travers les années.

UN BREF HISTORIQUE DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE

Au Québec, c’est dans les années 1960 que l’on assiste à l’établissement de l’assurance-emploi, de l’assurance-maladie, de l’assurance-invalidité, de la régie des rentes et du programme d’allocations familiales. La social-démocratie prend donc de l’élan pendant la Révolution tranquille et s’ancre dans la culture québécoise. Le Parti libéral du Québec de Jean Lesage se positionne du côté d’une classe moyenne émergente et offre en 1961 un nouveau système d’hôpitaux publics.

S’ensuivent alors une série de réformes. René Lévesque nationalise les entreprises d’électricité pour créer Hydro-Québec, en 1963, avant que Jean Lesage crée, en 1965, la Caisse de dépôt et placement du Québec responsable du Régime des rentes du Québec (Durocher, 2015). La gratuité scolaire jusqu’en 11e année est quant à elle établie en 1964 et le régime d’assurance-maladie entre en vigueur en 1970.

Si les mesures phares de la social-démocratie au Québec datent de la Révolution tranquille, le modèle nordique remonte quant à lui aux années 1920, dans la foulée de l’arrivée au pouvoir de gouvernements sociaux-démocrates dans plusieurs pays scandinaves. C’est à travers le regroupement de la Norvège et de l’Islande, mais aussi de la Suède, du Danemark et de la Finlande autour d’un Conseil nordique de coopération créé en 1952 que se posent les bases de leur modèle de bien-être social fort : assurance-accidents, assurance-maladie, protection des enfants et pensions de vieillesse, pour ne nommer que ces politiques (Petersen, 2006).

DES DÉPENSES PUBLIQUES À LA HAUSSE EN TEMPS DE CRISE

À l’instar de la crise de 2008 où le pourcentage du PIB accordé aux investissements a considérablement augmenté graphique 4.1, les pays sont enclins à accroître considérablement les dépenses publiques en temps de crise, et ce, sans les diminuer par la suite. Cette tendance semble être la même aujourd’hui, alors que sévit la crise de la Covid-19.

Au cours des premières semaines de la pandémie, le Canada, l’Islande et la Norvège se sont démarqués par leur rapidité à offrir un soutien à la population. Le gouvernement canadien a rapidement mis en place la prestation canadienne d’urgence (PCU), donnant ainsi aux individus touchés par la crise une aide mensuelle de 2 000 $ pour une période de quatre mois. Le Canada, tout comme l’Islande, soutient également les entreprises en couvrant une partie du salaire des employés, l’objectif étant de limiter les mises à pied (Gouvernement du Canada, 2020; Government of Iceland, 2020).

Reste maintenant à savoir si, une fois la crise sanitaire passée, les sociétés sociales-démocrates décideront de conserver des taux de dépenses publiques aussi importants, comme cela a été observé à la suite de la crise de 2008. Chose certaine, soutenir un filet social fort demeure une question actuelle, et plus particulièrement après l’explosion des dépenses publiques destinées à limiter les effets sociaux et économiques de la crise sanitaire. Un ajustement des politiques publiques restera à effectuer afin d’assurer un avenir pérenne aux social-démocraties nordiques, qu’elles soient scandinaves ou québécoises.

LA RÉALITÉ DERRIÈRE L’EXCELLENCE EN SANTÉ

La vision sociale-démocrate des gouvernements permet d’offrir aux populations une qualité de vie très élevée. Un des premiers services publics qui y contribue est la santé. Pourquoi le Canada, la Norvège, et l’Islande sont-ils parmi les meilleurs dans ce secteur? Pour répondre à cette question, il convient d’analyser l’ensemble des politiques publiques, de la structure du système de santé aux impacts individuels.

