géopolitique & commerce international

dossier 02

Jean-François Derome
Clémence Fandoux
Christophe Tanguay

Pour les pays nordiques comme le Canada, l’Islande et la Norvège, les changements climatiques qui se font particulièrement ressentir dans la région arctique entraînent de nouveaux défis géopolitiques et commerciaux. La crise climatique a donc mené plusieurs pays à jeter un nouveau regard sur cette région, remplie d’opportunités. 
Dans un monde où certaines puissances tentent d’affirmer leur influence, la gestion de l’Arctique et des routes commerciales essentielles au transport des marchandises fait partie des défis actuels auxquels les pays à l’étude doivent faire face. Que ce soit par des accords commerciaux ou par des modèles économiques enviables, l’Islande et la Norvège ont su se tailler une place de choix au sein de l’Europe et se sont hissées au rang de modèles mondiaux en termes de gestion de leurs ressources et de leur économie.

LA ROUTE DE L'ARCTIQUE PASSE PAR REYKJAVÍK

Située à 40 km au sud du cercle arctique, l’Islande est à mi-chemin entre deux nouvelles routes transarctiques ouvertes au commerce international. Elle représente à ce titre une porte d’entrée majeure pour les puissances économiques mondiales.

Les échanges entre les pays nordiques membres ou observateurs du Conseil de l’Arctique s’avèrent parfois houleux étant donné les nouvelles routes maritimes transarctiques qui se dessinent par la fonte des glaces. L’emplacement stratégique des pays membres du Conseil de l’Arctique, en particulier l’Islande, explique en partie les relations internationales dans cette zone.

La figure 2.1 retrace les deux artères commerciales transarctiques dont le principal atout est de permettre d’éviter de longs détours par les canaux de Suez et de Panama. Ainsi, les intérêts et les points communs qu’ont le Canada et les pays membres du Conseil de l’Arctique permettent d’analyser les opportunités économiques et les liens internationaux existants et envisageables entre eux.  L’un des partenariats marquants est la signature, en 2013, du premier accord de libre-échange entre la Chine et un pays européen : l’Islande.

source: Courrier international, 2020

figure 2.1 Routes commerciales maritimes transarctiques

LA dynamique des relations internationales autour de l’Arctique

Ces nouvelles voies maritimes représentent un véritable gain de temps et une importante économie de carburant pour tout navire l’empruntant. C’est un raccourci stratégique de 4 500 km qui relie l’Asie à l’Europe, soit en longeant au plus près le continent américain soit le long des côtes russes (Courrier international, 2018). Aussi, l’accès à l’Arctique est un enjeu fondamental dans les relations internationales futures (Gouvernement du Canada, 2017).

L’intérêt chinois

La Chine a démontré à maintes reprises sa capacité à emprunter la route du Nord. Son ambition de faire partie des investisseurs et des actionnaires des ressources de l’Arctique se traduit notamment par la publication du plan pour la route nordique intitulé « La nouvelle route de la soie », aussi connu sous le nom de Belt and Road Initiative.

Pour mener à bien son projet, le gouvernement chinois a signé des ententes avec 125 pays dans le but de construire des infrastructures, telles que des ports, des autoroutes, des aéroports et des chemins de fer, mais également des pipelines, des centrales hydroélectriques ou encore des réseaux de fibre optique (Samson, 2019).

La Chine met donc clairement de l’avant sa volonté d’atteindre le statut de première puissance mondiale d’ici 2049 et désire, en plus d’accéder à de nouveaux marchés pour exporter ses biens manufacturés et d’importer plus facilement des ressources, accroître ses sphères d’influence.

le Xuelong
Le premier brise-glace chinois nommé le Xuelong, qui signifie « Dragon des neiges » est connu pour son arrivée inattendue dans le petit village côtier canadien de Tuktoyaktuk, le 9 septembre 1999. Ayant reçu l’aide des services météorologiques canadiens, il pensait pourtant y être attendu. Selon certains analystes, « cet épisode démontrait la vulnérabilité du Nord canadien à l’infiltration d’entités étrangères exposant du même coup l’incapacité du Canada de garantir sa souveraineté nationale et sa sécurité dans l’Arctique » (Pelletier & Lasserre, 2014).

Cette ambition n’est pas nouvelle; elle avait déjà été ressentie à l’occasion de la première expédition chinoise dans l’océan Arctique le 1er juillet 1999 à bord de son premier brise-glace. En octobre 2019, le Xuelong s’apprêtait à entamer sa 36e expédition (Xinhua News, 2019). La signature de l’accord de libre-échange entre la Chine et l’Islande, en 2013, est d’ailleurs l’un des marqueurs fondamentaux de la volonté chinoise de se rapprocher de l’Arctique.

L’intérêt russe

Le président russe Vladimir Poutine a aussi démontré, depuis 2018, son intérêt pour l’Arctique. Alors qu’il participait au Forum international Arctique aux côtés d’homologues finlandais, islandais, norvégien et suédois, il avait annoncé son objectif 2025 : quadrupler le volume du trafic de fret transitant par la voie maritime du Nord pour atteindre 80 millions de tonnes par an (Levresse, 2019). Des centaines de projets étaient alors déjà lancés, dont le site de production de gaz naturel liquéfié Yamal LNG (Total, 2020). Le président russe a également démontré son intérêt pour l’Arctique en signant récemment, en mars 2020, un décret présentant les fondements de la politique de la fédération de Russie dans l’Arctique jusqu’en 2035 (Halonen et al., 2019). Ce décret couvre de nombreux domaines, comme l’amélioration des conditions de vie des habitants, le développement de la région, l’adaptation aux changements climatiques et le développement du tourisme.

Il est évident que la Russie compte bien profiter de sa position géographique stratégique. Partageant la mer de Barents, l’Islande, la Norvège et la Russie ont déjà conclu des accords sur les droits de pêche en 1999. Il ne sera donc pas nouveau pour ces trois gouvernements de travailler ensemble et de s’entendre sur la gestion de l’Arctique aux côtés des autres pays.

L’intérêt canadien

Le Canada souhaite lui aussi exercer sa souveraineté sur le Nord canadien notamment à travers sa politique étrangère. Il exprime en outre sa volonté de faire partie des décisions quant à la gestion des routes maritimes transarctiques (Affaires mondiales Canada, 2017). En effet, l’importance géopolitique de la région et ses implications pour le Canada sont des facteurs déterminants pour l’exploitation des ressources et le développement économique du Nord. Le Canada offre aussi sa contribution au Conseil de l’Arctique en maintenant une coopération circumpolaire avec tous les États voisins et les communautés autochtones du Nord.

De plus, le gouvernement canadien contribue à l’expertise politique et scientifique en participant à des groupes de travail composés d’experts internationaux, comme le groupe Protection de l’environnement marin de l’Arctique, par exemple, qui a pour mandat de prendre toutes les mesures politiques et de prévention pour lutter contre la pollution du milieu marin arctique par les activités menées sur terre et en mer (Gouvernement du Canada, 2017).

Conseil de l’Arctique

Outre le développement des voies maritimes et l’exploitation des ressources naturelles, les acteurs de la croissance de l’Arctique doivent tenir compte des défis sociaux, économiques et environnementaux. Ainsi, le Conseil de l’Arctique existe depuis 1996 afin d’encadrer au mieux les politiques et les décisions internationales quant à la gestion de la région nordique [tableau 2.1].

tableau 2.1 Pays membres, pays et organisations observateurs et participants autochtones permanents au Conseil de l’Arctique

De plus, le gouvernement canadien contribue à l’expertise politique et scientifique en participant à des groupes de travail composés d’experts internationaux, comme le groupe Protection de l’environnement marin de l’Arctique, par exemple, qui a pour mandat de prendre toutes les mesures politiques et de prévention pour lutter contre la pollution du milieu marin arctique par les activités menées sur terre et en mer (Gouvernement du Canada, 2017).

l’importance des populations autochtones dans l’Arctique
Réparties du nord-est de la Sibérie au Groenland en passant par l’Alaska et le Canada, les populations autochtones sont considérées comme faisant partie intégrante de l’Arctique. Fréquemment consultées au Conseil de l’Arctique et représentées par le Conseil circumpolaire inuit, elles sont parties prenantes des décisions prises afin d’améliorer les relations gouvernementales et sociétales, de consolider les initiatives artistiques et culturelles et de développer la coopération internationale dans la protection de l’environnement (Freeman, 2007).

Aussi, de nombreux travaux ont été menés à terme et ont donné naissance à des documents de référence, dont le recueil des règles obligatoires pour les navires exploités dans les eaux polaires, plus communément appelé le « Code polaire » (Organisation maritime internationale, 2020). Ce dernier a pour but de « renforcer la sécurité de l’exploitation des navires et d’atténuer son impact sur les gens et l’environnement dans les eaux polaires éloignées, vulnérables et qui peuvent être inhospitalières » (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 2017).