Du point de vue des politiques gouvernementales, il est intéressant de constater que les trois pays à l’étude figurent, parmi les 37 pays de l’OCDE, au top 4 de l’indice du « Vivre mieux » global et au rang des neuf meilleurs pays en matière de santé. Une excellence se concrétisant par une espérance de vie qui va au-delà de 81 ans et une population où 76 % des habitants se considèrent comme en bonne santé. Les trois pays financent par ailleurs un système de santé publique similaire où, en 2018, les dépenses respectives s’élevaient, en dollars canadiens/habitant, à 5,1 k, à 5,3 k et à 7,9 k pour le Canada, l’Islande et la Norvège [graphique 4.2] (OCDE, 2020).

graphique 4.2 Dépenses de santé publique des pays de l’OCDE en dollars par habitant en 2018

LES EFFETS MITIGÉS DE LA CENTRALISATION

Une autre ressemblance entre les trois pays à l’étude est la structure de leurs systèmes de santé. En effet, les trois systèmes montrent une tendance à la centralisation. Au Québec, celle-ci se manifeste par la controversée réforme de 2015 qui fusionne les établissements. Dans le but d’alléger et d’harmoniser l’administration du réseau de santé, plusieurs postes de cadre sont alors abolis et treize centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ainsi que neuf centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) sont créés (Roy et Cossette Civitella, 2015).

À l’ère de la COVID-19, cette centralisation est plus que jamais la cible de critiques. Les décisions et les consignes des décideurs se rendent difficilement sur le terrain. Le personnel médical rapporte aussi en entrevue que la communication rendue difficile dans cet énorme réseau est responsable de certains risques inutiles qui ont été pris pendant la crise de la Covid-19. Un manque d’accessibilité au matériel de protection, alors qu’il était abondant, ou encore l’alternance de quarts de travail entre une « zone chaude » et un CHSLD sain en sont des exemples.

De son côté, la Norvège qui privilégiait depuis 1970 la décentralisation pour améliorer l’efficience de la prestation abandonne cette méthode pour se tourner, en 2002, vers la centralisation. En fait, l’État effectue des réformes en santé depuis la fin des années 1990 en se concentrant principalement sur les centres hospitaliers qui représentent plus de la moitié des dépenses en soins individuels. Par exemple, à la suite d’une consultation où leur médecin généraliste les oriente vers des spécialistes, les citoyens doivent recevoir lesdits services dans les 30 jours, sans quoi leur système d’assurance sociale se doit de payer les traitements en clinique privée ou même à l’étranger (OCDE, 2005). Les hôpitaux respectant ces délais se voient récompensés financièrement.

Du côté de l’Islande, la centralisation s’effectue progressivement à partir des années 1990, sans grande réforme. L’événement majeur est le regroupement de l’hôpital public de la capitale et de l’hôpital municipal, donnant naissance à l’Hôpital universitaire public de Landspitali à Reykjavik en 1999 et 2000. Cet établissement représente le tiers des dépenses en santé du pays (OCDE, 2008).

deCODE Genetics : la puissance de la génétique islandaise
Fondée en 1996 par le neurologue islandais Kári Stefánsson, cette compagnie de biotechnologies figure au rang de leader international en analyse génétique. Elle puise sa force de recherche dans le séquençage du génome entier de la population islandaise. Ces individus génétiquement très homogènes leur permettent de découvrir de nombreux facteurs génétiques responsables de maladies cardiovasculaires et de cancers. (DeCODE Genetics, 2012)

La centralisation apparaît aussi comme un atout pour le pays au début de l’année 2020. Alors que la pandémie prend de l’ampleur, l’Islande arrive rapidement à mettre en place un système de tests à grande échelle. Pour y arriver, elle mobilise son système de santé et la compagnie deCODE Genetics, basée à Reykjavik. Leur force commune leur permet de tester plus de 10 % de la population, un ratio bien supérieur à la moyenne des grands pays touchés tels que les États-Unis, l’Italie ou la Chine. Interrogé à savoir si ces États auraient pu arriver aux mêmes résultats, le PDG de deCODE Genetics indique que pour y parvenir, il faut de la volonté, de la détermination et un certain contrôle central.

L’IMPACT FINANCIER DES RÉFORMES, ET DE LA CRISE!

Au Québec, la rémunération à l’acte est depuis longtemps le principal mode de paiement des médecins. Si l’objectif est d’encourager les médecins à soigner plus d’individus, le personnel soignant se retrouve plutôt face à des standards inatteignables qui les poussent à prendre plus de patients qu’ils n’en sont capables. De la multiplication des rendez-vous, aux surdiagnostics, à la prescription excessive de médicaments ou encore à la facturation de consultations fictives, la rémunération à l’acte a causé, dès la première année après l’instauration de ce système, plus de 50 millions de demandes de remboursements. Le résultat : les salaires des médecins représentaient 20 % des dépenses en santé de la province en 2018-2019 (Bernatchez, 2019).

Une masse salariale qui représente beaucoup plus que la somme de plusieurs ministères mis ensemble, comme le montre la figure 4.1. De ce fait, un autre non-sens qui illustre bien ce besoin de changement peut être le salaire des préposés aux bénéficiaires. En effet, ceux-ci peinent depuis des années à obtenir une augmentation de leur salaire qui atteint au maximum 14 $ au privé et 22,50 $ au public (La Presse canadienne, 2020).

source: Gouvernement du Québec, 2018

figure 4.1 Rémunération des médecins comparée au budget de certains ministères du gouvernement au Québec en 2018

À Reykjavik, seulement deux ans après la fusion des hôpitaux, les coûts engendrés par ces établissements de santé grimpent de plus de 37 %. Un phénomène encore une fois dû à la centralisation des soins qui exerce une pression salariale les effectifs de la santé. Bien que cette hausse soit aussi observée à l’échelle nationale, le financement public à l’hôpital de Landspitali continue de croître beaucoup plus rapidement que dans les autres centres de l’île (OCDE, 2008).

Du côté de la Norvège, la mise en place d’un nouveau système entraîne aussi des défis en matière de coûts et de financement. Le budget d’équipement destiné à une entreprise régionale de santé n’étant plus affecté à un département en particulier, un déséquilibre se crée poussant certains groupes à se retrouver en surcapacité. Cette surefficience menace ainsi les petits hôpitaux qui commencent même à avoir recours à la publicité pour attirer la clientèle indispensable pour éviter leur fusion (OCDE, 2005).

En somme, si chaque État étudié a un bilan plutôt excellent en matière de santé, ils rencontrent aussi des défis similaires face à la tendance actuelle à la centralisation et à la gestion financière de leurs infrastructures. Bien que les infrastructures de aient un grand rôle à jouer vis-à-vis de la qualité de vie des citoyens, la vision d’une société en santé est beaucoup plus large. Effectivement, selon l’Organisation mondiale de la Santé, celle-ci regroupe les trois volets, physique, mental et social (Organisation mondiale de la Santé, s.d.). Ainsi, il faut considérer l’impact de l’ensemble des services sociaux sur la santé.

Dans la poursuite de cette comparaison entre l’Islande, la Norvège et le Canada, il semble qu’une corrélation peut aussi être tracée entre la santé et la grande qualité de ses autres déterminants sociaux comme le revenu, l’éducation, les liens sociaux et l’environnement de ces trois pays. Si l’atteinte de cette excellence est un réel défi, les trois systèmes sont souvent accompagnés de mesures et de programmes publics qui s’inscrivent dans une vision commune qui soutient la santé globale (Émond et al., 2010).

APPROCHES DISTINCTES D’UNE VISION COMMUNE

Investissements gouvernementaux importants, performance remarquable des étudiants, lutte contre le décrochage scolaire : les similitudes sont nombreuses entre les systèmes d’éducation québécois, islandais et norvégiens. La place accordée aux établissements privés distingue toutefois le Québec des pays de comparaison.

L’ÉDUCATION COMME PRIORITÉ

La figure 4.2 expose bien la réalité quant à l’importance accordée à l’éducation : dans les trois cas étudiés, les dépenses publiques sont plus importantes que pour la moyenne des pays de l’OCDE, particulièrement en Norvège et en Islande. À l’échelle mondiale, l’Islande, la Norvège et le Costa Rica se partagent les premières, secondes et troisièmes positions sur la liste des pays octroyant le plus de budgets à l’éducation (OCDE, 2016).

source: Le Québec économique, 2017; UNESCO, 2016

figure 4.2 Dépenses en éducation en pourcentage du PIB, en 2014

Bien qu’il ne soit pas possible d’établir un lien de causalité direct entre les investissements et la performance des élèves, l’importance accordée à l’éducation se traduit tout de même par des résultats PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) élevés dans les trois régions, comme l’explicite la figure 4.3. La réputation qu’ont en commun les trois systèmes d’éducations n’est donc pas superficielle : en Norvège et en Islande comme au Québec, l’éducation est au cœur des priorités gouvernementales.