L’Arctique est un territoire qui était jusqu’à présent inexploité et inaccessible. Toutefois, depuis la fonte des glaces, la région du Nord prend progressivement sa place sur la scène internationale et attire l’intérêt des puissances économiques. De nouvelles artères commerciales se dessinent et les pays nordiques deviennent des territoires convoités. C’est notamment le cas de l’Islande, de la Norvège et du Canada qui, d’une part, prennent en considération ces nouveaux aspects dans leur politique internationale et, d’autre part, participent aux groupes de décisions sur la gestion de cette région afin de protéger au mieux son environnement et les communautés autochtones qui y vivent. Le Conseil de l’Arctique prend aussi en considération la présence des communautés autochtones. Celles-ci font partie intégrante des plénières et sont reconnues comme des participants autochtones permanents au Conseil.

Terra nullius

L’Arctique est un vaste territoire de plus de 21 millions de km2 situé au nord de notre planète. Royaume des journées sans fin et des nuits éternelles, des aurores boréales et des ours blancs, cette étendue de neige, d’eau et de glace a profondément marqué la culture populaire des pays nordiques par son caractère inhospitalier et son climat hostile.

Le Canada, l’Islande, la Norvège, la Russie, les États-Unis (Alaska), la Suède, la Finlande et le Danemark (Groenland) ont tous une présence dans la région de l’Arctique [figure 2.2]. Ils sont par conséquent conjointement responsables d’en gérer les ressources, la souveraineté et la défense.

Ces pays font actuellement face à un défi commun : les changements climatiques qui entraînent, dans cette région, un réchauffement deux fois plus rapide que celui enregistré sur le reste du globe (AMAP, 2017). Ces bouleversements environnementaux sont également à la source de l’émergence d’une multitude de défis en lien avec la gestion des ressources naturelles présentes dans la région, telles que les hydrocarbures et le charbon, mais également des minerais.

Étant donnée la proximité de certaines puissances mondiales, dont les relations sont plus tendues, l’ouverture saisonnière de l’Arctique entraîne de nouveaux défis en matière de souveraineté et de défense (Shea, 2019).

source: Roston, 2020

figure 2.2 Répartition des ressources naturelles en Arctique

Souverainetés contestées dans l’Arctique

Laissé à lui-même loin de tous les regards depuis la fin de la Guerre froide, le Grand Nord devient progressivement une zone potentiellement conflictuelle. Par exemple, les relations nouvellement tendues entre les États-Unis et la Russie depuis l’annexion de la Crimée, en 2014, ont grandement contribué au développement des infrastructures militaires et énergétiques dans l’Arctique (Lanteigne, 2019)

deux fois plus vite
L’albédo est la proportion d’énergie solaire qui est réfléchie par une surface. Plus une surface est sombre, plus elle absorbe l’énergie et inversement, plus une surface est blanche, plus elle réfléchit le rayonnement solaire (Bergman et al., 2017). Ce phénomène explique le rythme accéléré de la fonte de l’Arctique. Le retrait des glaces augmente la surface non gelée de l’océan Arctique et l’énergie absorbée par ce dernier est beaucoup plus grande que celle absorbée par la glace, ce qui accélère la fonte de la banquise (CNRS, 2015).

Les conséquences des sanctions économiques imposées à la Russie par l’Occident se sont rapidement fait sentir, forçant ainsi le pays à se tourner vers de nouvelles avenues pour stimuler son économie (Doyle & Scrutton, 2015). Pour ce faire, les Russes ont entamé dans la région polaire la réfection de nombreuses bases militaires datant de la Guerre froide, la construction de nouvelles bases côtières et ils ont mis en place un système de défense aérienne.

De plus, afin d’assurer le contrôle du trafic dans le passage du Nord-Est et d’affirmer la présence russe dans l’Arctique, la flotte du Nord – la plus puissante de la marine russe – a été créée en 2014 (Department of Defense Arctic Strategy, 2019).

Cette volonté d’imposer leur présence dans le Grand Nord a mené les Russes à poser des actions militaires audacieuses à proximité des limites territoriales des autres pays nordiques. Par exemple, des chasseurs et des bombardiers russes tentent régulièrement des incursions dans les espaces aériens du Canada, de la Norvège et des États-Unis. Plusieurs tentatives ont d’ailleurs été déjouées à la frontière norvégienne en une seule journée (OTAN, 2020).

Cette témérité dont la Russie fait preuve depuis quelques années a forcé la main à plusieurs pays pour rouvrir certaines infrastructures délaissées, comme la base militaire islandaise de Keflavík, et augmenter les budgets alloués à la défense nationale (Enge & Finn, 2016).

La Norvège a d’ailleurs augmenté de 7 % ses dépenses militaires en 2018 afin de se moderniser (Lagneau, 2019). L’exercice militaire Cold Response qui devait avoir lieu dans l’Arctique norvégien a cependant été annulé en raison de la pandémie de la COVID-19 (Brzozowski,2020).

Pour sa part, le Canada effectue régulièrement, de pair avec le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), des simulations de défense aérienne, comme le Northern Edge (NORAD, 2019), par exemple. Le commandant du NORAD a d’ailleurs sommé le Canada de moderniser son système d’alerte vieillissant qui se trouve actuellement dans l’Arctique (Berthiaume, 2020).

L’utilisation de la force militaire n’est pas le seul moyen d’affirmer sa souveraineté dans le Grand Nord. En effet, plusieurs nations, telles que le Canada, le Danemark et la Russie tentent actuellement de faire reconnaître auprès de la Commission des limites du plateau continental, à l’ONU, que le pôle Nord fait partie de leur territoire (Lanteigne, 2019).

Un autre débat similaire se déroule au Canada. La voie maritime du passage du Nord-Ouest qui se dégage progressivement des glaces est revendiquée par le Canada comme eaux territoriales, mais les États-Unis s’y opposent fortement, puisque ce passage a une importance stratégique et économique majeure (Department of Defence, 2019). Le gouvernement canadien est toutefois déterminé à établir sa souveraineté dans l’Arctique canadien. Il a ordonné, à cet égard, la construction de six nouveaux brise-glaces afin d’agrandir sa flotte et de remplacer les navires vieillissants (Services publics et approvisionnement Canada, 2019).

Perspectives économiques

L’Arctique est un territoire qui regorge de ressources naturelles attirantes pour les pays limitrophes et les multinationales. En effet, comme l’illustre la figure 2.2, il s’y retrouve une grande quantité de minerais, d’hydrocarbures, d’espèces animales aquatiques et de ressources forestières.

Il est d’ailleurs estimé que 22 % des réserves mondiales exploitables de pétrole et de gaz naturel se retrouvent dans la région du Grand Nord (US Geological Survey, 2008). Le développement de grands projets d’exploitation des matières est donc une réalité qui se concrétise de plus en plus et qui est déjà commencée.

Que ce soit une mine d’or dans le Grand Nord canadien, une plateforme pétrolière dans l’Arctique norvégien ou bien un site de forage en Sibérie, les pays du cercle arctique exploitent les ressources de leur territoire, et ce, malgré les nombreux obstacles naturels et techniques. En effet, la rigueur du climat de la région complique l’extraction des ressources et la fonte du pergélisol causée par le réchauffement climatique représente un défi de taille pour la construction d’infrastructures (Bourne, 2016).

De plus, la rareté des ports en eau profonde en Arctique ne facilite pas l’exploitation des ressources pétrolières, dont 84 % se retrouvent au large des côtes (US Geological Survey, 2008). Réaliser des profits dans l’Arctique n’est également pas une mince tâche. Le développement d’infrastructures nordiques est en effet très coûteux, puisque les ressources sont difficilement accessibles. De plus, le prix historiquement bas du baril de pétrole nuit grandement à la réalisation de profits, ainsi qu’à l’investissement de capital étranger pour de nouveaux projets (Bourne, 2016).

Le pétrole et le gaz naturel ne sont pas les seules ressources naturelles actuellement exploitées dans le cercle arctique. La Norvège exploite notamment des mines de charbon dans l’archipel du Svalbard depuis maintenant 100 ans. Cet archipel, sous souveraineté norvégienne, détient toutefois un statut sui generis en raison du Traité du Svalbard de 1920. En effet, l’article 3 de ce traité stipule que les pays signataires jouissent tous des mêmes droits d’exploitation autant sur terre que dans les eaux territoriales (Gouvernement de la République française, 1920).