source: OCDE, 2019

figure 4.3 Moyenne des résultats PISA, en 2019

LE DÉCROCHAGE, CHEVAL DE BATAILLE DE L’ISLANDE ET DU QUÉBEC

Réalités comparables peuvent être synonymes de défis similaires. C’est justement le cas pour le Québec et l’Islande (OCDE Islande, 2012). Le Québec figure comme la province canadienne faisant face au plus haut taux de décrochage scolaire or l’Islande fait face à la même réalité au sein des pays scandinaves. On constate, en consultant la figure 4.4, que le pays compte le plus haut pourcentage d’individus entre 25 et 34 ans n’ayant pas poursuivi les études après 16 ans, âge jusqu’auquel l’éducation est obligatoire pour tous (OCDE Islande, 2012). Au Québec, le taux de diplomation au secondaire pour la moyenne de la population était de 64 % en 2015, soit 20 points derrière le reste des provinces canadiennes (Homsy & Savard, 2018).

source: OCDE Islande, 2012

figure 4.4 Population 25-34 ans n’ayant pas poursuivi les études après le parcours obligatoire

Les deux régions développent activement des initiatives pour renverser la situation, toutefois, la solution à cet enjeu ne réside pas nécessairement dans l’injection de fonds supplémentaires dans le système d’éducation.

Il faut en effet penser à comment on investit, et à quelles fins (Homsy & Savard, 2018). Actuellement, les programmes d’éducation postsecondaires en Islande sont d’une durée de quatre ans. À la suite d’une recommandation de l’OCDE, le gouvernement explore l’éventualité d’offrir des programmes de trois ans, pour éviter de décourager les étudiants hésitant à poursuivre leurs études (OCDE Islande, 2012).

Au Québec, on a assisté, au début des années 2000, à la naissance d’instances régionales de concertation (IRC) qui visent à mieux coordonner les activités des différents établissements. Même si on avait coupé le financement aux IRC en 2013-2014, elles ont été réintégrées dans le budget en 2017 (Doray et Mouline, 2019).

En Islande comme au Québec, peu de données sont disponibles pour comprendre et expliquer le décrochage scolaire (Homsy & Savard, 2018). Ainsi, bien que certaines hypothèses aient été émises, notamment l’attractivité du marché du travail, plusieurs questions demeurent sans réponse (Blondal et al., 2011).

FAVORISER LE SYSTÈME PUBLIC

Bien que les ressemblances soient nombreuses entre les trois systèmes d’éducation, la place des écoles privées est bien différente au Québec. La province envoie 12 % de l’ensemble des étudiants au privé, comparativement à 7,5 % pour les autres provinces canadiennes. Au secondaire, ce sont 21 % des étudiants québécois qui fréquentent ces établissements (Homsy & Savard, 2018). La figure 4.5 parle d’elle-même : la réalité en Norvège est à l’opposé.

source: Statistique Canada, 2019 ; Statistics Norway, 2016; Fortier, 2018

figure 4.5 Pourcentage d’étudiants dans les systèmes d’éducation privés, en 2016

En Norvège, la parution de la loi sur les écoles privées de 1985 a mis la table par rapport à la vision norvégienne : seules les écoles privées ayant une mission particulière ont leur raison d’être. On pense ici à des écoles religieuses ou suivant une pédagogie particulière. Le gouvernement finance 85 % des activités de ces écoles, mais impose une limite aux frais qu’elles peuvent exiger aux parents de telle sorte que ce ne sont pas seulement des enfants issus de familles à hauts revenus qui fréquentent les établissements privés (Lauglo, 2010). Cette réalité s’oppose à celle du Québec. En effet, selon une étude menée par l’Université de Sherbrooke auprès de 10 000 familles d’écoles privées, près de 75 % des familles québécoises envoyant leurs enfants à l’école privée ont un revenu annuel de plus de 100 000 $ (Fortier, 2018).