Des mines de charbon ont donc été ouvertes à la suite de la signature de ce traité. Faute de rentabilité, la vaste majorité a cessé ses activités. Cependant, la mine russe de Barentsburg demeure ouverte et continue d’opérer, même si elle n’est pas profitable, car la Russie considère le Svalbard comme étant un endroit stratégique où avoir mainmise (Bykova, 2019).

Le passage du Nord-Ouest qui demeure au cœur de tensions diplomatiques et de débats internationaux sur les revendications de souveraineté du Canada se libère tranquillement des glaces. Ce passage représente un potentiel économique de taille pour le Canada et pour plusieurs transporteurs de marchandises sur la planète. Uniquement navigable durant le court été arctique, il permet de réduire de plus de 7000 km la distance normalement parcourue par les paquebots en provenance de l’Asie vers l’Europe.

Naviguer dans ce passage n’est cependant pas une mince tâche. En effet, moins d’une quarantaine de navires, dont les brise-glaces de la Garde côtière canadienne, ont osé s’y aventurer entre 2017 et 2018 (Powell, 2018). L’ouverture du passage du Nord-Ouest à des fins commerciales ne se réalisera donc pas avant plusieurs années, mais les pays du cercle arctique placent stratégiquement leurs pions en vue de concrétiser leur influence.

S’épanouir en périphérie de l’Union européenne

Depuis sa création en 1993, l’Union européenne (UE) a rapidement pris de l’ampleur pour devenir l’une des plus grandes puissances commerciales mondiales, accaparant à elle seule 15,6 % du volume total des importations et des exportations en 2016 (UE, 2020).

L’association européenne de libre-échange

Les 27 pays membres de l’Union européenne tirent profit de plusieurs accords internationaux, ainsi que des « quatre libertés », un vaste marché interne où biens, capitaux, services et personnes circulent librement. Malgré le succès de l’UE, ce ne sont pas tous les pays européens qui y adhèrent. L’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse ont plutôt choisi de demeurer membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE).

Créée en 1960, l’AELE voit ses membres passer de 8 à 4 entre 1970 et 1995, plusieurs d’entre eux préférant adhérer à la Communauté économique européenne qui sera plus tard absorbée par l’UE (AELE, 2020). L’Espace économique européen (EEE) est toutefois créé en 1994 dans le but de faciliter les échanges entre les pays membres de l’UE et de l’AELE.

Parmi les quatre membres de l’AELE, seule la Suisse ne fait pas partie de l’EEE, préférant avoir des accords bilatéraux avec les différents pays d’Europe (Parlement européen, 2019). La figure 2.3 dresse un portrait des accords entre les différents pays de l’Europe.

source: Clauzel, 2019

figure 2.3 Les accords de l’Europe

En marge d’une Europe majoritairement unie sous un même drapeau, l’Islande et la Norvège doivent relever les défis de se démarquer à l’international et de retirer un maximum d’avantages de leur accord avec l’UE, défis qu’ils ont su surmonter.

Abolir les frontières
Créé en 1995, l’espace Schengen supprime le contrôle des passeports à l’intérieur de sa zone. Les citoyens européens peuvent donc y vivre, y travailler, y voyager ou y étudier librement. Une fois acceptés dans un des pays membres, les touristes peuvent également voyager sans contrôle de passeport. Cet espace comprend actuellement 26 pays, soit 22 pays membres de l’Union européenne en plus des quatre pays membres de  l’AELE (Parlement européen, 2019).

TIRER SON ÉPINGLE DU JEU

Faire partie d’une association ou d’une union économique est d’une part bénéfique pour la quantité croissante de biens qui peuvent transiter librement, mais d’autre part limitant quant à la souveraineté des différents pays. Avec sa politique commune de la pêche, par exemple, l’UE impose des réglementations, comme des limites de capture (quotas), l’octroi de permis de pêche ou encore l’instauration de zones ou de périodes de fermeture (Commission européenne, 2020).

La situation particulière de l’Islande et de la Norvège en tant que membres de l’EEE-AELE leur permet d’avoir un pied dans l’UE et un pied à l’extérieur. Ces deux pays ont ainsi accès aux « quatre libertés », en plus d’avoir une coopération avec l’UE dans des secteurs importants, comme la recherche et le développement, l’éducation, la politique sociale et l’environnement (Ministère des Affaires étrangères de Norvège, 2015).

Ils sont toutefois exemptés, entre autres, des politiques communes touchant l’agriculture et la pêche. Il s’agit d’un point très important qui leur accorde un avantage significatif, puisque cela leur permet d’effectuer leurs activités agricoles et de pêcheries sans devoir se soumettre aux quotas, réglementations et frais d’importations auxquels sont contraints les pays avoisinants (Ministère des Affaires étrangères de Norvège, 2015).

Par exemple, la Norvège a exporté en 2016 pour 15 G$ de produits issus des pêcheries et de l’aquaculture, s’appropriant à elle seule 7,6 % des exportations mondiales dans ce secteur (FAO, 2018). Elle profite donc d’une marge de manœuvre réglementaire qui lui permet d’être compétitive sur ce marché, comparativement aux pays de l’UE.  

La contribution financière des pays membres de l’EEE-AELE au budget total de l’UE, soit 683 M$ en moyenne par année pour la période 2014-2020, ne représente qu’une infime partie du budget total de l’UE qui s’élevait, en 2018, à 246 G$ (Union européenne, 2018; AELE, 2020b).

De manière simplifiée, en échange d’un financement d’environ 0,3 % au budget total de l’UE, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein se prévalent d’avantages similaires aux pays membres. À titre comparatif, la Suède, qui a une population et un PIB similaires à la Norvège, contribue à elle seule à 6 G$ au budget de l’UE, soit 2,4 % du total de 2018 (Commission européenne, 2018). Il faut noter qu’en raison de sa population et du poids de son économie, la Norvège contribue à la hauteur de 97 % au financement total de l’EEE-AELE (Ministère des Affaires étrangères de Norvège, 2015).

La raison pour laquelle la Norvège et l’Islande ont accès à un accord aussi avantageux est en fait que l’EEE a été initialement créé en 1994 pour être une transition entre les pays membres de l’AELE et de l’UE (Haugan, 2019). L’accord devait donc donner un avant-goût des bénéfices futurs de l’adhésion à l’Union. Cette transition n’a jamais eu lieu et aujourd’hui, certains constatent que l’EEE lie la Norvège, l’Islande et le Lischientenin à l’UE comme aucun autre pays ne peut l’être.

Certains sont d’avis que l’appartenance à l’EEE a des effets indésirables sur les politiques norvégiennes et islandaises. Selon Lise Rye, professeure d’histoire contemporaine à la Norwegian University of Sciences and Technology, une grande partie de la législation actuelle en Norvège provient de l’UE. Le parlement norvégien est ainsi devenu moins important qu’il ne l’était avant l’EEE (Haugan, 2019).

Les avenues pour le Brexit

La Grande-Bretagne souhaite se prévaloir de plusieurs avantages que l’Islande et la Norvège ont déjà négociés avec l’UE, en particulier sur les accords mutuels de pêcheries et de collaboration sur les questions de sécurité (Prime Minister’s Office, 2020).

Année après année, la Grande-Bretagne est un important contributeur net au budget total de l’UE. En 2015, elle a versé 33 G$ à l’UE, soit 13 % de son budget total, en échange d’investissements de 11 G$, enregistrant ainsi une perte nette de 21,49 G$ (Commission européenne, 2020b). Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles elle entame, en 2016, un long processus de séparation afin de quitter définitivement l’UE.

Depuis le 31 janvier 2020, la Grande-Bretagne entre dans une période de transition qui prendra fin le 31 décembre 2020, période durant laquelle elle sera membre à part entière à la fois de l’UE et de l’EEE (Wright & Etherington, 2020; AELE, 2020b). Dès 2021, elle ne fera officiellement plus partie ni de l’UE ni de l’EEE.

Bien que les futures relations entre l’UE et la Grande-Bretagne soient toujours à définir et à négocier, le gouvernement britannique souhaite fortement instaurer un accord de libre-échange global avec l’UE. Cet accord devrait être conforme aux accords de libre-échange déjà conclus par l’UE avec le Canada et qui suppriment presque tous les tarifs à l’importation et à l’exportation (Bureau du premier ministre, 2020; Commission européenne, 2019).

Le désir de la Grande-Bretagne d’avoir des accords similaires à ceux que le Canada, l’Islande et la Norvège ont avec l’UE démontre que ces pays ont réussi à se démarquer et sont devenus des modèles à suivre pour les pays qui ne sont pas membre de l’UE, mais qui désirent néanmoins échanger avec celle-ci (Gouvernement du Canada, 2019).