DES RÉALITÉS QUI ÉVOLUENT RAPIDEMENT

En Norvège comme au Québec, les écoles privées sont au cœur de l’actualité. La ligne du temps suivante expose bien l’évolution de la mentalité norvégienne au cours du temps, progression qui se conclut par la parution de la Loi sur les écoles privées (Act on Private schools), visant à redonner de la flexibilité à celles-ci. Bien que la place des écoles privées demeure minime à ce jour, le nombre d’étudiants les fréquentant est en hausse depuis les dernières années (Statistics Norway, 2016).

enseigner en temps de pandémie
En réaction à la COVID-19, les gouvernements des trois régions ont su se positionner rapidement en termes d’éducation. Contrairement à plusieurs autres pays, le Québec a annoncé la fermeture de ses écoles bien avant que la province entre dans la phase d’accélération de l’épidémie (Meloche-Holubowski, 2020). Selon Alexandre Lanoix, professeur à l’Université de Montréal, faire preuve de flexibilité est à la base du succès d’un virage numérique pour les activités d’enseignement (Radio-Canada, 2020).

En 2003, par exemple, la proportion d’étudiants dans le système privé était de moins de 2 %, alors qu’elle frôlait déjà les 4 % en 2016 (Lauglo, 2010). Cette tendance a soulevé beaucoup de résistance au sein de la population norvégienne, ce qui pourrait potentiellement ralentir la croissance de la place du privé dans les prochaines années.

Le Québec observe plutôt une légère diminution. En effet, un peu moins de 12 % des étudiants fréquentaient des écoles privées en 2016, mais cette proportion s’élevait à 13 % trois ans plus tôt (Fortier, 2018). Le financement des écoles privées était sur toutes les lèvres lors de la campagne électorale de 2018 et nombreux sont les experts qui questionnent la pertinence d’accorder autant d’importance à ces établissements (Rad, 2018). Certains affirment que le privé empêche le système d’éducation de répondre à la hausse des inégalités au sein des étudiants, alors que d’autres affirment que de couper le financement des écoles privées contribuerait à accentuer le problème de décrochage scolaire (Rad, 2018).

Les réalités au Québec et en Norvège par rapport à l’école privée sont donc bien distinctes aujourd’hui, mais pourraient tendre à se rapprocher au courant des prochaines années. Chose certaine, la situation est en pleine évolution dans les deux régions.

UN CONCEPT DU TRAVAIL  EN PLEINE ÉVOLUTION

Depuis la mise en place de mesures de confinement visant à ralentir la propagation de la COVID-19, la transition déjà bien entamée du marché du travail s’est drastiquement accélérée. Du jour au lendemain, les entreprises ont été mises au défi de développer de nouvelles pratiques permettant aux employés de travailler à distance.

Nul besoin d’une boule de cristal pour prédire que la crise aura un impact phénoménal sur la façon de travailler, et ce, tant en matière d’intégration de nouvelles technologies que de comportements humains : méthodes de travail plus agiles, horaires plus flexibles, intégration du télétravail sur une base régulière. Les employés auront désormais de nouvelles attentes vis-à-vis leurs employeurs et ces derniers auront certainement découvert des moyens de maximiser l’implication et l’efficacité de leurs équipes (Deloitte, 2020).

Le potentiel d’entraîner le changement

À l’échelle mondiale, il y a consensus : le développement rapide de la technologie permet une accélération rapide des processus d’affaires dans l’ensemble des industries, mais modifie grandement la façon de travailler. Il importe alors de revisiter le rôle et la place de l’humain sur le marché du travail, mais aussi de remettre en question la place du travail dans la vie d’un humain (De Baene, 2019).

Le Québec, l’Islande et la Norvège ont tous trois le potentiel d’agir en tant que leader dans cette transition du marché du travail. En effet, ces trois juridictions se distinguent fortement des autres pays de l’OCDE pour certains indicateurs clés. La Norvège est avant-gardiste en ce qui concerne le contrôle des heures de travail : seulement 3 % des salariés travaillent plus de 50 heures par semaine, comparativement à 11 % en moyenne pour les pays de l’OCDE (OCDE, 2020a). En Islande, le nombre minimal de jours de vacances est particulièrement élevé : les employés ont droit à un minimum de 24 jours de congés payés, comparativement à 10 au Québec (Educaloi, 2012; Iceland National Portal, s.d.a).

Force est de constater que la situation en matière d’emploi était excellente dans les trois régions avant la crise de la COVID-19 en 2020. L’Islande, le Canada et la Norvège affichaient en 2018 un taux d’emploi substantiellement plus élevé que pour la moyenne des pays de l’OCDE [graphique 4.3]. C’est d’ailleurs l’Islande qui performait le mieux au sein de l’ensemble de ces pays, avec un impressionnant taux de 86 % (OCDE, 2020b). Cet avantage place les trois régions dans une position stratégique pour prendre des initiatives en ce qui concerne l’évolution de l’emploi.

graphique 4.3 Taux d’emploi à temps plein et à temps partiel selon le genre en 2018

Le Canada, l’Islande et la Norvège se démarquent encore plus quant à la place faite aux femmes sur le marché du travail. Le graphique 4.3 témoigne de cette réalité dans les trois pays où plus de 70 % des femmes sont sur le marché du travail, soit près de 10 % au-dessus de la moyenne de l’OCDE. L’Islande occupe à ce titre la première place mondiale. L’inégalité de genre dans la répartition du marché du travail subsiste cependant dans le pourcentage de femmes travaillant à temps partiel. Si environ 12 % des hommes travaillent moins de 30 heures par semaine, aussi bien en Norvège, en Islande et au Canada, plus du double des femmes travaillent à temps partiel en 2018 (OCDE, 2020c).

Une question d’équité

Dans l’optique d’atteindre un marché de l’emploi plus égalitaire, le Québec, l’Islande et la Norvège se démarquent déjà. L’Islande a en effet le troisième plus faible coefficient de Gini parmi les pays de l’OCDE et la Norvège, le sixième.  Les trois régions d’intérêt se distinguent en outre par de plus faibles inégalités [figure 4.6].

source: OCDE, 2019

figure 4.6 Comparaison des coefficients de Gini dans les quatre juridictions

Ces chiffres ne sont pas étrangers à de généreuses politiques publiques mises en place afin de faciliter la conciliation travail-famille pour tous, un élément central dans la réflexion sur la culture du travail actuelle. L’accès à des services de garde subventionnés et l’octroi de congés parentaux étendus sont des mesures phares qui stimulent la réintégration des femmes sur le marché de l’emploi après l’arrivée d’un enfant. Le congé parental constitue un outil de nivellement des inégalités de genre dans l’accès au marché de l’emploi. Le modèle instauré dans les trois pays allie congé de maternité, de paternité et parental [tableau 4.1].

tableau 4.1 Comparaison des régimes de congé parental de l’Islande, de la Norvège et du Québec

source: Altinn, 2020; Alþingi, 2020; Gouvernement du Québec, 2017; Iceland National Portal, s.d.

Au Québec, 80 % des pères utilisent l’ensemble de leur congé de paternité, mais seulement 25 % utilisent une partie de leur congé parental (Conseil du statut de la femme du Québec, 2020). En Norvège et en Islande, l’instauration de daddy quotas a fait bondir la place des hommes dans les congés parentaux. En 1992, en Norvège, seuls 2,4 % des pères profitaient de leur congé; en 1997, quatre ans après la passation d’une nouvelle loi instaurant un quota, plus de 70 % des pères l’utilisaient (Organisation internationale du Travail, 2005). Ces mesures permettent de limiter l’impact des congés parentaux traditionnellement accordés aux femmes sur la carrière de ces dernières et font aujourd’hui partie intégrante de la culture parentale des deux pays.

les daddy quotas
Le quota paternel rend obligatoire l’utilisation du nombre de semaines de congé prescrites aux nouveaux pères, faute de quoi les jours de congé non utilisés sont soustraits du congé parental commun à partager entre les parents. Les premiers Daddy quotas de 4 semaines instaurés en 1993 en Norvège et en 2001 en Islande atteignent aujourd’hui respectivement 14 semaines et 5 mois. Ces systèmes de quotas visent un partage plus équitable des congés parentaux entre conjoints, permettant ainsi aux femmes de retourner au travail plus facilement (Statistics Norway, 2018; Iceland National Portal, s.d.b ).

En alliant des taux d’emploi parmi les plus élevés au monde dans les dernières années à la mise en place de politiques sociales favorisant la conciliation travail-famille et une meilleure égalité des chances, le Québec, la Norvège et l’Islande sont à l’avant-plan d’un marché du travail en pleine transition qui place plus que jamais le travailleur au cœur de ses priorités.