La Grande-Bretagne a fait savoir qu’elle ne compte pas rejoindre l’AELE, mais des négociations sont en cours afin de conclure des accords avec l’association ou avec ses pays membres. L’Islande et la Norvège, membres de l’AELE, sont libres de signer des accords entre leur propre pays et un pays tiers (AELE, 2020).

tableau 2.2 - Provenance et destination des importations et des exportation de différents pays, en pourcentage de leur volume total

Le Canada et le libre-échange européen

Le premier juillet 2009, le Canada et les pays membres de l’AELE ont annoncé l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange Canada-AELE. Ce premier accord de libre-échange entre le Canada et des pays européens vise à éliminer les droits de douane sur toutes les exportations canadiennes de marchandises non agricoles. Les tarifs de certaines marchandises agricoles sont aussi éliminés ou réduits, notamment le blé dur, les frites surgelées, la bière et l’huile de canola brute (Gouvernement du Canada, 2009).

Cet accord est un premier pas vers un accord encore plus important pour le Canada, soit l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne. Entré en vigueur en 2017, l’AECG touche pratiquement à tous les secteurs d’activité de l’UE et du Canada et a pour objectif d’éliminer ou de réduire les obstacles au commerce (Gouvernement du Canada, 2017).

Ces obstacles sont principalement les taxes prélevées aux frontières qui faisaient augmenter le coût des produits importés. Avec l’AECG, le Canada rejoint en quelque sorte l’Islande et la Norvège en matière de commerce international, puisque ces pays détiennent avec l’UE les accords parmi les plus avantageux de tout le globe (Ballard, 2018).

Au fil des ans, les pays du Vieux Continent ont créé plusieurs accords et unions afin que tous puissent prospérer économiquement. L’Union européenne a grandement contribué à la croissance économique de l’Europe en tant qu’ensemble, mais aussi des pays individuellement.

L’Islande et la Norvège ont néanmoins réussi à se démarquer et à tirer leur épingle du jeu dans ce grand échiquier d’accords et d’alliances stratégiques. Ils ont même inspiré la Grande-Bretagne, alors que celle-ci est en pleine transition pour quitter l’UE et cherche la solution la plus avantageuse pour ses futures relations commerciales avec l’Union européenne. Il est impossible de prévoir les retombées de cette séparation, mais une certitude existe : il est tout à fait possible de prospérer économiquement en marge de l’Union européenne. L’Islande et la Norvège en sont des exemples.

un fonds souverain  Source d’investissementS à l’étranger

Depuis 1990, la Norvège possède un fonds souverain créé à la suite d’une secousse économique importante qui l’a poussée à retirer ses investissements dans le secteur du charbon.  La stabilité économique du fonds souverain repose sur les cours du pétrole et la Norvège le gère comme un amortisseur aux mauvaises périodes économiques ou encore comme un protecteur social. Dans l’objectif de le faire croître, une portion de celui-ci est investie dans des entreprises étrangères.

Selon le rapport annuel publié par la Banque centrale de Norvège, en 2019, le fonds norvégien possède des actions dans 9 202 compagnies réparties dans le monde; l’Amérique du Nord et l’Europe étant les principaux bénéficiaires des investissements directs étrangers (IDE) de la Norvège (Norges Bank, 2019). Trois pays en sont les principaux destinataires : les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, alors que le Canada se classait, en 2019, au 8e rang sur cette liste d’actions du fonds souverain norvégien.

IDE : investissements directs étrangers
Éléments moteurs de la multinationalisation des entreprises, les investissements directs étrangers sont des capitaux investis pour développer une filiale étrangère. Ces investissements impliquent une relation à long terme et reflètent un intérêt durable d’une entité d’un pays A pour une autre entité d’un pays B. Les IDE peuvent être des actions (supérieures à 10 %), des obligations ou encore des biens immobiliers non cotés. (Joanis, 2019)

Les principaux secteurs où la Norvège investit sont le secteur financier (254 G$), le secteur des technologies (157 G$) et le secteur industriel (144 G$) (Norges Bank, 2019). Elle possède également plusieurs atouts lui permettant d’investir massivement à l’étranger : sa situation géographique dans une région riche en hydrocarbures, sa population qualifiée et multilingue et son économie développée (Objectif Import Export, 2020).

impacts sur l’économie européenne

Par leur proximité géographique et le partage de plusieurs accords de libre-échange, les pays membres de l’UE sont les plus importants partenaires commerciaux de la Norvège. En effet, liées entre autres par l’EEE, les relations entre la Norvège et l’Union européenne sont principalement caractérisées par leur interdépendance énergétique (Ambassade Royale de Norvège à Paris, 2017) .

Être voisin d’un pays aussi influent que la Norvège a des avantages et des inconvénients. D’une part, le pays possède des ressources énergétiques considérables et est un investisseur de taille : 33,7 % du fonds souverain a été investi en Europe en 2019 (Norges bank, 2019). L’Europe tire donc profit de la prospérité économique de la Norvège. De plus, la santé économique norvégienne permet des échanges commerciaux solides entre les deux régions.

D’autre part, la stabilité économique de l’Europe reposant en partie sur celle de la Norvège, une crise pétrolière pourrait manifestement impacter l’Europe davantage que si elle n’était pas autant associée à la Norvège. Cependant, une telle situation pourrait convaincre le gouvernement norvégien de rejoindre l’Union européenne. En effet, l’union de ces deux puissances leur permettrait de se rétablir plus vite (Larguèche, 2013).

Montréal International
Visitée virtuellement en mai, l’organisation Montréal International a le mandat de placer Montréal sur la scène internationale dans le monde des affaires et de contribuer à l’économie de la métropole. Elle attire notamment les investissements directs étrangers ainsi que des organisations internationales. Avec près de 25 ans d’activité derrière elle, l’organisation compte aujourd’hui plus de 80 experts aux profils variés; ses efforts permettent au Grand Montréal d’être premier au Canada – et troisième en Amérique – pour son attraction d’investissements directs étrangers au classement American Cities of the Future 2019-2020 du magazine fDi (Montréal International, 2019).

Bien qu’une diminution des recettes pétrolières ait été observée depuis 2001, la Norvège a toujours maîtrisé sa stratégie d’investissement. Ainsi, elle a établi un plan pour se « préparer à l’ère de l’après-pétrole » parce qu’elle juge non durables les modèles économiques des sociétés pétrolières (Desrosiers, 2019). Dès 2019, le fonds norvégien double alors ses investissements dans les énergies renouvelables afin de se positionner en faveur des nouvelles politiques de développement durable et d’utilisation des énergies vertes.

En parallèle, le pays retire ses parts d’investissements dans les firmes pétrolières qui tirent plus de 5 % de leur chiffre d’affaires de l’exploitation des sables bitumineux. En 2019, quatre premières sociétés canadiennes ont cessé de recevoir des investissements de la part de la Norvège sont : Cenovus Energy, Suncor Énergie, la Pétrolière Impériale et Husky Energy (Healing, 2019). Aujourd’hui, presque toutes ont été supprimées de son portfolio d’investissements étrangers.

tableau 2.3 - Distribution des investissements directs étrangers de la Norvège en 2019

La Norvège a par ailleurs rééquilibré la répartition de ses investissements. En effet, ceux-ci étaient auparavant concentrés surtout en Europe. Mais comme l’illustre le tableau 2.3, il semble que la Norvège ait ouvert son économie à l’international. Le gouvernement norvégien aspire à réorienter ses investissements en prévoyance de l’ère post-pétrolière. Pour y arriver, il se prépare d’ores et déjà en se désinvestissant de l’or noir, et ce, en dépit du fait que cette ressource représentait toujours 40 % des exportations et 20 % des revenus de l’État en 2019 (Desrosiers, 2019).

SYNTHÈSE

Les pays nordiques, dont l’Islande, la Norvège et le Canada, voient le Nord comme un territoire rempli de ressources qui deviennent de plus en plus intéressantes et accessibles. Les voies navigables libérées par la fonte des glaces ouvrent également la porte à de nouvelles routes maritimes qui font rêver plusieurs grands joueurs mondiaux. En marge d’une Europe majoritairement placée sous le drapeau de l’Union européenne, l’Islande et la Norvège ont trouvé des moyens de se démarquer et de demeurer compétitives sur la scène internationale. Que ce soit par la création d’un fonds souverain substantiel ou par la négociation d’accords économiques et commerciaux avantageux, ces deux pays laissent leur marque et sont en outre considérés par plusieurs comme des modèles.

En échange d’un financement d’environ 0,3 % au budget total de l’Union européenne, la Norvège et l’Islande se prévalent d’avantages similaires aux pays membres.
Le Conseil de l’Arctique offre une plateforme de coopération pour encadrer le développement de la région.
Le fonds souverain norvégiens réoriente ses investissements vers les industries qui se dotent de politiques de développement durable et d’énergies renouvelables.