DES ENJEUX DE DURABILITÉ AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE

Les objectifs sont ambitieux : un pays carboneutre d’ici 2030 en Norvège, en 2040 en Islande et en 2050 au Canada. Dans le domaine environnemental et face à l’urgence climatique, les cibles nationales se multiplient.

L’Accord de Paris, ratifié par les trois pays lors de la COP21, en 2015, vise à limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C par rapport aux moyennes de l’époque préindustrielle (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 2020). Il se traduit par des cibles nationales de diminution des émissions de GES par rapport aux niveaux de 1990, et par un engagement des signataires à réviser leurs cibles tous les cinq ans. En prévision de la COP26 prévue à Glasgow en 2020, mais repoussée à 2021 en raison de la pandémie de la COVID-19, la Norvège a présenté ses nouveaux engagements visant une diminution de 55 % de ses émissions de GES afin de pouvoir atteindre réellement les cibles climatiques [figure 4.7] (Ministry of Climate and Environment of Norway, 2020).

 Ces objectifs sont d’autant plus importants lorsque les principaux secteurs économiques des trois pays sont considérés dans l’équation : le tourisme en Islande et l’industrie pétrolière en Norvège et au Canada. Les trois ont comme dénominateur commun la présence d’un secteur d’activité à la fois central de leur économie et à risque face aux crises ainsi qu’aux grandes transitions vers une économie mondiale décarbonée.

Le tourisme islandais et ses défis de durabilité

Depuis la crise économique de 2008, le tourisme occupe une place de plus en plus centrale dans l’économie islandaise. La part de son PIB reliée au tourisme a presque triplé entre 2009 et 2017, occupant 9 % de son PIB global en 2017 et devenant un pilier de son économie (Statistics Iceland, 2018). Avec plus de 1,8 million de touristes venus visiter le pays en 2016, la croissance intense du secteur touristique au cours des dernières années porte le pays à son point de saturation, tant au niveau des infrastructures que des services et de l’environnement (OCDE Islande, 2017). Cette activité touristique intensive couplée à la fragilité de la nature face aux changements climatiques permet de douter de la durabilité de ce secteur.

Mannvit
Lors d’un entretien virtuel avec Mannvit, la plus grande firme de génie-conseil d’Islande, l’équipe a pu saisir toute l’importance du secteur touristique dans l’économie islandaise. L’entreprise est en effet responsable de l’actuel projet d’agrandissement de 25 000 m2 de l’aéroport de Keflavik, doté d’un budget de plus de 250 M$ (Mannvit, 2020). La chute abrupte du tourisme pendant la pandémie de la COVID-19 entraîne une réelle incertitude économique en Islande.

Dans le contexte actuel de la pandémie, c’est tout un pan de l’économie islandaise qui s’est effondré en l’espace de quelques semaines. Le graphique 4.4 parle de lui-même : alors que l’Islande a fermé ses frontières aux voyageurs internationaux uniquement à partir du 20 mars 2020, l’activité internationale de l’aéroport de Reykjavík entre les mois de mars 2019 et 2020 a chuté de plus 50 % (Ferðamálastofa, 2020a ; Ferðamálastofa, 2020b). La reprise du tourisme international est une occasion unique de relancer entièrement un secteur économique phare du pays, et ce, en faisant les choses autrement.

graphique 4.4 Nombre de départs internationaux à partir de l’aéroport de Reykjavík en mars

En 2019, la création d’une initiative regroupant notamment le ministère du Tourisme (Ministry of Tourism) et le ministère des Industries et de l’Innovation (Ministry of Industries and Innovation) pour travailler à la question d’un tourisme plus durable a permis la mise en place d’un fonds d’investissement dans la préservation de sites touristiques et naturels islandais (Government of Iceland, 2020). Directement axé sur la mitigation des émissions dans le secteur du tourisme, ce type d’initiative pourra servir de levier à une remise sur pied durable du tourisme islandais.

Une industrie pétrolière en voie de transition

L’industrie pétrolière représentait, en 2018, 19 % du PIB norvégien et 11 % de celui du Canada (Statistics Norway, 2019a; Ressources naturelles Canada, 2017). Au Canada comme en Norvège, le secteur représentait également environ le quart des émissions de GES du pays. Si ces chiffres se ressemblent de façon relative, en absolu la différence entre les deux pays est marquante [graphique 4.5].

les effets rebonds climatiques
Bien qu’une baisse des émissions de GES soit normalement observée lors de crises mondiales, celles-ci se traduisent souvent par d’importants effets rebonds. Lors de la crise économique de 2008, les émissions mondiales de GES ont augmenté de seulement 1,7 % comparativement à 4 % en moyenne entre 2002 et 2007 (Netherlands Environmental Assessment Agency, 2009). Dans la foulée de la reprise économique, en 2010, l’augmentation mondiale de GES a bondi à 5,8 %, un phénomène qui n’est pas étranger à des investissements massifs en infrastructures et dans les énergies fossiles (Jotzo et al., 2012).

Les émissions du secteur pétrolier canadien représentent à elles seules près de deux fois les émissions totales de la Norvège. Alors que les émissions provenant de la production pétrolière ont bondi de 84 % au Canada et de 74 % en Norvège depuis 1990, les émissions totales ont augmenté de 19 % au Canada et de seulement 1 % en Norvège (Environnement et Changement climatique Canada, 2019; Statistics Norway, 2019b).

graphique 4.5 Émissions de GES totales et du secteur pétrolier, de 1990 à 2018

La réalité norvégienne s’explique par des mesures importantes mises en place auprès de l’industrie, mais aussi des consommateurs. Ces mesures s’appuient notamment sur la taxe carbone utilisée, depuis 1991, comme outil environnemental. La Norvège est d’ailleurs l’un des premiers pays au monde à avoir instauré une telle taxe. Du côté des consommateurs, une panoplie de mesures incitatives pour l’achat de véhicules électriques couplée à une forte taxation sur l’essence et l’achat de véhicules à carburants traditionnels ont permis à la Norvège d’entamer une transition maintenant considérée comme irréversible (Desrosiers, 2019).

Au Québec et au Canada, la mise en place d’incitatifs financiers à travers des subventions à l’achat de véhicules électriques est déjà entamée. L’écart avec la Norvège se creuse plutôt en matière de taxation et de mesures dissuasives; des outils économiques toujours absents du budget 2020-2021 du gouvernement du Québec (Pineau et Whitmore, 2020). Un décalage persiste entre les sources d’émissions principales et les angles d’attaque des gouvernements canadiens et québécois. Établir des cibles environnementales ambitieuses est louable, mais celles-ci se doivent d’être établies en parallèle à la mise en place de mesures économiques concrètes touchant les principales sources d’émissions.

Si la relance économique à la suite de la pandémie de la COVID-19 s’annonce pour l’instant axée sur le domaine classique des infrastructures, elle offrira l’occasion aux gouvernements de réévaluer leurs mesures et leurs incitatifs économiques afin d’être plus résilients face aux prochaines crises, qu’elles soient pandémiques ou climatiques.

SYNTHÈSE

La présence d’un filet de sécurité sociale bien tissé caractérise le Québec, l’Islande et la Norvège. Depuis sa Révolution tranquille des années 1960, le Québec s’est doté de politiques publiques généreuses, aussi bien en matière de santé que d’éducation et d’emploi. Leurs bienfaits comme leurs inconvénients ne vont pas sans rappeler le modèle nordique de l’Islande et de la Norvège. Les systèmes de santé universels des trois nations affichent une tendance à la centralisation qui est aujourd’hui remise en question. Malgré les classements élevés des trois pays dans les tests internationaux PISA, leurs systèmes d’éducation diffèrent. Si l’éducation publique est la norme en Norvège et en Islande, la place plus importante de l’enseignement privé fait débat au Québec.

Placés face à une crise sanitaire mondiale, les gouvernements du Québec, de l’Islande et de la Norvège peuvent aujourd’hui s’appuyer sur leurs acquis ancrés dans la social-démocratie. L’accès universel aux services publics utilisé comme outil permettant de diminuer les inégalités est plus que jamais au cœur de la lutte que ces trois nations mènent au coronavirus.

Le Québec, l’Islande et la Norvège : trois chefs de file mondiaux en matière de dépenses publiques et de programmes sociaux, mais aussi de perception de la qualité de vie.
Les systèmes de santé centralisés et l’importante lourdeur administrative qui en découle caractérisent les trois pays.
La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière l’importance de politiques et de services publics forts permettant de niveler les inégalités en temps de crise.